Expérience et intuition

 

Mohammed MELYANI

Maître de conférences – UPJV

GRAF

Bordeaux mai 2002.

Plan

 

1.     Expérience et existence

2.     Expérience et dépassement de soi

3.     Expérience et créativité

4.     Typologie de l’expérience auto-formatrice

 

 

 

 

Hyp. 1 :           « L’autoformation fait partie de l’expérience immédiate »

 

Hyp. 2 :           « L’expérience est une action de la pensée ; et la pensée est une logique de l’action »

 

Hyp. 3 :           « Face à la réalité, la décision et l’engagement sont des préalables à l’expérience et à la découverte de la vérité »

 

Hyp. 4 :           « L’unité de l’homme et du monde ne dépendent pas de la « seule méthode rationnelle » mais de l’unité du monde pré-rationnel : le monde unique de l’expérience, la seule source originale des problèmes divers donnant naissance aux différentes sciences et aux différentes psychologies, y compris l’autoformation »

 

Hyp. 5 :           « Seule une théorie faisant de l’homme l’origine complète de l’expérience, une phénoménologie du monde dont on a l’expérience, est capable d’articuler l’expérience, l’existence et l’autoformation »

 

1.       L’Expérience et l’existence : approche existentielle

 

Kierkegaard insiste sur l’immédiateté de l’expérience et l’union de la pensée et de l’action (l’expérience comme action de la pensée et la pensée comme une logique de l’expérience).

Kierkegaard déclare que « La vérité n’existe pour l’individu que lorsqu’il la reproduit en action ». Face à la réalité, la décision et l’engagement jouent un rôle important dans l’expérience ; « les travaux des étudiants[1] sur l’expérience montrent que l’on ne peut acquérir l’expérience (ou trouver la vérité) assis dans un fauteuil et que la volonté et la décision sont des préalables à la découverte de la vérité et à l’acquisition de l’expérience.

En autoformation et dans l’expérience, il s’agit de redécouvrir l’homme qui vit, décide et subit-.

Les travaux sur l’expérience doivent nous conduire à contester les conclusions de la pensée « rationaliste » assimilant la réalité à l’objet de la pensée, ou à des rapports ou des « essences », et lui opposer la réalité telle que les hommes la perçoivent dans l’immédiat au cours de leur vie réelle. Il nous semble que l’expérience immédiate de l’homme est plus révélatrice de la nature et des caractéristiques de la réalité que l’expérience cognitive.

L’autoformation nous semble liée à « l’expérience immédiate », qui nous fournit la cause et les éléments de notre recherche. L’agent autoformant devrait être foncièrement réaliste et pratique et le chercheur ne doit pas oublier que les théories les plus brillantes ou les lois abstraites les plus complètes ne peuvent composer le mouvement de l’expérience humaine ; le mouvement de l’homme qui éprouve et qui subit des expériences.

Il me semble qu’on ne peut concilier une interprétation mécaniste du monde avec une interprétation téléologique parce qu’il s’agit de différents modes d’existence dans le même monde dont on a l’expérience.

Il doit être admis dans notre approche de l’expérience, que les traits les plus profonds de la réalité ne peuvent être saisis que par la perception et que les différentes façons d’établir des rapports avec le monde doivent mener nécessairement à percevoir les phénomènes sous des angles différents, doivent conduire à différents problèmes auxquels il faut apporter des solutions différentes.

L’unité de l’homme (comme agent d’expérience et d’autoformation) et du monde ne dépendent pas de la « seule méthode rationnelle » mais de l’unité du monde pré-rationnel : le monde unique de l’expérience, la seule source originale des problèmes divers.

La source complète et originale de toutes les façons d’exister dans le monde, l’origine de l’expérience du monde, de soi et du corps. Ce point de départ de l’expérience revêt deux aspects : il peut être à l’origine de l’expérience ou bien constituer l’expérience elle-même.

Seule une théorie faisant de l’homme l’origine complète de l’expérience, est capable d’éclairer l’expérience et l’existence. Il s’agit d’un effort pour mieux comprendre le comportement et l’expérience humaine par rapport aux postulats qui les régissent et qui sont à la base de notre science et de notre image de l’homme. C’est un effort (ou une intuition) pour comprendre la nature de l’homme qui éprouve et qui subit des expériences.

 

·       Existentiel et expérientiel

Expérience existentiel signifie se concentrer sur la personne existante et sur son expérience, mettre l’accent sur l’être humain dans son action, son passé et son devenir. Le mot « existence » est dérivé de la racine latine ex-sister voulant dire littéralement « se détacher, surgir ». Traditionnellement, la culture occidentale a opposé l’existence et l’essence. La méthode essentialiste insiste sur des principes immuables, la vérité, les lois logiques, etc., qui sont supposées être au-dessus de toute existence donnée. En s’efforçant de partager la réalité en parties distinctives et d’en formuler les lois abstraites, les sciences dans le monde occidental ont revêtu très nettement un caractère essentialiste ; les mathématiques sont la forme pure et finale de la méthode essentialiste. L’effort tenté, en psychologie (et en sciences humaines), de définir l’homme en terme de forces, d’impulsions, de réflexes conditionnés, est également de tendance essentialiste.

Jusqu’au siècle dernier, à quelques remarquables exceptions près, telles Socrate, Saint Augustin et Pascal, la pensée et la science occidentale ont insisté avec force sur les essences. Le point culminant est atteint avec le pan-rationalisme de Hegel, expression la plus large et la plus systématique de « l’essentialisme », représentant un effort pour encadrer toute réalité dans un système de concepts qui identifient la réalité à la pensée abstraite.

L’expérience comme démarche « essentialiste » et systématique, représente donc, dans les sciences modernes, une volonté qui voulant encadrer la réalité sous formes de concepts, de démarche logique et d’autres aspects de la vérité à base « essentialiste », la conditionne.

Cette conception de l’expérience vidée de toute existence est l’obstacle le plus considérable à une connaissance et à une manière d’aborder les expériences des êtres humains d’une façon vivante, car plus complètement et minutieusement sont décrites les forces, les pulsions et les expériences, plus l’on parle d’abstraction et moins de l’expérience de l’homme vivant et existant.

Pour le rationalisme de base, nos connaissances sont le produit du pur exercice de la raison. L’empirisme en revanche, considère que nous n’accédons à la connaissance du réel, ni par l’intuition pure, ni par l’application de principes universels innés ou non appris (la connaissance vraie découle exclusivement de l’expérience sensible et de l’usage empirique de la raison). Actuellement, il semble que les chercheurs admettent que la vérification d’une proposition était surtout une affaire d’accord entre les hommes, que le degré de confiance que nous pouvons accorder à une expérience, est basé sur le témoignage d’autrui ou sur des instruments construits par d’autres personnes. Or, cette confiance dépend surtout de la compétence ou de la reconnaissance particulière accordée par nous-mêmes et par la société.

 

Schéma de l’expérience autoformatrice :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Fig. : L’expérience doit rechercher le terrain sur lequel soit établies la raison et la déraison.

 

 


« Le bons sens occidental n’admet pas que le monde phénoménal ne soit qu’un leurre »

J.P. Sartre : « Nous sommes nos choix ».

 

2. Expérience et dépassement de soi

L’expérience joue un rôle d’autorégulation entre le monde de la raison et celui de la déraison. Les problèmes vitaux les plus graves et les plus importants sont tous, au fond, insolubles, et ils doivent l’être (G.G. Jung, p. 32) car ils expriment la polarité nécessaire qui est immanente à tout système d’autorégulation. Ils ne peuvent jamais être résolus mais seulement dépassé (G. G. Jung, p. 32). L’expérience « humaine » offre cette possibilité de dépassement ; et cri observant le processus d'évolution d'expériences, de ceux qui se dépassaient eux-mêmes en silence et comme inconsciemment, on constate que leur destin avait un trait commun : la nouveauté venait à eux de possibilité obscures, ils l'acceptaient et se dépassaient grâce à elle. Si elle venait de l'extérieur, elle devenait expérience intime ; si elle venait de l'intérieur elle devenait expérience extérieur.

Pourtant, elle n'était jamais provoquée de façon intentionnelle et consciente mais elle s'avançait, portée sur le fleuve du temps (G. Jung, p. 33).

L'expérience autoformatrice par exemple se compose de ce dépassement de soi, qui réalise le progrès libérateur de leur action d'apprendre ou d'entreprendre. Je définirai cette expérience comme une structure des potentialités de l'individu humain qui vit, qui subit (des expériences capables d'actualiser son agir), l'homme à qui des choses arrivent.

Devant nos propres expériences et les expériences des autres, nous devons expériencer (ressentir avec lui) [Il s'agit de communication subconsciente, @ et télépathique ] les phénomènes et non les observer, car nous devons être à même autant que possible de saisir ce que l'individu transmet à différents niveaux. Ceci comprend non seulement les mots qu'il prononce mais les expressions de son visage, ses gestes, la distance qui le sépare de nous, les différents sentiments qu'il éprouvera et qu'il communiquera de façon subite dans son expérience et qui tiendront lieu de messages, même s'il ne peut pas les exprimer par des mots, etc.

L'expérience d'un vécu expérimental lui-même exige une intuition, une présence, une attitude de candeur disciplinée et une capacité d'expérience critique, tant en sachant que la connaissance de la dynamique d'une expérience n'entraînait pas la faculté de (la) comprendre (voir la parabole des aveugles et de l'éléphant, (p. 29).

 

·       L'expérience comme action non aigssante

Pour réaliser le progrès libérateur d'une action ou d'une expérience, on peut adopter une attitude « ne rien faire » (won vei = action non agissante), mais de « laisser advenir » : le « laisser ad‑venir », l'action non agissante, l'abandon, le silence... sont les clés permettant d'ouvrir les portes (de l'expérience) qui mènent à la connaissance, à l'intuition qui accepte également l'irrationnel et l'incompréhensible, simplement parce que c'est ce qui advient. Cette intuition serait un poison pour quelqu'un qui de toute façon est submergé par ce qui advient, mais elle est d'une valeur suprême pour celui qui, par un jugement exclusivement conscient, s'est toujours borné à choisir ce qui convenait à sa conscience (et à sa connaissance) dans ce qui advient purement et simplement, et qui est ainsi sortie de la vie pour échouer dans une lagune stagnante (p. 34, Jung), dans le registre expérimental privé.

L'expérience (négative ou +) comme une structure des possibilités et des potentialités sont un retournement de l'être qui signifie un élargissement, une évaluation et un enrichissement de la personnalité, si les valeurs (de dépassement de soi, de laisser advenir, de vie et de compréhension de vivre, ... ) sont conservées dans le retournement en tant qu'elles n'étaient pas de pures illusions. Si elles ne sont pas conservées, on retombe de l'autre côté et l'on passe de l'aptitude à l'ingitude, de l'adaptation à l'inadaptation, du sens au non sens.

Lorsque l'expérience est vécue dans une attitude de complet don de l'être ; elle procure le pressentiment du soi, l'intuition de voir, d'entendre et de savoir tout en même temps.

Dans le champs de l'expérience, les concepts ne sont pas des idées logiques au sens où nous l'entendons, mais des vues intuitives. On ne peut juger de leurs significations qu'à partir de leur visage.

 

 

3. Expérience et créativité

 

4. Expérience, intuition  et autoformation:

 

1ère intuition

 

Dans les expériences, tout est relatif, rien n’est absolu. Aucune action, aucun nom, aucune idée, aucun jugement de valeur ne peuvent prétendre à un caractère d’absolu car, étant relatifs, ils impliquent toujours leurs contraires.

Le processus intuitif est toujours présent dans l’expérience, comme une pensée qui investit directement son objet, qui est à l fois contact et compréhension, connaissance immédiate sans interposition de signes ni de procédés expérimentaux ou déductifs. L’intuition, comme l’expérience, est structuration adaptative du réel, elle peut être décrite comme une conduite intelligente, organisant les situations de manière que les parties y soient saisies dans leurs relations nécessaires au tout. Cette organisation, comme le souligne la psychologie de la forme (gestaltistes) ne s’accomplit pas par une progression pas à pas, mais de façon soudaine et totale (insight = vision intérieur).

Du même type que l’expérience, l’intuition possède un caractère d’immédiateté, auquel on relie en général d’autres caractères, celui d’une pensée anticipatrice qui devance les preuves, ou d’une compréhension profonde qui va de l’apparence vers la réalité des choses (cette acceptation générale laisse place à de nombreux types de l’intuition, s’échelonnant entre l’appréhension sensible et l’intellection pure).

 

2ème intuition

 

Dans une expérience autoformatrice quelconque, ou de construction de connaissance, l’intuition est prise comme une fonction entrant dans l’économie du savoir ; maintenant en même temps, la valeur des assurances ou des motivations intuitives, on leur imposant des limitations composées de conditions intuitives et de conditions formelles.

Notons que le terme d’intuition relève du langage de la « vision ». Etymologiquement, intueor, intuitus se rapportent à l’acte et à l’attention du regard. Dans ce sens large, l’intuition est une synthèse opérée par l’imagination sur les bases d’une expérience sensible. Ainsi par son origine et par ses développements, le terme d’intuition est apte à désigner toute forme de compréhension immédiate, et concerne des couches très diverses du savoir. Dans l’expérience autoformatrice, on rencontre cette compréhension et cette assurance intuitive que les auto-formants ont de la présence des choses. L’intuition caractérise tout acte ou expérience d’autoformation d’une « compréhension », il s’agit en même temps d’un « contact » : Il s’agit de saisir par « empathie » le sens des expériences et des conduites d’autrui, sans avoir à le conclure par des inférences analogiques.

A ces aspects d’immédiateté ou de vacuité qu’on rencontre dans l’expérience et l’intuition, se joignent assez aisément d’autres dimensions : l’intuition et l’expérience sont « anticipatrices », et elles sont « pénétrantes ». Elles nous donnent le sens (un sens organisateur) d’une situation avant que les éléments de celle-ci ne soient entièrement explorés ou scrutés. La psychologie de la forme (Gestaltpsychologie) a mis en valeur cette part de la vue organisatrice de l’insight qui permet la résolution de problèmes pratiques ou théoriques. Mais d’une autre manière, l’intuition et l’expérience vont à l’essentiel et font le passage du phénomène à l’être des choses.

 

Toutefois, il convient de souligner que l’intuition est fondatrice et fournit des « vérités » qui ne peuvent venir ni de l’expérience, ni de l’argumentation, en même temps, c’est l’expérience qui permet l’émergence de l’intuition. L’intuition permet dans des contextes d’autoformation, le savoir comme synthèse et métaphysiquement parlant, elle va à l’être au-delà de la dispersion des apparences et des divisions de langage, vous conduisant vers l’être en tant qu’unité.

 



[1] Travaux effectués auprès d’étudiants de licence, de maîtrise et de DESS de Sciences de l’éducation depuis 1998.