SYMPOSIUM DU GRAF (Bordeaux, 9-11 mai 2002)
Quelques
réflexions
sur
l'autoformation et les nouvelles technologies
par Viviane GLIKMAN, maître de
conférences à l'INRP (Institut National de Recherche Pédagogique), département
Tecné (Technologies nouvelles et éducation)
Ces quelques paragraphes ont pour seule ambition de
présenter quelques-unes de mes observations et de mes interrogations sur
l'autoformation lorsqu'elle s'applique à des formations médiatisées. Ils ne
prétendent ni faire le tour de la question, ni lui apporter des réponses
structurées et théorisées.
Mon intérêt par rapport à l'autoformation concerne les
questions liées à l'autoformation éducative, au sens où Philippe Carré la
définit, en la distinguant de l'autodidaxie, parce qu'elle fait appel à un
"dispositif éducatif formel" et/ou à "l'intervention d'un agent
éducatif institué"[1].
Cet intérêt est issu de l'ensemble de mes recherches sur les
usages éducatifs des technologies de l'information et de la communication
(TIC), qu'elles soient "anciennes", comme la radio et la télévision,
ou dites "nouvelles", comme l'informatique et les réseaux. En effet,
les TIC, sauf lorsqu'elles sont utilisées par les formateurs dans le contexte
présentiel de la salle de cours, constituent des supports d'autoformation.
Occupant une place de plus en plus significative dans les dispositifs de
formation d'adultes, elles contribuent, dans ce secteur, à une vogue de l'autoformation
dont l'origine ne réside pas que dans sa valeur pédagogique.
Les causes principales de la vogue
actuelle de l'autoformation, quelles que soient ses qualités intrinsèques, sont
en effet d'ordre plus socio-économique que pédagogique :
- pression de la demande sociale en matière de
formation, qu'il s'agisse d'enseignement général, d'éducation permanente ou de
formation professionnelle,
- pression des fabriquants et des promoteurs des
technologies de l'information et de la communication,
- désir des opérateurs de réaliser des économies en
matière d'enseignants et de locaux.
Ces facteurs se conjuguent pour présenter l'autoformation
comme une solution de progrès. En conséquence, les lieux-ressources se sont
multipliés sous des vocables divers (Ateliers de Pédagogie Personnalisée,
centres de ressources, centres d'autoformation...) et les plates-formes de
"E-learning" fleurissent, que ce soit sur les sites universitaires
des "campus numériques" ou sur des Intranets d'entreprises.
Bien que les cours ou les stages
traditionnels demeurent la norme dominante en matière de formation d'adultes,
une forte hybridation se fait jour entre "présentiel" et distance,
conduisant à leur fréquente combinaison dans des dispositifs d'autofomation
partielle, souvent appelés "ouverts" ou "sur-mesure". Nous
écrivions, en 1997, que :
"L'imprégnation réciproque du présentiel et de la
distance tend peu à peu à constituer un continuum :
Présentiel -->-->-- Formations 'ouvertes' ou
'sur-mesure' -->-->-- Formations à distance",
en ajoutant :
"Toutefois, si le discours
convenu consiste à affirmer que ces nouveaux modes de formation "placent
l'apprenant au coeur du dispositif", on peut se demander si le poids
technologique et l'imposition de l'autoformation ne constituent pas, du point
de vue des usagers, plus de contraintes que d'avantages. Le risque est grand,
en effet, face à l'accroissement vertigineux des possibilités technologiques,
d'oublier que ces matériels s'adressent à des individus dont les
représentations et les pratiques de formation n'évoluent pas à un rythme aussi
accéléré et que l'implantation de nouveaux dispositifs ne génère pas
spontanément de nouveaux étudiants, capables de dominer leur complexité sans
cesse grandissante."[2]
La sophistication des environnements disponibles n'ayant
fait, depuis lors, que s'accroître, il semble que ces considérations demeurent
plus que jamais d'actualité.
Tout processus d'autoformation
implique des compétences particulières ; les apprenants doivent
savoir :
- étudier et s'approprier par eux-mêmes des contenus
pédagogiques,
- organiser leur propre formation, en termes de
progression pédagogique, de rythme et de temps de travail, de recours
éventuelles à des ressources que le dispositif de formation ne fournit pas,
etc.
- auto-évaluer leurs acquis au fur et à mesure de
l'apprentissage.
Dans un processus d'autoformation faisant appel aux
nouvelles technologies, ils doivent de plus :
- utiliser des moyens techniques dont la maîtrise n'est
pas toujours évidente, notamment pour les populations de plus de 18 ans
concernées par la formation des adultes,
- utiliser ces moyens pour apprendre et communiquer, et
pas seulement pour s'informer, ce qui relève d'une démarche très différente.
Monique Linard et Claire Bélisle[3] ont
largement analysé les compétences métacognitives spécifiques exigées par le
recours aux nouvelles technologies éducatives et montré l'importance et la
difficulté des médiations humaines nécessaires. Le discours souvent tenu par
les promoteurs des TIC, qui consiste à affirmer que "les technologies
créent l'autonomie", relève au total davantage de la pensée magique que
d'une quelconque réalité observable. Les technologies peuvent tout au plus
favoriser l'autonomie des apprenants, à condition que soient exploitées leurs
potentialités en la matière, que les échanges qu'elles permettent ne soient pas
laissés au seul gré de leur interactivité fonctionnelle et que leur
sophistication ne tienne pas lieu de réflexion sur les méthodes pédagogiques.
Dans le cadre d'une recherche
européenne sur "la fonction d'aide et de conseil" dans la formation
des adultes[4], deux
critères principaux ont été mis en évidence, dont le croisement nous a semblé
fonder en grande partie les rapports d'usage que les apprenants entretiennent
avec leur formation, permettant de construire une typologie de ces derniers. Il
s'agit de :
- l'intensité de la motivation (que nous avons traduit
par "sentiment d'urgence et/ou de nécessité" lié à la formation),
- la capacité d'autonomie préalable ou acquise au cours
du processus de formation.
A ce propos, une question essentielle reste en suspens,
celle des facteurs qui déterminent ce dernier critère. Les motivations et leur
intensité peuvent s'expliquer par des données objectivables, telles que
l'origine du projet éducatif, la situation sociale, économique, professionnelle
ou le contexte psycho-sociologique... En revanche, la présence ou l'absence
d'autonomie préalable à l'entrée en formation ou l'aptitude à s'adapter
rapidement à un travail autonome ne sont apparemment pas directement liées à
des variables de même nature. En particulier, ni le niveau d'études, ni le
niveau des responsabilités professionnelles ne suffisent à en rendre compte. On
peut admettre que des variables plus complexes, relatives aux histoires de vie,
interviennent ici. Il serait utile de travailler à leur mise en évidence.
Cette question mise à part, constatant les limites du
soutien apporté aux apprenants dans la majorité des dispositifs
d'autoformation, il nous a semblé que la capacité d'autonomie constituait plus
souvent un pré-requis qu'un objectif de la formation. De nombreux apprenants,
cependant, s'engagent dans des processus d'autoformation sans être prêts à
gérer leur apprentissage de manière autonome.
Plus
encore, alors que la fonction tutorale, au sens large, est supposée jouer un
rôle essentiel pour aider à l'autonomisation, cette recherche (et plusieurs
autres, achevées ou en cours[5])
confirment que seuls les apprenants les plus déterminés et les plus autonomes,
peu nombreux quel que soit le dispositif, mettent à profit toutes les
ressources mises à leur disposition et, notamment, "prennent le
risque" d'utiliser spontanément les aides tutorales proposées.
Les autres, plus désarmés face à un processus de
formation, ne savent pas ou n'osent pas formuler leurs questions. Les problèmes
premiers qu'ils rencontrent (d'ordre psychologique et affectif, personnel,
matériel, social, etc.) sont d'ailleurs bien souvent périphériques par rapport
aux apprentissages proprement dits et difficiles à exprimer dans une relation
médiatisée. En outre, ils ne sont guère traités par la plupart des acteurs de
la fonction tutorale alors que ce sont bien souvent eux qui entraînent les
abandons et les échecs. Pour retrouver une certaine assurance, revaloriser
l'image fréquemment négative qu'ils ont d'eux-mêmes et se responsabiliser face
à leur formation, ces apprenants doivent trouver des situations éducatives où
le groupe de pairs est présent et où les acteurs institutionnels, exerçant
activement et pleinement leur "devoir d'ingérence"[6], assurent
une fonction tutorale qui prend en compte, au-delà de l'individu-apprenant, la
personne dans sa globalité.
Quelques exemples : un tuteur qui s'adresse à
des apprenants pour leur demander si "tout va bien ?" ne suscite
de la part des plus démunis que des réponses illusoirement positives ; un
forum ou un "chat" simplement mis à disposition sur un site Web ne
provoquent que peu d'échanges ; une visioconférence construite sur le
modèle du cours magistral ne permet guère plus d'activité que ce dernier de la
part des apprenants, etc.
Une fonction tutorale conséquente, condition
essentielle d'une autoformation efficace pour la majorité des apprenants, est
cependant la pierre d'achoppement des dispositifs médiatisés de formation à
distance car, seul élément du dispositif dont le coût nécessairement élevé
n'est pas indépendant du nombre d'usagers, elle porte atteinte aux économies
d'échelle escomptées par les opérateurs de ces formations.
Nous aurions donc tendance à
penser qu'en matière de formation d'adultes, et en particulier dans les
"dispositifs hypermédiatisés" actuellement mis en place, c'est sur un
nécessaire renforcement et une nécessaire diversification du soutien à
l'autoformation qu'il faut aujourd'hui insister, afin que ce soutien soit conçu
et apporté, non de manière automatique ou "à l'économie", comme c'est
souvent le cas, mais de manière adaptée aux apprenants et véritablement
personnalisée, c'est-à-dire :
- qu'il sache se faire discret lorsque ces derniers
sont suffisamment autonomes pour y recourir par eux-mêmes lorsqu'ils en
éprouvent le besoin,
mais aussi
- qu'il se manifeste de
manière proactive et holistique lorsqu'il s'agit de concevoir la formation
comme un moyen d'autonomisation d'apprenants plus démunis,
et
- qu'il intègre tous les moyens disponibles, et
notamment toutes les formes de travail collaboratif, pour contribuer à faire
vivre une communauté apprenante et à activer le lien social.
Cela implique que l'offre éducative ne s'inscrive pas
principalement dans un objectif de rentabilité visant d'abord à recruter le
plus grand nombre d'inscriptions, sans se soucier de la réussite des inscrits
et qu'elle ne soit pas essentiellement centrée sur les acquisitions et les
validations de connaissances. Cela implique qu'elle propose une orientation
préalable à l'inscription, qu'elle fasse appel à des "équipes
tutorales" susceptibles de répondre, à travers des modalités diverses, à
la variété des besoins des apprenants et que les personnels en charge du
soutien, loin d'être considérés comme des "sous-profs", soient
formés, rémunérés et reconnus en conséquence. C'est à ces conditions, de notre
point de vue, que les TIC pourraient effectivement contribuer à un renversement
du paradigme de la formation.
[1] CARRÉ P. (1998). Article "Autodidaxie", in : Dictionnaire encyclopédique de l'éducation et de la formation. Paris, Nathan.
[2] GLIKMAN V. (1997). "Quand les formations d'adultes 'surfent' sur les nouvelles technologies". Recherche et formation ("Les nouvelles technologies : permanence ou changement"), n° 26, pp. 99-112.
[3] Cf. en particulier LINARD M. (1995). "La distance en formation : une occasion de repenser l'acte d'apprendre", in : G. DAVIES et D. TINSLEY (eds), Open and Distance Learning: Critical Success Factors (Accès à la formation à distance : clés pour un développement durable). Proceedings. International Conference, Geneva 10-12 October. Erlangen, FIM, pp. 46-55 ; BÉLISLE C. et CERRATTO T. (1996). TÉLÉprésence en formation. TÉLÉFORM. Rapport final présenté à la Région Rhône-Alpes. Ecully, IRPEACS-CNRS ; BÉLISLE C. et LINARD M. (1996). "Quelles nouvelles compétences des acteurs de la formation dans le contexte des TIC ?". Éducation Permanente, n° 127, ("Technologies et approches nouvelles en formation"), pp. 19-47.
[4] Projet "ATLASS" (Supporting Adult Learners To Achieve Success), initié en 1997 dans le cadre du programme Socrates, qui s'est appuyé sur un partenariat européen (INRP pour la France, NFER pour l'Angleterre et LSW pour l'Allemagne) pour étudier les représentations et les pratiques des apprenants et des différents personnels en charge des fonctions tutorales, afin de définir des modèles de soutien et d'analyser leur degré de pertinence en fonction des contextes et des publics.
[5] Par exemple, BATAILLE M. et al. (1998). Hétérogénéité et réussite dans le premier cycle universitaire. Conditions perçues et effectives des pratiques d'études et d'enseignement. Université de Toulouse II, CREFI, 184 p. et enquête auprès d'apprenants à distance en Sciences de l'éducation (DEA de Stéphanie GASC, en cours au laboratoire CIVIIC de l'université de Rouen).
[6] Cf. CARRÉ P., MOISAN A. et POISSON D. (1997). L'autoformation, psychopédagogie, ingénierie, sociologie. Paris, PUF, col. Pédagogie d'aujourd'hui.