Symposium GRAF, Bordeaux mai 2002 |
Bernadette Courtois – Page 1 |
EXPERIENCE ET AUTOFORMATION
A propos de l'expérience
autoformatrice dans le champ
professionnel
Mon propos est de rapprocher l'autoformation et le monde professionnel à travers une meilleurs compréhension de « l'expérience professionnelle » pour l'auteur de cette expérience et pour faciliter le déploiement d'un apprentissage le plus souvent fait de façon informelle et non explicite : il y avait là un enjeu social, tant pour les auteurs d'expérience (les porteurs de petit capital, comme dit Gaston Pineau) que pour la société professionnelle qui s'appuie sur les compétences et les savoirs d'expérience, sans forcément ni les identifier, ni les reconnaître en tant que tels : la reconnaisssance fluctue plus en fonction de critères externes à ce champ, tels que l'état du marché du travail, l'évolution des idéologies d'entreprise .. qu'en fonction des savoirs eux mêmes.
Le questionnement porte là
essentiellement sur la transformation de
l'expérience : faire l'hypothèse que l'expérience est potentiellement
productrice de savoirs et de compétences et donner les moyens aux auteurs , par
des démarches individuelles et collectives alternées, d'identifier leur
expérience, de la nommer, de la partager, de la confronter, de l'articuler aux
savoirs institués, sans les confondre. Un certain nombre de travaux , y compris
quelques recherches « classiques » (formation en situation de travail, savoirs
d'action) ont montré que cette voie était fructueuse. L'expérience peut
produire des savoirs, mais ce cheminement ne se fait pas de façon spontanée :
la transformation de l'expérience nécessite un accompagnement. Une nouvelle
réflexion s'imposait pour ne pas enfermer l'expérience dans le cadre de
dispositifs pédagogiques classiques , où les auteurs d'expérience risquaient
fort de se voir déposséder à la fois de la singularité de leur expérience et de
leur démarche d' élaboration.
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La notion de transformation
de l'expérience
« Transformer » l'expérience
indique qu' un travail s'effectue de façon délibérée ou non (C. VERRIER) sur un
vécu. Cette transformation ne peut être réduite à la production de savoirs.
J. Feldmann distingue
l'expérience scientifique (sans la confondre avec le cas particulier de
l'expérimentation.) et l'expérience personnelle : elle montre bien que cette
transformation partant d'un vécu unique et subjectif reste incontournable pour
l'évolution de la connaissance, notamment en sciences humaines, même si cela
pose des problèmes aux visées « générales » des sciences. Elle indique que
cette transformation implique des choix
épistémologiques et éthiques, pour ne pas oublier l'articulation de l'expérience à son auteur et certaines de
ses dimensions (affects, valeurs).
Elle indique, que si cette
approche d' l'expérience s'est batie contre
les approches scientifiques généralement admises , il ne s'agit pas de
jeter l'anathème sur l'une ou l'autre des démarches, mais de reconnaître
l'intérêt et les limites de chacune.
Autement dit, les
composantes de l'expérience telles que les affects et les valeurs ne sont pas
de simples à‑côtés, éventuellement à écarter de la transformation de
l'expérience : ils en font partie intégrante, car ils alimentent la « vision du
monde « de l'auteur d'expérience. Mezirow montre que les plus grands « sauts »
du point vue de la connaissance s'effectuent à l'occasion de « transformation
de perspective » chez et par l'auteur d'expérience.
La transformation de
l'expérience ne peut se faire, sans une prise en compte de ses
caractéristiques, dont je fais l'hypothèse qu'elles sont essentielles :
· l'expérience est marquée par
les contextes dans lesquels elle
s'inscrit : elle n'est pas considérée et parlée de la même manière dans une
culture arabo‑musulmanne (M.MELYANI), dans la culture amerindienne
(P.GALVANI) et extrême orientale R. BARBIER), dans la culture occidentale, où
elle est considérée toujours à la marge des institutions du savoir (CNERRIER),
comme si elle était à la fois importante et menaçante
· sa transformation implique
une mise en horizon temporelle, où
les trois dimensions (passé ‑ présent ‑ futur) sont prises en
compte et articulées . Sans visée d'avenir, il est difficile d'envisager une
transformation de l'expérience. Je rattacherai à cette considération le risque
de clôture de I'expérience.
· l'expérience est au carrefour de plusieurs rationnalités, qu'il
est nécessaire d'identifier et d'explorer dans la transformation.
· L'expérience se constitue de
différentes manières , par accumulation, par répétition, par « illumination (F.
LESOURD).. en tout cas, en continuité et/ ou en rupture : la transformation ne
suivra pas sans doute le même cheminement dans tous les cas.
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Transformer l'expérience
J'ai fait l'hypothèse que
transformer une expérience consistait à travailler sur une situation vécue et
sur le rapport que l'auteur a ou a eu avec cette situation. Il m'est apparu que
trois registres au moins étaient concernés par cette transformation :
· l'élaboration du sens et sa
confrontation à différents niveaux de sens,
· 1 'élaboration de savoirs
expérientiels et leur articulation nécessaire avec les savoirs constitués,
· l'évolution ou la
transformation identitaire des personne, par la réflexion sur leurs rapports à
leur expériences.
Les travaux de KOLB ont été
les premiers à nous aider à penser cette transformation. Mais l'auteur ne
prenait pas en compte l'ensemble des dimensois de l'expérience en ne mettanty
en valeur que le registre cognitif.
J. MEZIROW propose une
démarche plus complète, mettant en oeuvre le sens et la réflexion critique
(fiche de lecture ci‑jointe). La question me semble cependant posée des
limites du « dialogue rationnel » (Habermas) dans cette transformation
émancipatrice de l'expérience.
Accompagner la transformation de l'expérience
L'accompagnement renvoie à
trois « filets» de sens
·
une
relation de partage et de communication d'un élément substantiel,
·
un
mouvement vers une parité de relation, même avec une disparite de position,
·
une
durée dans le temps.
Il est selon G. PINEAU (Accompagnements et Histoires
de vie) une fonction professionnelle, sociale et anthropologique transversale.
Il s'effectue dans un registre bio‑cognitif.
L'accompagnement de
l'expérience se distingue bien des modalités pédagogiques classiques.
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Il indique en tout cas que
si l'expérience peut être transformée au plan individuel, elle ne devient
formatrice et émancipatrice qu'avec le partage, la confrontation et le travail
ensemble.
Cet « accompagnement »
permet la mise en mots, la réflexion critique, mais il existe des cas où cela
est difficile à envisager (l'expérience des camps de concentration juste après
la guerre dans « l'écriture ou la vie » de J. Semprun).
En guise de conclusion :
Voilà donc à partager ces
éléments de réflexion, qui devraient s'intégrer dans la suite de mon travail.
Ce thème me semble particulièrement urgent au moment où la validation des
acquis expérientiels pourrait prendre forme instituée.