Fiche de lecture, Janvier 2OO2

B.COURTOIS

 

PENSER L’EXPERIENCE

Développer l’autoformation

J. MEZIROW

 

La sortie de ce livre est un heureux événement pour tous les acteurs de la formation d’adultes : J. MEZIROW  nous fait part d’une théorie originale de la formation des adultes, fondée sur une longue expérience personnelle de formation de formateurs à l’université de COLUMBIA (New York) et un cheminement théorique faisant le pont entre les travaux nord américains et les travaux européens. Fait assez rare, l’auteur fait part des grandes étapes de on propre apprentissage transformateur et donne ainsi à voir la cohérence entre son discours et sa propre expérience. Cette publication en langue française est aussi le fruit d’échanges  et de rencontres entre l’auteur et des formateurs européens, qui ont pu avoir lieu grâce à P. DOMINICE (Université de Genève), qui a préfacé l’édition française.

 

La traduction est le fruit d’une collaboration entre un linguiste et un spécialiste du champ de la formation des adultes , D. et G. BONVALOT : il se sont autorisés à modifier le titre original qui met l’accent sur l’apprentissage transformateur (transformative dimensions of Adult Learning), pour mieux faire ressortir  les points clé de la réflexion de J. MEZIROW   : l’expérience revisitée et transformée et une conception de la formation émancipatrice  (développer l’autoformation).

 

Pour les adultes, l’expérience constitue le cœur de la formation, mais elle doit être transformée pour constituer un savoir. Cette théorie de la transformation que l’auteur situe parmi d’autre théories de l’apprentissage des adultes met en jeu principalement, le sens et la réflexion critique menée avec les autres : chaque adulte a acquis dans son enfance sa manière de comprendre le monde à travers son vécu, notamment grâce à la culture à laquelle il appartient et les personnes significatives qu’il a rencontrées. A l’age adulte, il va développer ses capacités critiques, pour interpréter son expérience de façon plus globale, plus ouverte à d’autres points de vue dont la validité  est établie à travers le dialogue rationnel (théorie de l’agir communicationnel d’HABERMAS). Cette transformation est émancipatrice, car elle permet à l’adulte de ne pas subir passivement les interprétations des autres, mais d’expliciter les siennes propres, en dialogue avec les autres et en tenant compte du contexte. L’apprentissage de l’adulte prend donc en compte explicitement sa vie, sa dimension d’historicité et sa dimension sociale .

 

En ce qui concerne le sens, l’auteur insiste sur l’importance du sens de l’apprentissage pour l’adulte (intentionnalité), mais surtout sur le travail sur le sens dans le processus d’apprentissage : le sens comme interprétation de l’expérience est sans cesse produit , mis en question dans le cours de l’apprentissage. De façon opératoire, MEZIROW définit les « perspectives de sens » qui constituent un cadre de références directeur, souvent implicite pour l’interprétation de l’expérience, comportant des dimensions épistémiques, socio-linguistiques et symboliques : il précise ainsi une notion souvent appelée idéologie,  vision du monde,  cadre de références, voire paradigme et donne les moyens aux adultes de travailler par eux-mêmes sur le sens, sans être prisonniers de perspectives de sens implicites, subies appliquées sous forme de « schèmes de sens » à l’analyse de la réalité vécue.

 

Pour cela, il propose une démarche réflexive critique pour interpréter l’expérience et travailler sur le sens : cette réflexion porte sur le contenu, sur le processus et sur les prémisses. La réflexion sur les prémisses, portant sur les apprentissages initiaux et la réévaluation de leur pertinence permet d’accéder à une « transformation de perspective » Ainsi se trouvent travaillées la problématisation (réflexion sur les prémisses) et la résolution de problème (contenu et processus). Il insiste sur la réflexion sur les prémisses, souvent non traitée par les autres auteurs s’intéressant à la formation expérientielle (SCHON, KOLB) et montre à la fois l’importance de cette phase et les risques de distorsion, sources d’erreur à éliminer de l’apprentissage.

 

Cette démarche peut s’appliquer dans tout apprentissage, que l’auteur se référant à HABERMAS (Connaissance et intérêt) regroupe en trois grandes catégories : l’apprentissage instrumental, où il s’agit de maîtrise technique et opérationnelle, l’apprentissage communicationnel, où il s’agit de clarifier les conditions de communication et de l’intersubjectivité, l’apprentissage émancipateur, où se développe la réflexion critique. Pour MEZIROW, l’acte d’apprentissage de l’adulte est presque toujours multidimensionnel , c’est à dire à la fois instrumental et communicationnel , domaines dans lesquels peut s’exercer une réflexion critique, à des niveaux et selon des modalités différentes .Tout apprentissage n’est cependant pas systématiquement transformateur, même si tout apprentissage peut être transformateur.

 

Etudiant ce changement apporté par l’apprentissage transformateur, l’auteur en décrit les étapes, à travers des observations menées sur des groupes  et des individus : il propose plusieurs modèles de transformation. Il nomme ainsi les étapes et identifie un moment fort de l’apprentissage où se produit « un changement de perspective ».Cette transformation de perspective ne correspond pas seulement à une prise de conscience, mais à une prise de conscience du processus de l’expérience et un examen critique du pourquoi de cette expérience. L’auteur a développé ultérieurement dans un livre réalisé avec son équipe le « comment développer la réflexion critique chez l’adulte », ouvrage non encore traduit à ce jour.

 

L’auteur donne enfin des pistes pour mettre en œuvre l’apprentissage transformateur, tant sur le plan des recherches que celui des pratiques : il énumère ainsi quelques recommandations éthiques destinées essentiellement aux formateurs, pour qu’ils puissent développer cet apprentissage sans se mettre en danger (conflit de valeurs) et sans mettre en danger les adultes (frontières formation – thérapie).

 

La thèse de l’apprentissage transformateur et émancipateur se fonde sur une conception de l’adulte multidimensionnel et capable d’évoluer : il a en lui des capacités d’émancipation qu’il peut d’autant mieux  mettre en œuvre si on lui fournit un cadre et des moyens favorables dans un apprentissage transformateur ; l’espace de formation, où le groupe joue un rôle important. Cependant la question se pose des limites du « dialogue rationnel » et donc de la démarche d’HABERMAS pour développer l’apprentissage émancipateur.