Ils portent d’une part sur le rapport entre expérience et autoformation (cf. présentation du groupe de
« Expérience et autoformation ») et d’autre part sur l’apport de
l’autoformation à des dispositifs innovants de formation faisant appel à l’initiative des apprenants.
Si l’expérience est reconnue
comme source de compétences professionnelles comme le montre les travaux de
Kolb, elle est beaucoup moins acceptée dans le monde de l’éducation malgré le
plaidoyer de Dewey et de ses successeurs. Concernant la formation d’adulte, Mezirow, dans son livre Penser son expérience[1],
s’appuyant sur les théories de l’Agir communicationnel d’Habermas[2],
propose une démarche pour libérer nos capacités créatrices et notre pouvoir
d’agir par une autoformation individuelle et
collective distinguant l’apprentissage instrumental de
l’apprentissage communicationnel. Mais, comme le répétait souvent Joffre
Dumazedier, c’est par la pensée critique que l’on peut combattre
les préjugés et résister aux stéréotypes. Pour atteindre cet objectif, la
notion de communautés de pratique[3],
telles que pratiquées aux États-Unis, peut-elle y contribuer en facilitant la
négociation du sens de l’action, de
l’expérience, de l’appartenance à un groupe et de ce que l’on devient ?
Avec la mise en place de la loi sur la validation des acquis de l’expérience,
une opportunité se présente pour montrer que les pratiques d’autoformation sont
utiles pour limiter les dérives instrumentales de cette validation.
L’enseignement supérieur
qui a pour objet de développer une pensée critique devrait être
« naturellement » le terrain d’élection de l’autoformation. Qu’en est-il ? Pour approfondir ce sujet, j’ai
collaboré avec l’équipe réunie par Brigitte Albéro pour la sortie du livre Autoformation
et enseignement supérieur[4].
Les TIC au service
des nouveaux dispositifs de formation est le titre du
n°152 de la revue Éducation Permanente[5].
Une journée de débats autour de cette production a été organisée à l’ENST à
laquelle j’ai participé avec 7 autres grafistes (un compte rendu de cette
journée a été diffusé à tous les membres). La question de l’autonomie de l’apprenant
était au cœur du débat et débouche sur le rôle possible de l’autoformation dans ces
dispositifs.
En tant que membre du bureau de l’A-GRAF, en cours
de constitution, j’aimerai favoriser les échanges entre les membres de
l’association par un usage raisonné d’outils (mèl, site AUTOGRAF[6],
site « collaboratif[7])
pour appuyer les initiatives « concrètes » des membres.
Je participerai au fonctionnement de la
« gazette » que gère Mohammed Melyani.
Je compte supporter les deux initiatives en projet : le colloque qui devrait se tenir au
Maghreb en 2004 et les conférences lors du prochain salon de l’éducation.
Une action de
communication devrait être entreprise vers les enseignants pour relier les initiatives
favorisant l’autonomie dans la
formation initiale
(TPE, etc.) avec les travaux sur l’autoformation mais aussi
vers les formateurs pour réfléchir sur la mise en place de la validation des acquis de
l’expérience.
On pourrait
établir une relation « forte » avec le groupe e-pathie (M. Linard, B.
Albéro, G. Jacquinot, etc.) qui réfléchit également sur l’autoformation.
Un des effets du monde moderne[8]
est d'enfermer les personnes dans des catégories, plus ou moins exclusives,
bien identifiées : élève, étudiant, travailleur, chômeur, inactif,
retraité, etc. Serait-ce dans un souci d’efficacité de gestion sociale que l’on aboutit à un tel éclatement de la personnalité ? Le
système éducatif est à l’origine ou est calqué sur ce découpage :
formation initiale, formation professionnelle, formation continue. Ainsi, la
plupart des formations formelles sont organisées par des institutions et
répondent en majeure partie à des besoins collectifs : transmettre des
savoirs et une culture commune, préparer à une vie professionnelle ou
développer les compétences professionnelles. Peu de place est faite au
développement personnel même si des organismes privés proposent des formations
allant dans ce sens.
Cette manière d’encadrer l’offre de formation a pour
conséquence une certaine déresponsabilisation des personnes par rapport à leur
propre formation qui peut expliquer, en partie, le désarroi d’une part
importante des collégiens (40%), les difficultés rencontrées par beaucoup
d’étudiants démarrant des études supérieures mais aussi le peu d’enthousiasme
de beaucoup d’adultes à parfaire leur compétence, particulièrement quand ils en
ont l’obligation pour rester compétitif sur le marché du travail.
Quand le système de formation initiale
fonctionnait à « deux vitesses » (enseignement court conduisant au
certificat d’études ; enseignement long ouvrant la voie du lycée et des
études supérieures) et que l’offre de formation continue institutionnelle était
quasi inexistante, ceux qui voulaient étudier avaient le choix entre
l’éducation populaire
ou se former par eux-mêmes en autodidaxie, hors de toute institution.
Cette opposition hors/dans l’institution éducative
a-t-elle encore vraiment un sens alors que
l’offre de formation n’a jamais
été aussi abondante ? Si l’on y regarde de plus près, peut-il y avoir
apprentissage conduisant
à une transformation de la personne sans implication forte de celle-ci, sans
une prise de conscience des remises en cause induites par les contenus traitées
par les enseignants ou les formateurs ? Un élève à une famille, des
camarades, des activités extra-scolaire qui sont autant de terrains
d’expériences qui contribuent à son apprentissage de la vie au moins autant que
ses activités scolaires. Un apprenant adulte à des amis, des relations, des
activités culturelles, sportives, associatives en plus de ses activités
professionnelles qui sont sources d’expériences qui viennent enrichir ses
connaissances sur soi, les autres et son environnement et constituent les bases
sur lesquelles se développeront ses compétences professionnelles.
En situation de formation formelle,
ce contexte de vie formera la toile de fond des situations d’apprentissage et
influencera la manière dont l’apprenant acceptera ou rejettera le changement
qui devrait résulter de la formation suivie.
L’autoformation serait
alors la démarche intégrative qui nous permettrait de tirer partie de nos
expériences de toutes natures, les situations d’apprentissage n’étant
qu’un cas particulier de celles-ci. Développer ses capacités d’autonomie, de réflexivité, de compréhension des autres, d’analyse critique
des situations, capacités qui sont mobilisées dans les démarches
d’autoformation, c’est se préparer à être un citoyen responsable, sachant
équilibrer ses besoins personnels avec ceux de la communauté. L’autoformation
est de ce fait une protection contre la tendance à l’individualisme.
Les besoins de formation tout au
long de la vie suscités
par la complexité de la vie moderne[9]
ne pourront être satisfaits que par la recherche d’un
meilleur équilibre entre formations formelles et informelles mais aussi par la
réorganisation des formations formelles. Ainsi, la réforme du système éducatif
primaire et secondaire coréen stipule que « les capacités d’apprentissage auto-dirigé doivent être encouragées et développées par la mise en
pratique de l’apprentissage centré sur les discussions, en favorisant
l’investigation, l’expérimentation, la résolution de problèmes et des
stratégies d’apprentissage autres que les pratiques à sens unique
centrées sur l’enseignant et le livre de cours. »[10]
L’autoformation serait
alors une manifestation de la métis des grecs dans le processus d’apprentissage. D’après M. Détienne et J.-P. Vernant[11]
la métis est une catégorie mentale et non une notion, qui est toujours
immergée dans une pratique en ne se souciant à aucun moment d'expliciter
sa nature ou de justifier sa démarche. La définition qu’ils en donnent pourrait
s’appliquer aussi bien à la manière d’apprendre en autoformation : c’est
" un mode de connaître; elle implique un ensemble complexe, mais très
cohérent d'attitudes mentales, de comportements intellectuels, qui combinent le
flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d'esprit, la feinte, la
débrouillardise, l'attention vigilante, le sens de
l'opportunité, des habiletés diverses, une expérience longuement
acquise" (1974, p 9-10).
Dans cette optique, l’autoformation ne vient
plus en opposition avec la formation formelle
mais est un facteur déterminant du succès de tout apprentissage, formel ou non. C’est dans une démarche
d’autoformation que pourront se développer au mieux les interactions entre les
processus d’enseignement et d’apprentissage. On apprend par soi et avec les
autres, pour soi et vis-à-vis des autres, afin de pouvoir mieux vivre ensemble
et vivre sa vie. L’autoformation réconcilie ainsi les dimensions cognitives,
affectives et sociales qui conditionnent la réussite de tout apprentissage.
Derrière la complexité de la notion d’autoformation se cache la complexité de
la notion d’apprentissage. Si la galaxie de
l’autoformation permet de rapprocher cette notion à des disciplines connues
comme la sociologie ou la psychologie, seule une vision globale permet
d’embrasser l’ensemble des questions soulevées par l’acte d’apprendre.
Mais plus encore, comme le soulignent Kim &
Kim[12]
« Le point de vue normatif du respect de l’apprenant est centré sur la
vision de l’apprenant comme personne, en considérant celui-ci non comme
un moyen mais comme une fin. Alors que la vision technique du respect de
l’apprenant est formée dans la perspective de méthodes éducatives, la vision
normative se développe à partir d’une perspective téléologique. Elle consiste
en une vision philosophique de la liberté individuelle et du droit, de la
relation entre apprenants et enseignants et de la relation entre l’individu et
la société. ». C’est un véritable point de vue éthique !
Ainsi, la question de l’efficacité c’est
déplacée de l’enseignement vers l’apprentissage. Il ne suffit plus de renforcer les méthodes
éducatives et cela relativise l’importance des dispositifs de formation mettant en
œuvre des technologies de
l’information et de la communication. Il faut « transformer le regard sur
l’élève » qui d’objet devient sujet pour « aider les élèves en tant
que personnes autonomes à être capable de choisir par elles-mêmes et de
développer leur propre potentiel. »[13]
Mais au delà de l’efficacité d’une formation, toujours difficile à appréhender,
on peut penser que des élèves ayant suivi un tel enseignement seront d’une part
plus créatif et d’autre part mieux à même de piloter leur formation tout au
long de leur vie dans des démarches d’autoformation qui
prendront tout leur sens par une
mise en perspective historique au travers « d’histoires de
vie ».
[1] Mezirow J., Penser
son expérience : développer l’autoformation, Chronique sociale, 2001
[2] Habermas J., Théorie de l’agir communicationnel.
Tome 1 : rationalité de l’agir et rationalisation de la société ;
Tome 2 : critique de la fonctionnaliste, Fayard, 1987
[3] Wenger W., Communities
of practice : learning, meaning, and identity ; learning in
doing : social, cognitive, and computational perspectives, Cambridge University
Press, 1998, 2002
[4] Albéro B. (dir.), Autoformation et
enseignement supérieur, Hermès Science,
Lavoisier, 2003
[5] Coplin H., Les TIC au service des nouveaux dispositifs de
formation,
Éducation Permanente n°152, 3e trimestre 2002
[8] A. Giddens dans Les conséquences de la modernité,
L’Harmattan, Paris, 1994 distingue trois grandes discontinuités entre
institutions sociales modernes et systèmes sociaux traditionnels : la
vitesse du changement ; la portée [géographique] du changement ; la
nature intrinsèque des institutions modernes (Etat-nation, marché du travail,
urbanisation etc.)
[9] Giddens A., Les conséquences de la modernité,
L’Harmattan, Paris, 1994 : « La connaissance technique des experts
est progressivement récupérée par les agents profanes, qui s’y confrontent
continuellement dans leurs relations quotidiennes avec les systèmes abstraits.
Aujourd’hui, étant donné l’immensité du savoir, une même personne ne peut
devenir spécialiste
que dans un nombre limité de domaines. Personne ne peut cependant interagir
avec un système abstrait sans connaître ses rudiments et ses principes. »
page 151.
[10] « L’apprentissage auto-dirigé
et quelques changement des modes d’enseignement dans les écoles
coréennes » Seoung-yul-Kim & Kyung Hi Kim in « L’autoformation, fait social ? Aspects historiques et sociologiques», A. Moisan et P. Carré (dir.), page 186
[11] Detienne M. & Vernant JP., Les Ruses de
l'intelligence : la métis des grecs, Champs Flammarion, 1974.
[12] Ibid. page 189
[13] Ibid. page 192