Contribution de Pierre Landry

Travaux depuis le dernier symposium

Ils portent d’une part sur le rapport entre expérience et autoformation (cf. présentation du groupe de « Expérience et autoformation ») et d’autre part sur l’apport de l’autoformation à des dispositifs innovants de formation faisant appel à l’initiative des apprenants.

Si l’expérience est reconnue comme source de compétences professionnelles comme le montre les travaux de Kolb, elle est beaucoup moins acceptée dans le monde de l’éducation malgré le plaidoyer de Dewey et de ses successeurs. Concernant la formation d’adulte, Mezirow, dans son livre Penser son expérience[1], s’appuyant sur les théories de l’Agir communicationnel d’Habermas[2], propose une démarche pour libérer nos capacités créatrices et notre pouvoir d’agir par une autoformation individuelle et collective distinguant l’apprentissage instrumental de l’apprentissage communicationnel. Mais, comme le répétait souvent Joffre Dumazedier, c’est par la pensée critique que l’on peut combattre les préjugés et résister aux stéréotypes. Pour atteindre cet objectif, la notion de communautés de pratique[3], telles que pratiquées aux États-Unis, peut-elle y contribuer en facilitant la négociation du sens de l’action, de l’expérience, de l’appartenance à un groupe et de ce que l’on devient ? Avec la mise en place de la loi sur la validation des acquis de l’expérience, une opportunité se présente pour montrer que les pratiques d’autoformation sont utiles pour limiter les dérives instrumentales de cette validation.

L’enseignement supérieur qui a pour objet de développer une pensée critique devrait être « naturellement » le terrain d’élection de l’autoformation. Qu’en est-il ? Pour approfondir ce sujet, j’ai collaboré avec l’équipe réunie par Brigitte Albéro pour la sortie du livre Autoformation et enseignement supérieur[4].

Les TIC au service des nouveaux dispositifs de formation est le titre du n°152 de la revue Éducation Permanente[5]. Une journée de débats autour de cette production a été organisée à l’ENST à laquelle j’ai participé avec 7 autres grafistes (un compte rendu de cette journée a été diffusé à tous les membres). La question de l’autonomie de l’apprenant était au cœur du débat et débouche sur le rôle possible de l’autoformation dans ces dispositifs.

 

Apports au collectif GRAF et suggestions d'actions que le GRAF pourrait entreprendre

En tant que membre du bureau de l’A-GRAF, en cours de constitution, j’aimerai favoriser les échanges entre les membres de l’association par un usage raisonné d’outils (mèl, site AUTOGRAF[6], site « collaboratif[7]) pour appuyer les initiatives « concrètes » des membres.

Je participerai au fonctionnement de la « gazette » que gère Mohammed Melyani.

Je compte supporter les deux initiatives en projet : le colloque qui devrait se tenir au Maghreb en 2004 et les conférences lors du prochain salon de l’éducation.

Une action de communication devrait être entreprise vers les enseignants pour relier les initiatives favorisant l’autonomie dans la formation initiale (TPE, etc.) avec les travaux sur l’autoformation mais aussi vers les formateurs pour réfléchir sur la mise en place de la validation des acquis de l’expérience.

On pourrait établir une relation « forte » avec le groupe e-pathie (M. Linard, B. Albéro, G. Jacquinot, etc.) qui réfléchit également sur l’autoformation.

 

Contribution au débat

L’autoformation comme démarche intégrative

 

Un des effets du monde moderne[8] est d'enfermer les personnes dans des catégories, plus ou moins exclusives, bien identifiées : élève, étudiant, travailleur, chômeur, inactif, retraité, etc. Serait-ce dans un souci d’efficacité de gestion sociale que l’on aboutit à un tel éclatement de la personnalité ? Le système éducatif est à l’origine ou est calqué sur ce découpage : formation initiale, formation professionnelle, formation continue. Ainsi, la plupart des formations formelles sont organisées par des institutions et répondent en majeure partie à des besoins collectifs : transmettre des savoirs et une culture commune, préparer à une vie professionnelle ou développer les compétences professionnelles. Peu de place est faite au développement personnel même si des organismes privés proposent des formations allant dans ce sens.

 

Cette manière d’encadrer l’offre de formation a pour conséquence une certaine déresponsabilisation des personnes par rapport à leur propre formation qui peut expliquer, en partie, le désarroi d’une part importante des collégiens (40%), les difficultés rencontrées par beaucoup d’étudiants démarrant des études supérieures mais aussi le peu d’enthousiasme de beaucoup d’adultes à parfaire leur compétence, particulièrement quand ils en ont l’obligation pour rester compétitif sur le marché du travail.

 

Quand le système de formation initiale fonctionnait à « deux vitesses » (enseignement court conduisant au certificat d’études ; enseignement long ouvrant la voie du lycée et des études supérieures) et que l’offre de formation continue institutionnelle était quasi inexistante, ceux qui voulaient étudier avaient le choix entre l’éducation populaire ou se former par eux-mêmes en autodidaxie, hors de toute institution.

 

Cette opposition hors/dans l’institution éducative a-t-elle encore vraiment un sens alors que l’offre de formation n’a jamais été aussi abondante ? Si l’on y regarde de plus près, peut-il y avoir apprentissage conduisant à une transformation de la personne sans implication forte de celle-ci, sans une prise de conscience des remises en cause induites par les contenus traitées par les enseignants ou les formateurs ? Un élève à une famille, des camarades, des activités extra-scolaire qui sont autant de terrains d’expériences qui contribuent à son apprentissage de la vie au moins autant que ses activités scolaires. Un apprenant adulte à des amis, des relations, des activités culturelles, sportives, associatives en plus de ses activités professionnelles qui sont sources d’expériences qui viennent enrichir ses connaissances sur soi, les autres et son environnement et constituent les bases sur lesquelles se développeront ses compétences professionnelles.

 

En situation de formation formelle, ce contexte de vie formera la toile de fond des situations d’apprentissage et influencera la manière dont l’apprenant acceptera ou rejettera le changement qui devrait résulter de la formation suivie.

 

L’autoformation serait alors la démarche intégrative qui nous permettrait de tirer partie de nos expériences de toutes natures, les situations d’apprentissage n’étant qu’un cas particulier de celles-ci. Développer ses capacités d’autonomie, de réflexivité, de compréhension des autres, d’analyse critique des situations, capacités qui sont mobilisées dans les démarches d’autoformation, c’est se préparer à être un citoyen responsable, sachant équilibrer ses besoins personnels avec ceux de la communauté. L’autoformation est de ce fait une protection contre la tendance à l’individualisme.

 

Les besoins de formation tout au long de la vie suscités par la complexité de la vie moderne[9] ne pourront être satisfaits que par la recherche d’un meilleur équilibre entre formations formelles et informelles mais aussi par la réorganisation des formations formelles. Ainsi, la réforme du système éducatif primaire et secondaire coréen stipule que « les capacités d’apprentissage auto-dirigé doivent être encouragées et développées par la mise en pratique de l’apprentissage centré sur les discussions, en favorisant l’investigation, l’expérimentation, la résolution de problèmes et des stratégies d’apprentissage autres que les pratiques à sens unique centrées sur l’enseignant et le livre de cours. »[10]

 

L’autoformation serait alors une manifestation de la métis des grecs dans le processus d’apprentissage. D’après M. Détienne et J.-P. Vernant[11] la métis est une catégorie mentale et non une notion, qui est toujours immergée dans une pratique en ne se souciant à aucun moment d'expliciter sa nature ou de justifier sa démarche. La définition qu’ils en donnent pourrait s’appliquer aussi bien à la manière d’apprendre en autoformation : c’est " un mode de connaître; elle implique un ensemble complexe, mais très cohérent d'attitudes mentales, de comportements intellectuels, qui combinent le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d'esprit, la feinte, la débrouillardise, l'attention vigilante, le sens de l'opportunité, des habiletés diverses, une expérience longuement acquise" (1974, p 9-10).

 

Dans cette optique, l’autoformation ne vient plus en opposition avec la formation formelle mais est un facteur déterminant du succès de tout apprentissage, formel ou non. C’est dans une démarche d’autoformation que pourront se développer au mieux les interactions entre les processus d’enseignement et d’apprentissage. On apprend par soi et avec les autres, pour soi et vis-à-vis des autres, afin de pouvoir mieux vivre ensemble et vivre sa vie. L’autoformation réconcilie ainsi les dimensions cognitives, affectives et sociales qui conditionnent la réussite de tout apprentissage. Derrière la complexité de la notion d’autoformation se cache la complexité de la notion d’apprentissage. Si la galaxie de l’autoformation permet de rapprocher cette notion à des disciplines connues comme la sociologie ou la psychologie, seule une vision globale permet d’embrasser l’ensemble des questions soulevées par l’acte d’apprendre.

 

Mais plus encore, comme le soulignent Kim & Kim[12] « Le point de vue normatif du respect de l’apprenant est centré sur la vision de l’apprenant comme personne, en considérant celui-ci non comme un moyen mais comme une fin. Alors que la vision technique du respect de l’apprenant est formée dans la perspective de méthodes éducatives, la vision normative se développe à partir d’une perspective téléologique. Elle consiste en une vision philosophique de la liberté individuelle et du droit, de la relation entre apprenants et enseignants et de la relation entre l’individu et la société. ». C’est un véritable point de vue éthique !

 

Ainsi, la question de l’efficacité c’est déplacée de l’enseignement vers l’apprentissage. Il ne suffit plus de renforcer les méthodes éducatives et cela relativise l’importance des dispositifs de formation mettant en œuvre des technologies de l’information et de la communication. Il faut « transformer le regard sur l’élève » qui d’objet devient sujet pour « aider les élèves en tant que personnes autonomes à être capable de choisir par elles-mêmes et de développer leur propre potentiel. »[13] Mais au delà de l’efficacité d’une formation, toujours difficile à appréhender, on peut penser que des élèves ayant suivi un tel enseignement seront d’une part plus créatif et d’autre part mieux à même de piloter leur formation tout au long de leur vie dans des démarches d’autoformation qui prendront tout leur sens par une mise en perspective historique au travers « d’histoires de vie ».

 



[1] Mezirow J., Penser son expérience : développer l’autoformation, Chronique sociale, 2001

[2] Habermas J., Théorie de l’agir communicationnel. Tome 1 : rationalité de l’agir et rationalisation de la société ; Tome 2 : critique de la fonctionnaliste, Fayard, 1987

[3] Wenger W., Communities of practice : learning, meaning, and identity ; learning in doing : social, cognitive, and computational perspectives, Cambridge University Press, 1998, 2002

[4] Albéro B. (dir.), Autoformation et enseignement supérieur, Hermès Science, Lavoisier, 2003

[5] Coplin H., Les TIC au service des nouveaux dispositifs de formation, Éducation Permanente n°152, 3e trimestre 2002

[6] http://membres.lycos.fr/autograf/

[7] http://www.mayeticvillage.fr/a-graf

[8] A. Giddens dans Les conséquences de la modernité, L’Harmattan, Paris, 1994 distingue trois grandes discontinuités entre institutions sociales modernes et systèmes sociaux traditionnels : la vitesse du changement ; la portée [géographique] du changement ; la nature intrinsèque des institutions modernes (Etat-nation, marché du travail, urbanisation etc.)

[9] Giddens A., Les conséquences de la modernité, L’Harmattan, Paris, 1994 : « La connaissance technique des experts est progressivement récupérée par les agents profanes, qui s’y confrontent continuellement dans leurs relations quotidiennes avec les systèmes abstraits. Aujourd’hui, étant donné l’immensité du savoir, une même personne ne peut devenir spécialiste que dans un nombre limité de domaines. Personne ne peut cependant interagir avec un système abstrait sans connaître ses rudiments et ses principes. » page 151.

[10] « L’apprentissage auto-dirigé et quelques changement des modes d’enseignement dans les écoles coréennes » Seoung-yul-Kim & Kyung Hi Kim in « L’autoformation, fait social ?  Aspects historiques et sociologiques», A. Moisan et P. Carré (dir.), page 186

[11] Detienne M. & Vernant JP., Les Ruses de l'intelligence : la métis des grecs, Champs Flammarion, 1974.

[12] Ibid. page 189

[13] Ibid. page 192