Rédiger sa thèse est une
occupation fortement consommatrice de temps, mais cette activité de finalisation d’une
recherche est en
même temps productive. Réécrire sa thèse pour satisfaire aux contraintes d’un
éditeur est tout aussi consommateur de temps, sans pour autant produire de
nouveaux savoirs. Encore que… J’y ai appris à économiser les mots.
Mais
tout cela s’est fait au détriment de la recherche qui reste
pour moi, comme me l’a fait remarquer récemment un collègue gallois, un « hobby »,
une façon d’essayer de comprendre ce que je fais par ailleurs au quotidien dans
mon activité professionnelle. Donc peu de nouveautés en ce qui me concerne,
mais un retour réflexif sur des
notions utilisées au quotidien dans mon activité professionnelle, comme
« apprendre », « former », « ingénierie pédagogique »… Ce qui m’a conduit, d’une part, à étudier le
fonctionnement du cerveau à travers la lecture d’ouvrages récents dans le champ
des neurosciences cognitives, et d’autre part à me plonger dans les sciences de
l’éducation, tout en poursuivant la lecture des fondateurs de
la sociologie, et notamment de Simmel.
Cet
étrange cocktail m’amène, lentement mais sûrement, à tenter de faire le lien
entre mon travail de thèse et la pédagogie, à travers un questionnement que je
résumerai ainsi :
-
Les conceptions des
processus d’apprentissage et de leur
accompagnement (la
pédagogie), s’inscrivent-elles dans le monde matériel, dans les objets ?
-
Si oui, comment la forme
particulière de « relation éducative » qui découle d’une certaine
conception des processus d’apprentissage et de leur
accompagnement se réifie-t-elle ?
-
Cette réification
n’induirait-elle pas, à son tour, l’apprentissage de schèmes
sociaux particuliers, assurant ainsi en quelque sorte sa reproduction ?
-
Ne doit-on pas y
voir, dans ce cas, une des causes des difficultés à faire évoluer les pratiques
et à changer de paradigme éducatif ?
Un
retour sur des textes fondateurs, comme la Grande Didactique de Comenius, pour
y chercher les indications d’un tel processus de
réification de la relation éducative, est éclairant ! D’où ma volonté de
poursuivre dans cette voie, où j’ai commencé à poser des balises aux détours de
mes articles récents.
Mon
projet est un
projet théorique d’étude de la « relation éducative », non comme
simple relation sociale, mais comme système de relations entre des sujets,
qu’ils soient en position d’« apprenant » ou de
« formateur », et des objets dans lesquels sont incarnés ou réifiés
des savoirs, des modes opératoires, des représentations sociales, etc.
Dans
un tel système, les relations des sujets – quelle que soit leur position – avec
les objets sont à la fois le produit de l’histoire et de
l’expérience de chacun,
et de la relation sociale qui se
créée du fait de leur « rencontre », qu’elle soit fortuite ou intentionnelle,
organisée d’une manière institutionnelle ou non. La capacité réflexive de chacun
sur sa propre histoire et le degré d’intentionnalité de chacun dans ces
rencontres – autre façon de dire l’« autodirection » – sont, me semble-t-il, parmi les
déterminants de l’issue de ces situations.
Poser la problématique en ces
termes permet, une fois explicité la structure du système de « relations
éducatives » – et donc des systèmes éducatifs –, d’interpréter leur dynamique
en termes de dynamique de rapports sociaux, comprise comme mise en jeu et en
tension des forces des acteurs en présence et des formes qui cadrent leur agir,
ces formes étant elles-mêmes le produit de rapports sociaux antérieurs.
Cela éclaire aussi, en même temps, les raisons de la lenteur des
transformations des systèmes éducatifs, et la difficulté d’un changement de
paradigme éducatif, du moins tant que le rapport de force sera en faveur du statu-quo
et que la défense des formes existantes prédomine.
J’ai aujourd’hui une vision assez
claire du chemin qui permettra de faire aboutir un tel projet. Mais il me reste encore à
trouver le temps de le parcourir !
A
dessein, je n’ai pas employé jusqu’ici le mot d’autoformation. En fait, et c’est le cas depuis longtemps, je ne
m’intéresse pas à la notion d’« autoformation » en tant que
telle ! J’essaye de comprendre ce qui fait qu’un être humain peut ou non
avoir une certaine maîtrise de son destin, et pourquoi, dans le processus historique
qui a vu l’apparition, le développement et la
reconnaissance du « sujet », le sujet social apprenant
reste ignoré, alors qu’apprendre est l’acte
vital spontané le plus nécessaire et le plus répandu qui soit… La conscientisation
de cet acte est désignée aujourd’hui par le terme « autoformation »,
après l’avoir été par celui d’autodidaxie.
On peut débattre sur ces
termes. Mais pour moi, ce débat n’est pas prioritaire, et les priorités
d’aujourd’hui sont :
1) de mener des travaux théoriques pour comprendre ce
qui freine cette conscientisation,
2) d’essayer d’influer sur les jeux institutionnels
pour modifier les rapports de force en faveur d’un paradigme éducatif
émancipateur, quel que soit le nom qu’on lui donne.
Le projet théorique
décrit dans ce texte s’inscrit dans le premier axe ; la promotion des
idées émancipatrices, notamment à l’occasion de manifestations comme le Salon
de l’éducation dans le
second. Et cela clarifie, pour moi, le rôle et le sens de
l’A-Graf : la prise en charge de ce second axe ; les débats théoriques
restant l’apanage du GRAF.