Symposium
GRAF Bordeaux Mai 2002 |
Patrice Leguy – P. 1 |
Formateur et consultant
chercheur dans le domaine de la formation et du travail, je suis doctorant en
sciences de l'éducation (Tours, dir., Gaston Pineau ). Dans la galaxie, je suis
plus particulièrement sensible à « l'attraction
» de la planète centrée sur l'autoformation dans une perspective
existentielle et expérientielle mais sans exclure bien au contraire « les mises en orbites » opportunes
autour d'autres champs
gravitationnels. Mes recherches en cours portent d'une part sur l'analyse
des transitions socioprofessionnelles des populations dites « les plus éloignées de l'emploi » en
particulier lors de période de retour à l'emploi ou dans des situations de
reconnaissance et de validation des acquis de l'expérience et d'autre part sur
la transmission des savoirs intergénérationnel et la professionnalisation
permanente à travers la culture de l'oeuvre envisagée conjointement comme objet
technique et esthétique. Cette contribution tente de présenter quelques
résultats de ma recherche engagée dans le cadre du doctorat.
Le
chef-d'oeuvre, une expérience existentielle entre travail et formation
Patrice Leguy
Aujourd'hui,
la formation déborde du cadre professionnel et s'étend à l'ensemble de la vie
de l'adulte dans une dimension temporelle. «
L'univers de la formation est en train de se transformer en formation continue,
c'est-à-dire tout au long de la vie et non plus à la fin des études [ ... ] ». Pierre Caspar (2000, p. 77). La
formation s'inscrit aussi dans de nouveaux rythmes alternatifs. Au période
prédéterminée basées sur des étapes successives éducation travail retraite
succède des étapes juxtaposées, plus ou moins bien alternées entre travail,
formation, chômage, non activité volontaire. Avec la métamorphose de l'emploi,
on voit émerger de nouvelles formes alternances entre travail et formation.
L'adulte plus ou moins immature face à ces nouvelles situations doit en
permanence agir, interagir pour maintenir une certaine stabilité personnelle et
professionnelle dans un environnement mouvant. Ces nouvelles configurations,
qui voient se désynchroniser les systèmes personnels temporels face aux
systèmes sociaux et institutionnels donneurs de temps, laissent les adultes
dans des conflits conatifs et cognitifs débouchant sur des situations d'errance
et de « désoeuvrement » entendu comme
une « séparation de sujet de l'homme en
lui interdisant de jouer son rôle dans le renouvellement et la transmission du
patrimoine des générations, privant d'adresse et de destinataire son activité
subjective; le dispensant, contre son gré, de s'acquitter des devoirs grâce
auxquels il pourrait s'assurer qu'il n'est pas superflu »( Clot (Y) 2000,
p.73, La fonction psychologique du travail).
Face à l'éclatement des formes
instituées du travail et de la formation et de leurs rapports, nous sommes à la
recherche de nouveaux modèles qui alternent travail et formation dans une
temporalité prenant en compte la formation permanente des personnes, entre
développement personnel et professionnalisation, et leur offrant les moyens de
maintenir leur autonomie.
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Leguy – P. 2 |
1. Le chef œuvre, une expérience entre pragmatique et
herméneutique
Pour explorer
comment l'adulte effectue la conquête de son temps, prend en main son pouvoir de
formation, dans l'alternance travail-formation, nous nous sommes mis en quête
de pratique qui articule formation professionnelle et formation personnelle.
Nous avons choisi de nous intéresser aux pratiques de chef-d'oeuvre développée
de manière informelles ou expérientielles par certains ouvriers et artisans de
PME-PMI. La majorité des salariés de ces secteurs, à défaut de pouvoir
bénéficier d'actions de formation spécifiques, pour maintenir leur emploi et la
survie de leur métier, développent des stratégies d'apprentissage informelles à
travers des pratiques d'autoformation non seulement en situation de travail
mais également, dans les champs de leur vie sociale et extraprofessionnelle.
(Desforge, ) , (Trivière, ), (Gorz ). Cheminer « vers l'oeuvre de formation » signifie
pour Bernard Honoré que les pratiques de formation ne peuvent plus se
réduire à un arraisonnement technique qui consacre l'impérialisme de
l'expérience au sens scientifique et technologique et évacue l'expérience au
sens de l'épreuve dont la Bildung constitue
la référence . Elle promeut selon Galvani une herméneutique instaurative pour
le sujet. Par conséquent, au delà d'une approche pragmatique de l'expérience,
c'est-à-dire d'une performance professionnelle comprise comme méthode de résolution
de problème consacrant le culte de la réussite technique et héroïque
personnelle. Nous faisons l'hypothèse de travail, que ces artisans cultivent
aussi « des Arts de faire » au
quotidien (de Certeau,81), un « art de
l'existence », par lequel il faut entendre des pratiques réfléchies et
volontaires par lesquelles les hommes , non seulement se fixent des règles de
conduite, mais cherchent à se transformer eux-même, à se modifier dans leur
être singulier et à faire de leur vie une oeuvre (Foucault M .,1984, p.12). « Se mettre à l'oeuvre » nous semble
relever aussi d'un mouvement herméneutique, d'une Bildung de soi prenant ses racines dans le régime nocturne de la
formation, autrement dit d'une tentative d'autoformation entendue comme une
mise en forme et une mise en sens de son existence . Pour Michel Fabre le chef-d'œuvre, l'oeuvre d'art fournit le
paradigme de la formation expérientielle. En elle-même, la formation est
l'accomplissement de l'oeuvre. Elle est le mouvement de vérité comme
dévoilement. (Penser la formation, 1994, p.227)
2. Proposition d'un modèle d'analyse de l'autoformation existentielle à partir d'une expérience de vie.
Le
chef-d'oeuvre constitue-t-il une forme possible d'autoformation existentielle ?
Plus
précisément, il nous semble que la situation de production du chef-d'oeuvre
dans une situation transitionnelle entraîne un processus de formation
expérientiel qui relève d'un modèle initiatique de formation existentiel.
Pour étudier
le processus de formation expérientielle, nous avons choisi de l'appréhender
sur la base de trois cadres d'analyses complémentaires.
Premièrement,
sur un temps long de l'existence, en situant cette expérience dans le cours de
la vie de chacun des sujets rencontrés. Deuxièmement, sur un temps plus court à
partir d'une approche anthropologique de la formation et des transitions en
analysant les interactions entre les pôles du modèle tripolaire dans
l'espace-temps de cette transition ou fragment de vie. Enfin, troisièmement sur
l'analyse du sens de l'expérience vécu pour le sujet entre pragmatique et
herméneutique selon trois niveau de sens à partir des récit de formation
réalisés quelque années après la réalisation de l'oeuvre.
Dans la
perspective du symposium, nous avons choisi de développer les deux premiers
cadres dans chaque approche qui tente d'analyser entre autre les rythmes
sous-jacents au processus de formation.
2.1 Parcours de vie et expérience du chef‑d'oeuvre
Sur le temps
long, nous nous sommes interrogé sur la place de cette expérience dans le parcours
de vie à partir de la question suivante : Quel sont les fondements subjectifs
de cet engagement en formation ?
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Danielle
Riverin‑Simard nous a appris qu'il existe une structure sous-jacente au
parcours de vie discontinus des adultes autrement dit un souterrain au tout
terrain ? Deux lois du modèle « bio‑conatif » des étapes de vie au travail peuvent
nous permettre de comprendre dans quel posture se situe les adultes selon leur
avancée en age. ,
Une des lois
postule que les adultes alternent environ tout les cinq ans entre des périodes
ou étapes de questionnement tout au long de leur vie au travail. Les unes plus
centrées sur des problèmes d'avenir personnel et de finalités professionnelles
à dimension existentielle (les méta finalités) par exemple, la trentaine est
caractérisée par la recherche d'un chemin prometteur, les 45 ans par la quête
du fil conducteur de son histoire. Les autres formes de questionnement (les
méta-modalités) portent sur les choix d'activités socioprofessionnels
compatibles avec ses aspirations. Ce sont des interrogations portant sur la
meilleure tactique pour acquérir des
savoir-faire et des compétences professionnelles afin de réussir dans un nouvel
emploi par exemple.
Une autre loi
proposée postule que les adultes à partir de ces périodes de questionnements
vont adopter des attitudes adaptatives ou créatives de leur histoire de vie
personnelle, collective ou cosmique..
Par
conséquent, il s'agit de rechercher à quel moment du parcours de vie se situe
la réalisation du chef-d'oeuvre. L'hypothèse de travail retenue est que le
moment de l'oeuvre s'inscrit dans une période de questionnement existentielle
et d'attitude créative de son histoire pour le sujet.
2.2 Approche anthropo-formative de l'expérience du chef
oeuvre
Il s'agit donc
de s'intéresser à la trans‑formation expérientielle de la personne qui
crée un chef d'oeuvre Pour approcher la situation de production du
chef-d'oeuvre nous avons travaillé sur la base de deux cadres conceptuels que
nous avons croisé.
Le premier
cadre d'analyse est celui d'une approche anthropo-formative de la formation à
l'aide de la théorie tripolaire développé par Gaston Pineau. Pour tenter
d'appréhender l'expérience formatrice, Gaston Pineau a « forgé » trois outils,
les concepts d'auto‑, d'éco‑ et de co‑formation. Le pôle de
l'auto désignant le soi ; le pôle hétéro‑ ou co‑ les autres et le
pôle éco‑ les choses. L'autoformation se caractérise par l'enchevêtrement
de la réflexivité et de l'interaction entre la personne et son environnement
(Galvani, 1997).
D'ailleurs ce
qui permet à la personne de s'autonomiser se sont les processus de rétroaction
: rétroaction de soi sur soi, ou mouvement de subjectivation, rétroaction sur
l'environnement social (mouvement de socialisation) et rétroaction sur
l'environnement physique (écologisation) ; c'est bien dans le mouvement de
prise de conscience sur les déterminismes sociaux, par exemple, et de réaction
sur ceux-ci afin de changer le rapport de force que s'exprime la prise en main
de soi par soi. Ces trois dynamiques d'autoformation sont des processus de
prise de conscience et de rétroaction de l'auto sur lui-même et sur ses
interactions avec l'environnement physique et social. La formation de la
personne peut alors être définie comme l'histoire des couplages structurels (ou
interactions d'un être avec son environnement physique et social (Galvani,
1997). Ce sont ces couplages structurels qui mettent en forme la personne.
Celle-ci est l'émergence (morphogenèse) et la transformation (métamorphose) des
formes la structurant dans son interaction avec l'environnement tout au long de
sa vie.
On peut alors s'interroger
sur l'origine de la morphogenèse et du déséquilibre du champ de forces entre
les polarités, mais aussi sur la métamorphose du sujet dans le temps et donc de
sa formation. Comment les champs de force interagissent ‑ ils entre eux
dans le temps. Par conséquent qu'en est-il de cette matrice tripolaire sur des
temps plus long, les étapes de la vie ou sur des temps plus court, l'expérience
de l'œuvre, par exemple. Comment s'effectuent les métamorphoses et les
morphogenèses dans des temps longs et des temps courts ? Selon quels rythmes
s'effectuent ces formations permanentes ?
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Le second
cadre envisage le moment de l'oeuvre sur le plan temporel comme un passage expérientiel.
Cette expérience de l'oeuvre, peut être comprise en trois moment ou selon trois
rythme avec le concept anthropologique de liminalité. La notion de liminalité
apparaît d'abord chez Turner et chez Van Gennep pour illustrer les rites de
passage dans les sociétés : la phase de séparation, la phase de liminalité et
la phase de réintégration. Le mot liminalité a pour origine le mot latin
« limen » qui signifie seuil, le seuil de la porte,
l'entrée. Or à quoi sert un seuil ? A départager l'espace : ici et là, en
créant un nouvel espace. Le seuil est ce qu'il faut franchir pour passer d'ici
à là. Quand on est sur le seuil, on n'est plus ici et on n'est pas encore là.
On est entre les deux. On est dans l'entre-deux. Les Américains disent
betwixt-between. [...] Le seuil désigne donc une aire frontière qui chevauche
les terminaisons et les commencements (Houde 1986, p. 151).
Phases de la situation transitionnelle de la réalisation
d'une oeuvre
(dans le cadre du concours MOF)
Seuil de
liminalité Seuil
de liminalité
ou de
rupture ou
de rupture
Date
d’inscription au concours |
Durée de
réalisation du concours (24 mois) <-------------------------------------> |
Période des remise
et de dévoilement de l’œuvre |
Phase
1 : enseignement dans une situation transitionnelle |
Phase
2 : situation transitionnelle ou aire intermédiaire d’expérience |
Phase
3 : intégration de l’expérience |
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Il s'agit d'explorer comment se
construit la personne cette espace eco-socio-temporel à partir d'une
rythmanalyse du processus de formation. Nous proposons la notion de «
rythmomorphogénèse » L'hypothèse de travail retenue ici est que les
interactions entre les pôles, ne s'effectue pas au même moment et avec la même
intensité lors du processus expérientiel. Il y aurait des moments
d'actualisation forte de certain rapport, par exemple auto-éco si l'on pense au
rapport de l'artisan avec la matière et, dans le même temps une mise en
potentialisation du rapport avec les autres polarités.
La dynamique des polarités :
actualisation et potentialisation.
Chaque pôle représente une force d'attraction-répulsion
qui constitue un champ de tension, un entre deux hyper actif d'action,
d'interaction et de transactions entre les pôles. Notre interrogation porte sur
la dynamique de tension des polarités entre elles. On peut faire l'hypothèse
qu'à certain moment les pôles hétéro ou éco n'ont pas la même importance et
surtout n'agissent pas de manière simultanée dans le processus de prise de
forme de la personne. Alors qu'en est-il de la dynamique des polarités dans le
temps ? Le modèle triadique de Gaston Pineau envisage les jonctions terme à
terme entre le sujet et autrui, ou entre le sujet et les objets, les éléments
ou les phénomènes qui affectent notre vie à la limite du biologique. Mais il
nous semble que dans ce modèle dynamique aucune interaction à partir du pôle
auto entre les deux composantes du modèle ne peut être envisagée sans faire
intervenir un troisième terme, c'est-à-dire sans faire intervenir la totalité
du modèle soit de manière déséquilibrée soit de manière harmonieuse. Il y a là une
dynamique qui s'inscrit dans un système complexe d'actualisation et de
potentialisation des polarités qu'il convient d'explorer plus attentivement.
Dans cette recherche sur le plan théorique, nous pouvons donc présenter et
examiner successivement de quelles façons les termes du schéma tripolaire
s'articulent deux à deux sous la forme d'une actualisation, le troisième terme
étant toujours présent sous la forme d'une potentialisation.
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Grille d’analyse anthropo-formative des phases de
trans-formation expérientielle
Actualisation
des polarités |
Potentialisation
des polarités |
Hypothèses
de travail des interactions entre les polarités |
Rythme antrhopologique |
|
|
Avant
la période de la réalisation de l’œuvre AUTO / / HETERO ECO |
Temps
1 Engagement dans la situation
transitionnelle |
|
|
Pendant
la période de la réalisation de l’œuvre AUTO \ \ HETERO ECO |
Temps
2 Situation transitionnelle ou
aire intermédiaire d’expérience |
|
|
Après
la période de la réalisation de l’œuvre AUTO / \ / \ HETERO -------------- ECO |
Temps
3 Intégration de l’expérience |
3. Quelques éléments d'analyse
Compte tenu de
l'avancée des travaux , je propose quelques pistes qui me semble intéressante.
3.1 L'oeuvre comme point remarquable de l'existence
Les résultats
obtenus après l'analyse des bioscopies construites à partir des récits de formation
réalisés avec trois sujets montrent que chacune des personnes rencontrées à
décider de s'engager dans le concours de MOF lors d'une période de
questionnement de type méta finalités et ceci quelque soit son âge. Ce qui
semble majeur à la lumière des trois récits de chacun des meilleurs ouvriers de
France, c'est la possibilité pour chacun d'entre eux de « s'offrir un espace
d'expression et de réalisation de soi ». Ce premier geste peut être
regardée comme le prise en main de son pouvoir d'agir ou de mise en oeuvre de
fonction ou attitudes créatives. Car rappelons que Les fonctions ou attitudes créatives, visent à affirmer son autonomie
individuelle, à aller de l’avant ou à l'encontre du cours naturel des choses ou
des systèmes. Elles forcent l'individu à utiliser toutes les ressources
personnelles afin d'assurer le développement des aspirations et besoins ainsi
que l'actualisations des habiletés, compétences et intérêts professionnels. (…
)
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Elles rejoignent de très près les notions d'actualisation,
de réalisation ou d'assertion de soi qui sont le postulat de plusieurs écoles
de pensée dont la célèbre école de psychologie humaniste (1990, p 40). Pour chacun
des sujets, la production du chef-d'oeuvre une oeuvre matérialise et concrétise
une période créative de son parcours de vie au travail. Cette période procède
pour chacun des sujets rencontrés à une volonté de vivre de manière plus ou
moins consciente un espace/temps de réalisation de soi dans le cours de son
parcours de vie. L'expérience du chef-d'oeuvre représente un espace temps dans
le parcours de vie que nous nommons à la suite de Georges Simondon (1989) comme Point remarquable de l'existence. Il y a dans la vie humaine un
certain nombre de moments particuliers, rayonnants, se distinguant des autres,
qui appellent l'oeuvre. L'oeuvre, résultat de cette exigence de création, de
cette sensibilité aux lieux et aux moments d'exception, ne copie pas le monde
ou l'homme, mais les prolonge et s'insère en eux. Même si elle est détachée
l'oeuvre esthétique ne vient pas d'une rupture de l'univers ou du temps vital
de l'homme ;elle vient en plus de la réalité déjà donnée, lui apportant des
structures construites, mais construites sur des fondations faisant partie du
réel insérés dans le monde. Ainsi, l'oeuvre esthétique fait bourgeonner
l'univers, le prolonge, constituant un réseau d'oeuvres c'est-à-dire des
réalités d'exceptions, rayonnantes, de points clés d'un univers à la fois
humain et naturel. (p184) La
réalisation du chef-d'oeuvre concrétise ce moment particulier de l'existence.
Il établit un lien majeur entre point remarquable et l'esthétique car selon lui
« le caractère esthétique d'un acte ou
d'une chose est sa fonction de totalité, son existence à la fois objective et
subjective, comme point remarquable ».
Si les adultes
décide de s'engager dans la réalisation d'une oeuvre lors d'une étape de vie
mobilisée de manière plus appuyée sur des préoccupations plus centrées sur les
finalités de son existence professionnelle débouchant sur une volonté affirmée
de créer ou d'infléchir sur son histoire personnelle ou collective, en quoi
cette expérience est-elle trans-formatrice ? Comment la réalisation d'un
chef-d'oeuvre permet de s'approprier son pouvoir de formation.
3.2 Vers un modèle initiatique
Nous
constatons que le métabolisme de l'expérience s'effectue sur la base de
processus initiatique :
·
Un déséquilibre morphogénétique de nature hétéro-auto
produit par le besoin de reconnaissance.
C'est le temps des questionnements de
nature existentielles mais aussi des décisions. Il s'effectue dans un rapport
aux autres (prise de l'avis des partenaires professionnels, échange avec le
conjoint sur l'implication des choix, négociation de temps .... ) et dans un
rapport à soi (période de réflexion sur les choix possibles avant la prise de
décision). Dans cette période, le sujet initie un mouvement personnel. Il prend
l'initiative.
·
la liminalité : l'expérience
initiatique de la matière
Cette période
se caractérise par l'intensification des rapports du sujet à la matière et au
chef-d'oeuvre naissant. Ce sont par conséquent le pôle auto et le pôle éco‑ qui sont principalement en
interactions. Pour chacun des récits c’est le pôle éco‑ qui est
caractérisé par le rapport que chacun des artisans entretient avec la matière.
Il s'agit d'une éco‑formation formation
à l'oeuvre. Voyons comment s'effectue ce rapport à la matière. Ce rapport à la
matière est présent pour les trois sujets. Il se caractérise de manières
différentes pour chacun. Pour Michel, il s'agit de comprendre la, matière
qu'est le cuir par analogie avec le bois. Pour Pierrette, le rapport à la
matière est associé au plaisir et à une dimension esthétique centrale dans la
production de l'oeuvre. Alain représente le cas le plus heuristique d'une
transformation des dépendances vis-à-vis de la matière en force autonomisante
pour soi lorsqu'il dit a un moment du récit « la soudure c'est mon écriture. Au travers de cette écriture, c'est presque
l'amour, ce sont des sentiments, des émotions qui transparaissent au travers de
l'oeuvre ! La matière en n'est que le support et quel support pour exprimer une
émotion ! Si on se bat et se dire : la matière, il faut que je la cintre et que
je fasse ... cela ne va pas ! Ce n'est plus une oeuvre, c'est une pièce banale
! Il faut qu'il y ait harmonie entre la matière, encore une fois, et le
créateur! »(Alain meilleur ouvrier de France en Génie climatique)
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Son expérience, au sens d'épreuve nous montre comment il a
su transformer sa relation à la matière. Comment il est passé d'une épreuve de
force à un rapport harmonique avec la matière et avec l'oeuvre. Dans cette
épreuve avec la matière ce n'est pas l'homme qui domine et impose sa loi par la
force, l’exemple d'Alain est significatif sur ce point. Dans ce corps à corps dangereux avec
le monde et la matière, il risque
l'efficacité de son action d'homme,
s'il faiblit ou se révèle inférieur. Si la nature hostile ne se laisse pas
vaincre, l'homme ne peut devenir adulte complet, car un fossé s'est creusé
entre la nature et lui; l'épreuve est un envoûtement de l'être technique pour toute la vie. Elle est une
opération qui crée l'obéissance de la matière à un homme qui
est devenu son maître car il a réussi à la dompter (…) Cette épreuve avec
la matière n'est pas un passage d'examen. Dans cette résistance du réel dans
laquelle l'homme construit son habilité technique, elle est marque de la
puissance de son style au travail. Comme nous le dit Georges Simondon :
Dans l'épreuve une loi du tout ou rien se
manifeste l'homme et le monde s'y
transforme; une union asymétrique s'y institue ; on ne doit pas dire que
l'épreuve manifeste le courage ou l'habileté comme un pur examen, l'épreuve
crée ces qualités qui sont issues de la confrontation de l'homme et de la
matière. De ce rapport d'usage devenu rapport de sage émerge un homme habile et
initié. L'homme habile est celui que le
monde accepte, que la matière aime et auquel elle obéit avec la fidèle docilité
de l'animal qui a reconnu un maître. L'habileté est une forme de puissance et
la puissance suppose un envoûtement rendant possible, un échange de force. (…)
Dans la vraie puissance de l'homme habile, il y a une causalité récurrente. Le
vrai technicien aime la matière sur laquelle il agit; il est de son côté ; il
est initié mais respecte ce à quoi il a été initié ; il forme un couple avec
cette matière, après l'avoir domptée, et ne la livre qu'avec réserve au
profane, car il a le sens du sacré. (Simondon 1989 ; p92) Ainsi pour
construire son autonomie l'artisan doit-il prendre
la mesure de l'éco-nomie (entendu comme la loi des choses) de la matière et
des objets techniques qu'il utilise pour produire son chef-d'oeuvre afin de construire son auto-nomie. C'est
dans ce passage du rapport d'usage au rapport de sage vis à vis de la matière
que se forme l'artisan. L'artisan est alors initié par la matière.
·
Une harmonie, un nouvel équilibre entre les pôles
Ce qui ressort de l'analyse des trois
récits d'expérience à propos c’est une nouvelle harmonie un nouvel équilibre
entre les pôles. C'est l'équilibre entre les trois polarités qui offre une
harmonie personnelle sur la base d'un nouveau rapport à soi aux autres et aux choses.
Dans ce troisième temps, l'artisan devient l'initié.
4. Le
chef-d'oeuvre un modèle initiatique
de formation expérientielle
Avec ces trois
temps, il nous semble pouvoir dire que le chef-d 'oeuvre n'est pas seulement un
modèle de l'initié, c'est-à-dire un rapport d'apprenti à maître. C'est aussi un
modèle d'autoformation dans le sens ou le sujet prend en main le mouvement de
sa propre formation. Tout d'abord il initie le mouvement au sens d'initier un
mouvement. Puis il est l'initié lorsqu'il engage une relation intime avec la
matière . Puis en fin, lorsque l'oeuvre est reçu par les pairs ; il accède à un
nouvel état de connaissance dans ses rapports aux autres, aux choses et à
lui-même, une nouvelle unité existentielle se crée, il devient l'initié. Ces
trois temps initiateurs de l'oeuvre en formation : initiateur, initiation,
initié représentent un modèle alternatif par rapport au modèle didactique de la
formation formelle.
Symposium GRAF Bordeaux Mai 2002 |
Patrice
Leguy – P. 9 |
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