Auto-formation,
autodidaxie et formation :
quels rapports ?
Pierre
Landry
Observatoire
des technologies pour l’éducation en Europe
Une
question récurrente se pose : qu’est-ce qui distingue la formation de
l’autoformation et l’autodidaxie de l’auto-formation ? La recherche des
thèmes transversaux des planètes de la galaxie de l’auto-formation permet
d’amorcer une réponse à ces questions.
La formation est une activité de services
organisée par une institution dans le but de faire atteindre un objectif pédagogique
par un groupe d’apprenants qui seront formés par l’institution. L’offre
de formation est déterminée par l’institution pour transmettre un savoir, un
savoir-faire et un savoir-être. A titre individuel, l’apprenant peut choisir
parmi plusieurs offres se rapprochant de ses attentes. En tant que salarié,
l’apprenant se voit imposer le plus souvent des séquences d’apprentissages
correspondant aux attentes de l’entreprise qui l’emploie. Le terme d’apprenant
à remplacer celui de stagiaire dans la mesure où la coopération de la personne
qui se forme est nécessaire pour que l’activité de formation induisent chez
elle un changement. L’individualisation des parcours de formation, le recours à
des ressources éducatives multimédia correspond à une recherche d’efficacité
par l’institution qui reste maître des finalités de la formation : seules
les contraintes de temps , de lieu et de curriculum sont assouplies pour que
l’apprenant puisse plus facilement insérer ses temps de formation dans ses
temps de travail.
Le travail individuel d’apprentissage en centre de
ressources est souvent appelé auto-apprentissage et même auto-formation alors
qu’il ne s’agit que d’une solo-formation imposée, en opposition avec la
démarche autoformative consistant à se donner une forme.
Ces dernières années, l’Etat à chercher à encourager
la reconnaissance des acquis professionnels pour permettre aux salariés,
insuffisamment qualifiés ou désirant changer de métier, des reprises d’études.
Ainsi, il est possible de s’inscrire à l’université en constituant un dossier
pour obtenir des équivalences de modules. Depuis cette année, la reconnaissance
s’étend à l’expérience professionnelle et peut aboutir à des équivalence de
diplômes. L’explicitation de l’expérience a pour seul objectif officiel d’aboutir
à une certification par l’institution.
L’autonomie, souvent citée dans les textes officiels,
est considérée comme un but à atteindre en fin de parcours par l’étudiant ou le
stagiaire à charge pour celui-ci de trouver les moyens pour développer ses
capacités d’autonomie malgré le caractère généralement directif de
l’institution éducative. L’institution peut-elle aller plus loin sans tomber
dans l’injonction paradoxale dénoncée par P. Watzlawick « Soyez
autonomes » ? Par contre, tout dispositif de formation peut créer les
conditions qui favorisent le développement de l’autonomie par les apprenants.
Par définition, l’autodidaxie est une
auto-formation qui se positionne hors de toute institution. Les quatre
dimensions de l’auto-formation (cognitive, éducative, sociale, expérientielle)
s’applique à la réserve près qu’il faut exclure, dans ce cas, de la dimension
éducative, toute initiative provenant d’une institution. L’autodidacte
est une personne qui a eu partiellement accès au système éducatif (sortie
prématurée du système éducatif le plus souvent) et qui cherche à compenser son
manque de formation formelle par un apprentissage en situation avec le recours
à toutes ses relations : les autodidactes ont un réseau relationnel très
dense ce qui va à l’encontre du mythe de l’autodidacte solitaire apprenant dans
les livres. C’est une démarche reposant sur l’autonomie et la détermination qui
permet à l’autodidacte d’exploiter ses marges de manœuvre au profit de son
développement personnel.
L’auto-formation
est un terme englobant , un mot valise qui recouvre des domaines plus ou moins
larges. L’un des objectifs de l’approche de l’auto-formation par les galaxies a
été de préciser les notions mobilisées par ce mot.
Au cœur de la démarche se trouve la notion de réflexivité
qui consiste à se regarder penser, à réfléchir sur ses actions (prise de
conscience, sens critique). Du point de vue cognitif, on parlera de
meta-cognition, de styles d’apprentissage, d’estime de soi ; du point de
vue éducatif on analysera ses manières d’apprendre (méthodes,
organisations) et ses comportements affectifs ; du point de vue social
on s’intéressera aux interactions sociales qui favorisent l’apprentissage
collectif ; du point de vue existentiel on s’interrogera sur les
allants de soi qui influent notre parcours formatif au travers de nos
expériences. L’autonomie n’est ni un préalable, ni un but mais une
démarche : toute personne est (plus ou moins) autonome. La difficulté est
de vouloir se penser en tant que personne capable d’autonomie et de le faire
accepter par les autres.
Le changement radical amené par la démarche
autoformative est la volonté de la personne de se penser elle-même à la fois en
tant que objet et sujet de sa formation, en dehors de tout cloisonnement. Il
n’y a pas la formation d’un côté et l’expérience de l’autre mais une vision
globale de son développement reposant sur une recherche constante d’autonomie
pour interagir consciemment avec les autres et son environnement tant privé que
publique dans une perspective historique.
L’autodidacte |
L’auto-apprenant
|
L’apprenant |
|||
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Dimensions
|
Domaines
|
Thèmes |
|
|
AF existentielle
|
expérience |
historicité |
|||
AF sociale |
action |
autonomie |
V.A.E |
certifier |
|
AF éducative |
affectif/ |
réflexivité |
|||
AF cognitive |
Formation |
transmettre |
|||
Se former hors des institutions |
Se former en interactions avec soi, les autres,
l’environnement, avec ou sans institutions |
Etre formé par l’institution |
|||
Compenser le manque
d’accès au système éducatif |
Etre acteur de sa
formation : co-construire sa forme en mobilisant des ressources humaines
et matérielles |
« consommer »
des services éducatifs pour atteindre un objectif proposé par l’institution |
Dimension
existentielle : réflexion
centrée sur l’expérience, résultat d’actions inscrites dans un parcours, pour
donner du sens à ses choix explicites ou implicites
Dimension
sociale : réflexion centrée sur
l’action collective de partenaires autonomes
Dimension
éducative : réflexion
d’acteurs, se voulant autonomes, sur leurs démarches éducatives
Dimension
cognitives : réflexion sur
l’acte d’apprendre et les conditions d’apprentissage
La réflexivité constitue donc le noyau dur de
l’auto-formation. Elle permet de renforcer son autonomie et de donner du
sens à son parcours formatif conduisant à construire sa forme (histoire de
vie). Elle permet de dépasser la simple recherche d’amélioration de ses
compétences, but premier des activités de formation.
Pendant
longtemps, l’évolution des activités humaines s’est étalée sur plusieurs
générations ce qui permettait aux acteurs sociaux de s’adapter progressivement.
Depuis les années 50, l’accélération brusque des évolutions techniques modifie
en profondeur l’exercice des métiers obligeant les acteurs sociaux à renforcer
leurs qualifications ou à en développer de nouvelles et ceci plusieurs fois
durant leur vie. Il ne suffit plus d’avoir suivi une bonne formation initiale
pour rester insérer dans le monde du travail ou dans la société. Il faut
apprendre en permanence de l’expérience et par des activités formatives dont
l’initiative vient des personnes et/ou des institutions. Il ne suffit plus que
les institutions éducatives renforcent leurs offres de formation par plus de
pédagogie, de didactisme ou de ressources éducatives multimédia. Les
dispositifs de formation devront de plus en plus prendre en compte les
démarches autoformatives en favorisant le développement de l’autonomie des
apprenants. Les organisations et les institutions éducatives devront accepter
de négocier les objectifs d’apprentissages pour obtenir un meilleur équilibre
dans la recherche du développement des personnes et des organisations, non pas
dans une relation dominant/dominé mais dans un esprit de coopération où les
deux parties y trouvent avantages. C’est à ce prix que les dispositifs
incorporant des média informatisés trouveront leur utilité.
De
même que la jeunesse a toujours bousculée les normes instituées des sociétés
démocratiques, amenant celles-ci à s’interroger sur leurs pertinences et à les
faire évoluer, les organisations et les institutions éducatives auraient
intérêt à encourager les démarches autoformatives en leur sein pour évitaient
de se figer sur des modes de fonctionnement inadaptés à leur environnement. On
peut penser ainsi, qu’à terme, les frontières entre autoformation et formation
s’estomperont partiellement sans pour autant que les tensions vitales entre
l’individuel et le collectif disparaissent.