Symposium GRAF, Bordeaux, 2002

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Prise de repères personnelle dans la galaxie de l'autoformation

 

Dans un souci de meilleure compréhension et participation aux travaux du séminaire, j'éprouve le besoin de faire un retour réflexif sur ma connaissance du sujet et mon positionnement dans ce champ de recherche. C'est ce que je me propose ici de partager.

 

A la relecture de quelques textes :

 

·      l'autoformation de Philippe Carré, André Moisan, Daniel Poisson1 (1997)

·      une communication de Bernard Blandin « Les dispositifs de formation ouverte et à distance, essai de méta-analyse» (Lille, SERlA, 09/2001),

·      un document de travail remis par Philippe Carré dans le cadre des études doctorales sur le thème de « la double dimension de l'apprentissage autodirigé / contribution à une théorie du sujet apprenant » (01/2002),

 

et en me remémorant quelques souvenirs en tant que participante au colloque de Nantes (1994), Lille (1996) et Montpellier (2001), je tente de rassembler ce que je sais de l'autoformation et de situer ma pratique professionnelle et mes travaux de recherche, dans la vaste galaxie.

 

Ma représentation du champ en question

 

Tous les travaux, réflexions, recherches et innovations qui se sont développés depuis plusieurs années autour du thème de l'autofonnation, présentent l'avantage d'avoir capitalisé des regards croisés sur un même objet. La représentation imagée de la galaxie a structuré un champ en pleine ébullition, en l'organisant à partir de ce même point commun qu'est l' «apprendre par soi-même» et la préoccupation première de la personne apprenante.

 

Cet objet « autoformation » qui a focalisé toutes les attentions, me semble avoir ‑ ou être en train d'évoluer ‑pour ne plus se faire que la coque (garante de l'esprit fondateur et de ses valeurs) d'une réflexion qui se déroule de manière plus approfondie sur deux axes complémentaires :

 

·      «la dynamique personnelle intérieure de l'apprentissage autodirigée, vue sous l'angle de processus intentionnels de la personne ;

·      les modalités externes d'accompagnement des apprentissages autodirigés».

 

Mes lectures et réflexions personnelles alimentées par les sources citées en introduction me font assez distinctement percevoir deux principaux volets de théorisation actuellement émergents 2 : d'un côté, celui des formations ouvertes et de l'autre, celui de l'autodirection. La notion de « dispositif » se taille alors une place d'importance, à l'interface entre une théorisation technico-pédagogique de l'ouverture et une théorie du sujet apprenant.

 

A cette réflexion sur le fond, j'ai envie d'ajouter une remarque sur la forme qu'a pris la construction de cette notion dans le temps. Je suis très sensible à la tolérance des points de vue

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1CARRE Ph., MOISAN A., POISSON D. : L'autoformation, Psychopédagogie, Ingénierie, Sociologie, Puf,

Paris, 1997, 276 p.

2 référence au document de travail cité en introduction

 

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qui ont accepté de se voir représenter sur une même photographie de la galaxie et de s'échanger au cours d'une conférence de consensus. C'est à ma connaissance pas si fréquent dans le milieu de la recherche où trop de « chapelles » sont conservées au détriment d'une bonne compréhension des phénomènes et donc de la construction scientifique de savoirs... C'est ce double niveau d'intervention sociale dont témoigne pour moi le GRAF, qui accroche mon intérêt :

 

·      une recherche autour de l'autoformation que je situe comme participant à la remise en cause du monothéisme du modèle traditionnel de l'enseignement,

·      l'initiation de pratiques de recherche tentant de faire réellement vivre l'interdisciplinarité et la confrontation des regards multi-référentiels sur un même fait social, en vue de mieux l'appréhender.

 

Identification de mes planètes d'appartenance (ou de référence)

 

Selon que je me positionne prioritairement comme praticienne, personne engagée dans la recherche ou sujet apprenant, mon appréhension de la galaxie se fait sous un angle kaléidoscopique légèrement différent.

 

En tant que praticienne, je me sens concernée et intéressée par l'ensemble des planètes, dans la mesure où mon projet professionnel en ingénierie de formation, vise à créer les environnements de formation ouverts qui vont faciliter la mise en place par l'apprenant lui-même, de ses propres stratégies d'autodirection de ses apprentissages. Et de mon point de vue, la création de ces environnements adaptés à un apprentissage autodirigé, gagne considérablement à s'intéresser à l'établissement des ponts entre les différentes planètes pour en faire les dispositifs ouverts et complexes que requiert de plus en plus la prise en compte d'une diversité de situations et d'attentes des utilisateurs. L'idée est d'avoir une vue large sur le monde pour être en mesure de créer les environnements de tous les possibles, idée qui au passage questionne bien les compétences des « nouveaux formateurs ».

 

Néanmoins, il m'apparaît assez clairement que de par ma place dans le système éducatif (membre de l'équipe d'ingénierie de formation continue à l'IUFM de Bretagne), mon camp de base se situe sur la planète de l'autoformation éducative dont les différentes visées s'expriment de la manière suivante :

 

·      développement et facilitation des apprentissages autonomes dans le cadre d'institutions spécifiques,

·      inscription de l'autonomisation de l'apprenant comme visée éducative dans le projet pédagogique des formateurs.

 

Le travail qui s'effectue à ce niveau se situe dans le domaine de l'ingénierie (en tant qu'étude globale des différents aspects d'un projet pédagogique) et de la technologie (au sens large de théorisation et formalisation spécifique des « façons de faire ») et de ce fait, est plus centré sur les dispositifs, les méthodes, techniques et outils de formation. Sont alors en question, l'instrumentation et l'aide à l'autoformation : l'accompagnement pédagogique, l'individualisation, les formations ouvertes, la formation de facilitateurs...

 

Ce travail de niveau technicopédagogique fait appel aux ressources de la planète « autoformation cognitive » car c'est là que s'originent les questions fondamentales concernant les processus d'apprentissage, autour desquelles et au service desquelles va se penser l'autoformation éducative. Pour se situer dans un autre cadre d'analyse de l'autoformation souvent employé, celui des trois niveaux d'appréhension de l'autoformation (niveaux micro psychopédagogique, méso technicopédagogique et macro sociopédagogique),

 

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la réflexion et la recherche faite au niveau micro du sujet apprenant et du processus d'apprentissage a le mérite de poser à un niveau micro, de bonnes questions qui vont construire le « niveau méso» auquel je suis plus sensible.

 

Je me sens particulièrement attirée par la planète « autoformation sociale » qui renvoie « à toutes les formes d'apprentissages réalisés par les sujets eux-mêmes, à l'extérieur du champ éducatif au sens strict, dans et par la participation à des groupes sociaux » car elle me paraît très complémentaire de ma planète d'attache. Les nouvelles formes organisationnelles dans les différents milieux professionnels que l'on repère sous le terme d'organisation apprenante (Moisan A.) ou qualifiante, voire d'apprentissage par et dans les situations de travail (JM Barbier) font chez moi, écho à quelques idées que je tente d'intégrer dans les projets d'ingénierie mis en oeuvre sur « ma planète ».

 

·      Le développement des dispositifs de formation ouverte ne va pas sans une profonde réflexion sur l'évolution organisationnelle qu'ils imposent ; il en va de leur réussite et de leur pérennisation3.

·      La réflexion relative à l'apprentissage en situation de travail de cette planète rejoint la problématique de la VAE (Validation des Acquis de l'Expérience) récupérée par la planète éducative.

·      Les pratiques d'autoformation sociale marquées par le caractère central des rapports sociaux, du fait des formes collectives ou coopératives qu'elles prennent fréquemment, interrogent les pratiques de ma planète d'appartenance où il est si difficile de faire vivre cette dimension dans un cadre institutionnel.

 

La planète de l'autoformation intégrale heurte la planète éducative dans le sens où elle constitue une menace d'envahissement ou de substitution pour cette dernière : risque peut-être plus imaginaire que réel, mais néanmoins persistant...

 

En contrepartie, un point de jonction peut être établie entre ces deux planètes quand, dans le cadre de la conception des dispositifs de formation ouverte, une place peut être donnée à ce que le sujet apprend par ses propres moyens « en dehors de tout lien avec les institutions et les systèmes éducatifs formels ». Cette planète offre un moyen et un espace de construction et de formation de soi qui peut aujourd'hui mieux correspondre à certaines personnes et/ou en certaines circonstances.

 

La subtile richesse de la planète de l'autoformation existentielle, caractérisée par « l'appropriation par le vivant de son pouvoir de formation » dans une idée de « apprendre à être » ou « produire sa vie » me semble être en voie de conquête de ma planète. Le plan de rénovation de la formation des enseignants (27/02/01) incite plus que jamais à penser la formation en termes de parcours personnalisé, analyse de sa pratique professionnelle et prise en compte de l'expérience antérieure. Un récent colloque inter‑IUFM sur la professionnalisation des enseignantS4 insiste sur l'importance de faire monter le travail sur soi au niveau des préoccupations disciplinaires dans la formation des enseignants, car elle serait un moyen de développer les compétences dont ils ont de plus en plus besoin en situation difficile. N'est ce pas là une mise en chemin vers la planète de l'autofonnation existentielle ?

 

Si en tant que praticienne et apprenante, mon intérêt va à l'ensemble des planètes pour les raisons spécifiques que je viens rapidement d'exposer, mon projet de recherche m'amène à circonscrire mon champ d'analyse à deux principales planètes, qui sont les planètes éducatives et cognitives.

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3 LAMEUL G. «Formations ouvertes : une affaire d'organisation autant que de pédagogie » Education Permanente EN n°126, 1996 (p.5 à 12)

4 voir sur le site http://www.aquitaine.iufm.fr/colloque

 

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Ma contribution se situe plus particulièrement dans le cadre de l'effort de théorisation sur le premier volet, celle des dispositifs de formation ouverte et à distance, (planète éducative) mais se nourrit et croise (et croisera sans doute de plus en plus au fil de son avancée) la planète cognitive. Je pressens que le second volet de théorisation relatif au sujet apprenant, qu'il m'est donné de mieux connaître dans le cadre de mes études doctorales accompagnées par Philippe Carré, sera rapidement convoqué. Les analyses conceptuelles psychologiques d'autodirection à partir des apports de Long, Bandura, Zimmerman, Deci et Ryan constitueront des cadres pour comprendre ce à quoi je m'intéresse : les effets de la médiatisation de la relation pédagogique sur le processus d'apprentissage et dans cette prolongation, l'évolution des postures qui va participer à la transformation des pratiques professionnelles à l'issue de la formation.

 

Présentation de mon projet de recherche

 

Toujours dans un souci des meilleurs échanges possibles au cours du séminaire et ultérieurement, je fais ci-dessous part de mon thème de recherche et de son état d'avancement. Je reprends pour ce faire, un texte écrit fin février qui vient d'être retenu dans le cadre de la prochaine Biénnale de la formation.

 

De ma place de chargée de mission en ingénierie de formation continue à l'IUFM de Bretagne, j'observe un certain conservatisme au niveau des pratiques de formation des enseignants (dominante d'intervention magistrale, lente évolution vers l'individualisation des parcours). Cette observation se voit confortée par quelques explorations de la littérature existante sur le sujet (J. Beillerot, M. Altet, ... ) ainsi que par un certain nombre de déclarations politiques récentes. Nous sommes en face d'un phénomène qui se traduit de la manière suivante: « de bons élèves ont aimé le mode sur lequel ils ont été enseignés, ils passent le concours pour faire ce même métier, ils sont reçus, entrent à l'IUFM où ils suivent un parcours sans faute. lis sont titularisés et reproduisent l'enseignement qu'ils ont connu en tant qu'élève, puis stagiaire IUFM. » Et le système ainsi perdure sans bien se rendre compte (ou accepter de regarder en face) qu'il n'est plus tout à fait adapté et en phase avec le monde réel.

 

Sur la base de ce constat, mis en relation avec le résultat d'une recherche précédente (DESS5) mettant en évidence l'évolution du rapport à la formation des apprenants dans une situation de formation à distance, je fais l'hypothèse qu'une modification de modèle pédagogique, via l'introduction de la distance en formation des enseignants, peut entraîner un changement significatif de leurs pratiques professionnelles.

 

Mon souci est de saisir ce phénomène incontournable de "mise à distance de la formation" comme une opportunité de re-questionner les pratiques de formation des enseignants du XXIème siècle. La distance, introduite dans la relation pédagogique, vient déranger les représentations et règles établies, essentiellement ancrées dans le face à face pédagogique, tradition de nombreuses années. Elle peut, de ce fait, être perçue comme un analyseur de la reproduction sociale des pratiques professionnelles repérée.

 

Mon champ de préoccupation ne se veut pas centré sur l'apport des TIC en éducation mais de manière plus globale, sur la dynamique de changement provoquée par la transformation spatiale et temporelle des modes d'intervention : voir ou ne pas voir le professeur, pouvoir le toucher, se laisser porter par le groupe, se fondre en lui ou devoir se prendre en charge dans une relation duale avec l'intervenant ou une relation coopérative avec les autres apprenants, choisir ses temps de formation.

 

Plus précisément je travaille à partir de l'hypothèse suivante « la médiatisation de la relation pédagogique dans un dispositif de formation continue ouverte et à distance des enseignants engendre des modifications de la posture enseignante ». Afin de mettre au point le modèle d'analyse qui me permettra de vérifier l'hypothèse émise, de la manière la plus pertinente possible, je procède, en cette

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5 DESS Education, formation, mise à distance, Paris 2, 1998 ; mémoire « La situation pédagogique de l'apprenant à distance »

 

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deuxième année de recherche, à une phase de pré-test pendant laquelle j'interviewe des enseignants du second degré, en situations diversifiées vis à vis de la formation :

 

·      des enseignants investis dans un dispositif de formation à distance,

·      des enseignants suivant une formation classique (stage présentiel)

·      des enseignants qui ne fréquentent pas la formation.

 

Mes interviews ont lieu avant et après la formation afin d'identifier au plus près les changements supposés.

 

La définition de ma variable indépendante (la médiatisation de la relation pédagogique) et ses indicateurs est actuellement en cours, à partir des écrits de Daniel Peraya. En ce qui concerne la construction de ma variable dépendante (l'évolution des postures enseignantes), j'explore du côté des auteurs suivants : Marguerite Altet, Gilles Leclercq, et Daniel Pratt, ne sachant pas encore très bien à ce jour si je vais me profiler dans l'une de leur démarche d'analyse ou élaborer mes propres outils en croisant leurs différents apports.

 

Conclusion

 

Ce travail de clarification personnelle par rapport à la notion d'autoformation auquel m'oblige la préparation du symposium, constitue pour moi une bonne occasion de me positionner de manière plus déterminée en tant qu'actrice investie dans la recherche et de commencer à situer ma contribution dans le champ scientifique.

 

Cet effort de réflexion a plusieurs effets sur mon projet de recherche. Il participe à une mise en lumière à mes yeux, de l'enchaînement de mes problématiques centrés sur un même acteur, l'enseignant, en deux situations, temps et rôles différents : enseignant en situation d'apprenant à distance et enseignant-praticien en situation de concrétisation dans ses pratiques professionnelles, d'une évolution de posture. M'apparaît alors de manière nouvelle et progressivement plus lisible, la prise d'appui possible sur les travaux effectués dans chacune des deux planètes (éducative et cognitive). Se dégage à cette occasion par exemple, une invitation à explorer avec plus d'attention comment la théorie socio-cognitive élaborée par A. Bandura, pourrait peut-être, me permettre de mieux comprendre «les mécanismes qui président à la façon dont nous construisons et transformons nos perceptions et conceptions de l'environnement social» (notamment conception quant au rôle du formateur et des moyens pédagogiques) ... et comment peut-être une meilleure connaissance de ces mécanismes au niveau de la formation est susceptible de me permettre d'approcher les mécanismes de transfert ou de glissement de postures qui lui sont associés...

 

Ce travail vient également achever de faire vaciller le positionnement en place capitale que j'ai gardé à la notion de distance dans mon projet de recherche. La distance est (définitivement, je crois) posée comme un élément analyseur d'une situation pédagogique en évolution : l'introduction de la distance est l'élément qui vient ébranler la belle construction «modèle scolaire » consolidée depuis de nombreuses années. Plus que la distance, ne serait-ce pas plutôt l'introduction « institutionnalisée » de l'autoformation dans la formation des enseignants ‑ qui s'impose pour maintenir la construction ‑ qui pourrait être levier de développement ?...

 

J'espère que la valeur autoformative à mon égard, de l'écriture de ces quelques pages, participe également un peu à l'avancée du Groupe de Recherche sur l'Autofonnation... Cette pensée me donne l'occasion d'exprimer une dernière question relative à l'équilibre à créer et maintenir dans la relation coopérative : que mobiliser au niveau de la galaxie et des dispositifs pour assurer simultanément au mieux, l'avancée individuelle et collective sur le chemin de la connaissance ?