Symposium GRAF, Bordeaux 2002

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Histoires, rencontres et paradoxes de l'autoformation à l'école

 

1. Histoires de rencontres

 

Le présent texte s'enracine dans une histoire de vie que je débuterai par une première rencontre : avec des adultes en formation, avec leurs singularités et leurs hétérogénéités aussi bien dans leurs parcours que dans leurs projets professionnels. Dès 1987, j'ai créé l'un des premiers Centres de Ressources (CdR) de l'enseignement agricole en tant que formatrice, puis responsable et animatrice de ce centre.

 

La deuxième rencontre est liée à la double nécessité de me former tout en m'assurant une stabilisation professionnelle. Je devenais professeur-documentaliste dans un lycée agricole et découvrais les apprenants de la formation initiale : des élèves aux parcours scolaires hétérogènes et aux projets variés (allant de l'absence totale de projet à des projets personnels et professionnels très élaborés).

 

Travailler au niveau national, dans l'enseignement supérieur, en participant à la mise en place du travail en réseau des documentalistes et à leurs formations continues allait m'inciter à reprendre des études, en sciences de l'éducation, ce qui a été à l'origine de ma troisième rencontre : avec les enseignants et les étudiants du CUEEP1 de Lille.

 

En 1999, l'expérience des trois rencontres précédentes me permettait d'accompagner les premières équipes pédagogiques qui démarraient une réflexion sur la mise en place de CdR en formation initiale. Mais si l'enseignement agricole expérimente et innove beaucoup, que ce soit au niveau d'un individu ou d'un projet plus global, proportionnellement en ingénierie pédagogique, les écrits et les évaluations sont rares.

 

Sur quelles bases construire en formation initiale, ces nouveaux dispositifs CdR alliant individualisation des parcours et autoformation ?

 

o     En partant de ce qui existe déjà dans l'enseignement agricole (pédagogie du projet, pédagogie par objectifs, éducation socioculturelle, travail en pluridisciplinarité des enseignants, etc.).

o     En étudiant et en visitant des CdR développés en formation continue.

o     En regardant du côté des pédagogies actives, des lycées autogérés, etc.

 

Mais ces "bases", pour capitales qu'elles soient, ne suffisaient pas à éviter les clichés, les idées reçues et les stéréotypes, sans réels fondements, ni analyses scientifiques, circulant au sein des équipes, : "les élèves sont comme ceci", "les élèves pensent cela" ou encore "les enseignants font ceci", etc.

 

C'est ainsi que pour prendre du recul par rapport à mes pratiques d'ingénierie et pour monter en compétences dans l'accompagnement des projets, je me suis lancée dans l'aventure de la thèse et Philippe Carré a accepté de diriger mes recherches, même si ses préoccupations sont plutôt tournées vers les adultes en formation : premier paradoxe et début de la quatrième rencontre.

 

Mais entre formation continue et formation initiale, nos objets de recherche sont‑ils si éloignés que cela ?

 

2. Histoire de recherche

 

Cette recherche, commencée depuis trois ans et dont le titre est : "de l'autoformation à l'école... à l'école de l'autoformation", vise à vérifier la pertinence de la notion d'autoformation dans le contexte de la formation agricole initiale, à travers des expérimentations auprès de lycéens d'établissements développant des dispositifs CdR.

 

La double problématique de ce travail de recherche, sur la question des objectifs de l'enseignement en formation initiale dans les établissements de l'enseignement agricole ayant un Centre de Ressources, se traduit de la façon suivante :

 

o     Les dispositifs Centre de Ressources développés en formation initiale correspondent-ils uniquement à de nouvelles pratiques pédagogiques, intégrant de l'autoformation ? En d'autres termes : L'école peut-elle être un lieu d'autoformation ?

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1 CUEEP: Centre Université Economie Education Permanente.

 

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o     Les dispositifs Centre de Ressources en formation initiale ont-t-ils pour objectif d'être une propédeutique à l'autoformation de l'adulte et de guider l'élève vers l'apprenance2 ? En d'autres termes : L'école prépare-t-elle à l'autoformation tout au long de la vie ?

 

Hypothèses : En formation initiale, un dispositif Centre de Ressources a des effets sur les apprenants, sur : leurs méthodes de travail, l'ambiance de la classe, leurs résultats scolaires, leur image de soi, leur rapport au savoir et sur leur ouverture d'esprit face au savoir (vers l'apprenance).

 

Méthodologie : Il s'agit d'observer, de façon dynamique, à partir d’un état initial, la mise en place de nouveaux espaces d'apprentissage, les dispositifs CdR dans deux établissements expérimentaux et d'en analyser les effets sur les élèves, à partir d'indicateurs et de données recueillies régulièrement.

 

Si globalement les deux établissements se retrouvent dans la définition d'un CdR3, telle qu'elle est communément admise dans l'enseignement agricole aujourd'hui, chacun a développé son propre dispositif, sa conception d'organisation de la formation et de management en fonction du contexte local, de la culture de l'établissement, de son histoire, etc.

 

Résultats attendus:

 

o     Élaboration d'outils de mesure et d’évaluation d'un CdR en formation initiale.

o     Réalisation de deux monographies des établissements expérimentaux afin de dégager les conditions de mise en place et surtout de stabilisation de tels dispositifs.

o     Travail sur les notions employées : autoformation tutorée, CdR, autodirection, apprenance, etc. Il est important de stabiliser ces notions nouvelles, d'aller vers l'établissement de vocabulaires communs à la communauté des acteurs de la formation initiale.

 

Les analyses des données recueillies auprès des apprenants sur les effets de tels dispositifs sont précieuses pour regarder en quoi et comment la formation initiale prépare à la formation continue, c'est-à-dire à la formation tout au long de la vie. A titre d'exemple, je ne citerai qu'une parole d'élève, recueillie dernièrement, pour qui l'objectif de l'école est, entre autre, de « donner le goût d'apprendre » et de « préparer à la vraie vie ».

 

3‑Histoires de planètes

 

Sans remonter aux idées de l'éducation nouvelle fondées en particulier, sur les écrits de Jean‑Jacques Rousseau4 ou de Condorcet5, le cadre théorique de référence de cette recherche se situe dans la mouvance de grands prédécesseurs anglophones (Knowles, Rogers et Neill) et francophones (Schwartz et Dumazedier).

 

La notion de "self-leaning" se répand aux Etats‑Unis dans les années 60 avec Knowles6 qui développe une théorie de l'éducation des adultes et Rogers partisan de la "liberté pour apprendre". A la même époque Neill écrit en Grande‑Bretagne "Libres enfants de Summerhill"7 qui relate l'aventure de son école autogérée fondée en Grande‑Bretagne en 1921.

 

En France, les bases de l'autoformation accompagnée se retrouvent déjà en 1973 dans le livre de Bertrand Schwartz, l'éducation demain8, au chapitre "Vers l'autoformation assistée", en particulier les liens formation initiale/formation continue, qui sont sous-jacents à la présente recherche. Joffre Dumazedier se penche quant à lui, plus vers une approche sociale de l'autoformation, avec une prise en charge de leur formation par les "sujets sociaux" eux-mêmes9.

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2 En 2000, Philippe Carré réfléchit à une définition de l'apprenance : "C'est un ensemble stable de dispositions affectives, cognitives et conatives, favorables à l'acte d'apprendre, dans toutes les situations formelles et informelles, de façon expérientielle ou didactique, autodirigée ou non, intentionnelle ou fortuite".

3 Le CdR : permet et favorise l'individualisation à plusieurs niveaux (parcours, projets, etc.) par l'utilisation de ressources variées (du cours magistral aux Technologies de l'Information et de la Communication) et par des pratiques d'autofonnation accompagnée.

4 Rousseau JJ. Émile ou de l'Éducation. Classiques Garnier Multimédia : Paris. Introduction et bibliographie de Tanguy L'Aminot. Etablissement du texte, notes et index de François et Pierre Richard. Mise à jour 1999. 666p.

5 Condorcet présenta en 1792 un plan grandiose d'instruction publique.

6 Knowles M. L'apprentissage autodirigé : un guide pour les apprenants et les enseignants.

7 Neill AS. Libres enfants de Summerhill. Editions la Découverte : Paris, Collection Folio/Essais, réédition avril 2000.

8 Schwartz B. L'éducation demain. Une étude de la FONDATION EUROPEENNE DE LA CULTURE. Editions AubierMontagne : Paris. Coll. R.E.S. 1973, 333 p.

9 D'après: Carré P, Moisan A et Poisson D. L'autoformation psychopédagogie ingénierie sociologie. Paris: PUF, Pédagogie d'aujourd'hui, 1997

 

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Si l'on s'en tient à la nouvelle galaxie de l'autoformation10, développée par Philippe Carré lors du 2ème colloque sur l'autoformation de Lille en 1995, mes recherches se classent au sein de la planète de l'autoformation éducative, car nous nous situons résolument dans le cadre d'institutions éducatives, au sein de dispositifs de formation. En première approche, c'est l'évidence même ! Mais qu'en est-il exactement après une analyse un peu plus fine ?

 

3.1 Planète de l'autoformation éducative... évidemment

 

Lorsque chercheur de terrain, j'accompagne des équipes pédagogiques de la formation initiale qui, face à une hétérogénéité et à une certaine démotivation de leurs élèves, expérimentent de nouvelles pratiques intégrées à des dispositifs Centres de Ressources, je me sens tout à fait en accord avec la notion d'autoformation "éducative", chère à Daniel Poisson (1997) et proposée par Philippe Carré (1999) : 'l'autoformation "éducative" recouvre l'ensemble des pratiques pédagogiques visant à développer et faciliter les apprentissages autonomes, dans le cadre d'institutions spécifiquement éducatives, l'autonomisation des apprenants participant du projet pédagogique des formateurs." Les projets de dispositifs émanent bien des enseignants et s'ils ont un certain recul vis-à-vis du terme "d'individualisation", qui est un terme trop connoté formation continue et synonyme pour eux de la fin du groupe classe et des relations sociales qui s'y jouent, l'autoformation accompagnée est omniprésente. il est par ailleurs clairement admis que l'autonomie n'est pas un pré-requis chez les jeunes apprenants, mais bien un objectif de formation.

 

Mais, attention ! Autonomie, n'est pas synonyme de laisser aller et de laxisme. Bien au contraire ! Comme en témoigne les premiers résultats des données que j'ai recueillies auprès des élèves et des équipes pédagogiques : Il faut un cadre administratif et pédagogique très strict, afin de laisser de la souplesse à l'intérieur de ce cadre. C'est le deuxième paradoxe que je pointerai ici.

 

Un autre paradoxe de l'autoformation en formation initiale est celui de la juxtaposition de termes comme "autononie" et "dispositif institutionnel". Pas si paradoxal que cela en fait ! Puisque début 2000, P. Carré laissait entendre dans un séminaire de doctorants que : "c'est dans le jeu laissé par l'institution que tout se construit" et que dans la même période, comme en échos, un inspecteur général de l'enseignement agricole affirmait : "Les enseignants sont soumis aux référentiels de formation et aux programmes. Mais, par rapport au contenu d'une formation, ceux-ci disposent de 20% de marge de manoeuvre, soit 20% d'autonomie sur le temps pédagogiqu11.

 

Mais si la planète de l'autoformation "éducative" symbolise la base nécessaire de ma problématique de recherche, elle n'est pas suffisante et possède ses dérives et ses limites.

 

Comme Annie Jézégou (1998), je m'inscris en faux contre l'autoformation "prescrite"12 qui est une dérive facile d'un projet porté par des enseignants et non par des apprenants capables d'avoir une attitude métacognitive et d'effectuer des choix.

 

Une autre dérive est d'instrumentaliser l'individualisation avec des ressources et/ou l'introduction de technologies éducatives sans accompagnement ni changement dans la relation pédagogique (Pineau, 1983).

 

Hervé Prévost (1994) quant à lui, remarque que les dispositifs d'individualisation de la formation mis en place dans les institutions doivent s'accompagner de l'autodétermination de l'apprenant.

 

Une des limites est qu'il semble difficile d'effacer d'un coup de baguette magique des années d'habitudes (aussi bien pour l'enseignant que pour l'élève d'ailleurs !). L'enseignant est maître dans sa classe et ce qu'il va qualifier "d'autoformation" est bien souvent de la pédagogie différenciée : il va choisir une pédagogie13 qui peut être une pédagogie active d'ailleurs, en fonction de la classe, de son niveau, de sa motivation, etc. Comme il est courant de l'entendre, l'élève est "placé au coeur du dispositif", certes... mais il n'a pas son mot à dire ! Il ressemblerait plus à un pot de géranium placé au milieu d'une cours et qui s'adapterait à son environnement14

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10 La nouvelle galaxie de l'autoformation (P. Carré, in Carré, Mékluz et Poisson, 1996) d'après Carré P, Moisan A et Poisson D. L'autoformation psychopédagogie, ingénierie, sociologie. Paris: PUF, Pédagogie d'aujourd'hui, 1997

11 Au lycée expérimental de l’Est de la France, que nous appellerons "Wagner", les "plages d'autoformation" représentent effectivement environ 20% de l'emploi du temps des élèves.

12 "de 3 à 4 heures, tu iras en autofonnation", parfois même l'injonction est de se rendre en "cours d’autoformation"

13 exemple : une année il proposera à une classe d'atteindre un objectif grâce à un travail sur documents et à une restitution par les élèves, une autre année, ce même objectif sera atteint grâce à un cours magistral.

14 L'élève pendant des années a appris (Philippe Perrenoud parle même "du métier d’élève") à se comporter en classe, à s'adapter à chaque enseignant, à réagir en fonction des évènements. Avec un recul de deux années, je m’aperçois que les dispositifs CdR, intégrant individualisation des parcours et autoformation, commencent à avoir des effets sur les apprenants lorsque le dispositif est global et qu'il s'inscrit dans la durée.

 

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3.2 Planète de l'autoformation cognitive

 

Cette planète de "l'apprendre à apprendre" est le complément indispensable de la précédente, afin que l'autoformation se traduise par la mise en acte dans des dispositifs de formation de l'apprentissage autodirigé15. Comme le dit Philippe Carré, "il convient de regarder l'accès, la transmission et l'appropriation des savoirs avec les yeux du sujet social"16 , afin que celui‑ci (l'élève dans notre cas), capable d'avoir une attitude métacognitive et d'effectuer des choix, devienne acteur de sa propre formation. Pour Long (1989), l'apprentissage autodirigé ou autodirection fait référence à :

 

o     l'autodétermination qui renvoie aux notions de motivation, de choix et de projet. Les notions de projet, de pédagogie de projet, de projet professionnel sont très développées dans l'enseignement agricole et plus particulièrement dans les établissements qui développent des pédagogies actives et des dispositifs CcR

o     et à l'autorégulation, qu'elle soit comportementale, environnementale ou interne (Zimmerman, 2001) qui implique des processus d'auto-observation et des attitudes métacognitives. Cela permet ainsi à l'élève de modifier son comportement en réaction à l'environnement, mais aussi d'agir sur cet environnemen17.

 

Mais attention ! Si des élèves, à leur entrée en classe de seconde sont capables de choisir "d'aller en maths", s'ils ont des lacunes dans cette matière, nombreux sont ceux qui préfèrent aller vers les disciplines pour lesquelles ils n'ont pas de besoin ou dont ils préfèrent l'enseignant ! Etre capable de choisir, ce n'est pas facile et cela s'apprend : c'est pour cela que nous parlons d'autoformation "accompagnée". L'enseignant redevient le "pédagogue" au sens étymologique du terme, c'est-à-dire celui qui accompagne son élève en cheminant à côté.

 

3.3 Planète de l'autoformation existentielle

 

L'autoformation existentielle est définie par G. Pineau comme un processus de "formation de soi par soi" et selon la formule d'E. Faure comme : "apprendre à être" (Carré, Moisan, Poisson, 1997). A leur arrivée au lycée, certains élèves sont "mal dans leur peau", ne savent pas où ils en sont ne sont pas capables de faire des projets, même à court terme. Beaucoup ont par ailleurs une image d'eux-mêmes très négative18. Apprendre à être est souvent pour eux un préalable à tout apprentissage et à toute construction de savoirs.

 

Un autre versant de cette planète est lié d'une part à l'éducation permanente, qui est proche de la planète de l'autoformation intégrale (voir infra) et d’autre part à la formation expériencielle19. Celle‑ci faisait partie de la culture de l'enseignement agricole à son origine, les élèves étant d'origine rurale pour la plupart. Aujourd'hui, le recrutement est beaucoup plus divers et des enseignants réfléchissent à la façon de prendre en compte les acquis et les expériences, parfois douloureuses, de chaque élève.

 

3.4 Planète de l'autoformation sociale

 

Au regard de la définition retenue par Philippe Carré (1999), "l’autoformation sociale renvoie à toutes formes d'apprentissage réalisées par les sujets eux-mêmes, à l'extérieur du champ éducatif au sens strict". En première lecture, celle-ci ne concernerait donc pas mon champ de recherche.

 

Mais une lecture plus attentive, permet de remarquer que celle-ci a lieu "dans et par la participation à des groupes sociaux et en bénéficiant de formes de médiations diverses". En formation initiale, le "groupe classe" est au coeur du dispositif de formation, c'est là que se jouent certains rapports sociaux et plus généralement une partie de la socialisation des élèves. Dans l'enseignement agricole, la socialisation des apprenants et leur ouverture d'esprit ont été une priorité dès les années 60, grâce à la création des centres socioculturels, gérés par des animateurs (à l'origine de nombreux clubs), devenus depuis des enseignants à part entière, nantis d'heures de "cours".

 

Aujourd'hui, dans les classes qui bénéficient de plages d'autoformation, de nouveaux rapports s'instaurent entre les élèves (entraide, travail de groupe, apprentissage vicariant, etc.). L'un des mythes de l'autoformation20 le mythe de Robinson ('l'autoformation, c'est la soloformation ) est ainsi battu en brèche.

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15 Carré, Moisan, Poisson, 1997, op. cit.

16 Philippe Carré, document de travail sur "la double dimension de l'apprentissage autogéré", novembre 2001.

17 Les élèves du lycée "Wagner" peuvent faire des propositions, en fonction de leurs besoins, d'activités dans le cadre des "plages d'autoformation".

18"j'ai toujours été mauvais en maths", "un prof m'a dit que j'étais trop nul pour pouvoir suivre cette formation", etc.

19 B. Courtois, 1995

20 Brouet, 0. et Carré, P. (sous la direction de). Dossier: Faut‑il avoir peur de l'autoformation ? Cahiers pédagogiques, n°370, janvier 1999.

 

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3‑5 Planète de l'autoformation intégrale

 

Deux raisons m'incitent à ne pas me situer dans le courant ancien de l'autoformation intégrale qui renvoie à l'autodidaxie.

 

o     "Le critère d'identification (de celle-ci) repose sur le fait d'apprendre en dehors de tout lien avec les institutions et agents éducatifs formels" (Carré, 1999).

 

o     Par ailleurs, elle fait référence non pas à l'enfant ou à l'adolescent, mais à l'adulte21

 

Par contre, le courant récent de la néo-autodidaxie (Le Meur 1998), moins restrictive dans sa définition, me permet de situer celle-ci :

 

o     lors de situations d'apprentissages informelles diverses, en des lieux variés,

 

o     en amont de l'entrée des apprenants dans une institution scolaire : en théorie, les élèves ont le choix de s'inscrire ou non dans un établissement22 ,

o     et en aval, à la sortie de l'école des élèves, reprenant l'idée "d'apprenant permanent" de J. Dumazedier (1980) et la nécessité d'une néo‑autodidaxie due à une société qui "appelle des apprentissages ininterrompus de savoirs récents dans tous les domaines" et qui "utilise en particulier les nouveaux moyens pédagogiques de plus en plus disponibles"23, je fais le lien avec la problématique de ma thèse : l'école prépare-t-elle à l'autoformation tout au long de la vie ?

 

N'y aurait-il pas des liens à tisser entre la néo-autodidaxie et la notion d'apprenance ?

 

4. Conclusion provisoire

 

A la suite de J. Dumazedier (1985), je reprends à mon compte l'idée que l'autoformation s'inscrit dans un processus éducatif global qui s'exerce à tous les âges de la vie, depuis la plus tendre enfance, sous toutes les formes et dans tous les cadres formels ou non. Développer le désir et la capacité d'apprendre, toujours en accord avec Dumazedier, ainsi que cette attitude "d'apprenant permanent", devrait être l'un des objectifs dévolus à la formation initiale.

 

Lors d'une conférence solennelle qui vient d'avoir lieu à Dijon à L'Enesad24 , Edgar Pisani25, hésitant entre nostalgie et perspectives, est intervenu en particulier sur le thème du système éducatif agricole. Pour lui, l'enseignant a la responsabilité de permettre à un "être" d'acquérir.

 

o     les compétences, nécessaires à de vrais professionnels,

o     mais aussi et surtout des capacités : méthodes, curiosité, sociabilité, etc. qui sont des éléments essentiels pour que tout homme puisse apprendre à tout instant.

 

Je le rejoins également lorsqu'il considère comme une erreur le fait que la "formation professionnelle" utilise les mêmes méthodes éducatives que la formation initiale. En effet, généralement la formation continue est considérée comme la continuation de l'école. Dans la logique de mon histoire de vie, je propose un changement de posture, qui inverserait la logique actuelle : l'école serait une manière de se préparer à la formation tout au long de la vie, avec l'andragogie qui permettrait l'évolution de la pédagogie et non l'inverse, les enseignants devenant... des formateurs26.

 

Ainsi, la place de l'autoformation, "notion floue, mais valeur profondément juste"27 , serait au coeur des rencontres de pratiques pédagogiques et de la préparation à la "vraie vie".

 

Anne-Françoise Trollat Bordeaux, le 9 mai 2002

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21 Référence à "l'apprentissage adulte indépendant" (Carré, 1992)

22 Avec toutes les réserves quant aux possibilités réelles de choix : obligation de l'école jusqu'à 16 ans, admissions dans les établissements dépendant des situations géographiques, des dossiers des candidats, etc.

23 Le Meur, G. Les nouveaux autodidactes. Néo‑autodidaxie etfonnation. Lyon: Chronique sociale, 1998. 24 Enesad: Etablissement National d'Enseignernent Supérieur Agronomique de Dijon

25 Edgar Pisaiù a été un ministre marquant de l'agriculture dans les années 60. Il a accompagné les mutations du monde agricole, a peaufiné la première loi &orientation agricole, a participé à la création de lEurope agricole, a été à l'origine de la mise en place de la recherche agronomique et des premiers lycées agricoles (en particulier, création des centres socioculturels, permettant ouverture d'esprit, responsabilisation et socialisation des élèves).

26 Certains enseignants commencent à l'avouer... du bout des lèvres!

27 Carré, P. Un état de la recherche sur l'autoformation. Communication au 6 colloque sur l'autoformation. Montpellier, 5 décembre 2001.