Contribution de Bernard Blandin

Travaux récents ou en cours

Rédiger sa thèse est une occupation fortement consommatrice de temps, mais cette activité de finalisation d’une recherche est en même temps productive. Réécrire sa thèse pour satisfaire aux contraintes d’un éditeur est tout aussi consommateur de temps, sans pour autant produire de nouveaux savoirs. Encore que… J’y ai appris à économiser les mots.

 

Mais tout cela s’est fait au détriment de la recherche qui reste pour moi, comme me l’a fait remarquer récemment un collègue gallois, un « hobby », une façon d’essayer de comprendre ce que je fais par ailleurs au quotidien dans mon activité professionnelle. Donc peu de nouveautés en ce qui me concerne, mais un retour réflexif sur des notions utilisées au quotidien dans mon activité professionnelle, comme « apprendre », « former », « ingénierie pédagogique »… Ce qui m’a conduit, d’une part, à étudier le fonctionnement du cerveau à travers la lecture d’ouvrages récents dans le champ des neurosciences cognitives, et d’autre part à me plonger dans les sciences de l’éducation, tout en poursuivant la lecture des fondateurs de la sociologie, et notamment de Simmel.

 

Cet étrange cocktail m’amène, lentement mais sûrement, à tenter de faire le lien entre mon travail de thèse et la pédagogie, à travers un questionnement que je résumerai ainsi :

-         Les conceptions des processus d’apprentissage et de leur accompagnement (la pédagogie), s’inscrivent-elles dans le monde matériel, dans les objets ?

-         Si oui, comment la forme particulière de « relation éducative » qui découle d’une certaine conception des processus d’apprentissage et de leur accompagnement se réifie-t-elle ?

-         Cette réification n’induirait-elle pas, à son tour, l’apprentissage de schèmes sociaux particuliers, assurant ainsi en quelque sorte sa reproduction ?

-         Ne doit-on pas y voir, dans ce cas, une des causes des difficultés à faire évoluer les pratiques et à changer de paradigme éducatif ?

 

Un retour sur des textes fondateurs, comme la Grande Didactique de Comenius, pour y chercher les indications d’un tel processus de réification de la relation éducative, est éclairant ! D’où ma volonté de poursuivre dans cette voie, où j’ai commencé à poser des balises aux détours de mes articles récents.

Projets et perspectives

Mon projet est un projet théorique d’étude de la « relation éducative », non comme simple relation sociale, mais comme système de relations entre des sujets, qu’ils soient en position d’« apprenant » ou de « formateur », et des objets dans lesquels sont incarnés ou réifiés des savoirs, des modes opératoires, des représentations sociales, etc.

 

Dans un tel système, les relations des sujets – quelle que soit leur position – avec les objets sont à la fois le produit de l’histoire et de l’expérience de chacun, et de la relation sociale qui se créée du fait de leur « rencontre », qu’elle soit fortuite ou intentionnelle, organisée d’une manière institutionnelle ou non. La capacité réflexive de chacun sur sa propre histoire et le degré d’intentionnalité de chacun dans ces rencontres – autre façon de dire l’« autodirection » – sont, me semble-t-il, parmi les déterminants de l’issue de ces situations.

 

Poser la problématique en ces termes permet, une fois explicité la structure du système de « relations éducatives » – et donc des systèmes éducatifs –, d’interpréter leur dynamique en termes de dynamique de rapports sociaux, comprise comme mise en jeu et en tension des forces des acteurs en présence et des formes qui cadrent leur agir, ces formes étant elles-mêmes le produit de rapports sociaux antérieurs.

 

Cela éclaire aussi, en même temps, les raisons de la lenteur des transformations des systèmes éducatifs, et la difficulté d’un changement de paradigme éducatif, du moins tant que le rapport de force sera en faveur du statu-quo et que la défense des formes existantes prédomine.

 

J’ai aujourd’hui une vision assez claire du chemin qui permettra de faire aboutir un tel projet. Mais il me reste encore à trouver le temps de le parcourir !

Et l’autoformation ?

A dessein, je n’ai pas employé jusqu’ici le mot d’autoformation. En fait, et c’est le cas depuis longtemps, je ne m’intéresse pas à la notion d’« autoformation » en tant que telle ! J’essaye de comprendre ce qui fait qu’un être humain peut ou non avoir une certaine maîtrise de son destin, et pourquoi, dans le processus historique qui a vu l’apparition, le développement et la reconnaissance du « sujet », le sujet social apprenant reste ignoré, alors qu’apprendre est l’acte vital spontané le plus nécessaire et le plus répandu qui soit… La conscientisation de cet acte est désignée aujourd’hui par le terme « autoformation », après l’avoir été par celui d’autodidaxie.

 

On peut débattre sur ces termes. Mais pour moi, ce débat n’est pas prioritaire, et les priorités d’aujourd’hui sont :

1)      de mener des travaux théoriques pour comprendre ce qui freine cette conscientisation,

2)      d’essayer d’influer sur les jeux institutionnels pour modifier les rapports de force en faveur d’un paradigme éducatif émancipateur, quel que soit le nom qu’on lui donne.

 

Le projet théorique décrit dans ce texte s’inscrit dans le premier axe ; la promotion des idées émancipatrices, notamment à l’occasion de manifestations comme le Salon de l’éducation dans le second. Et cela clarifie, pour moi, le rôle et le sens de l’A-Graf : la prise en charge de ce second axe ; les débats théoriques restant l’apanage du GRAF.