Contribution d’André Moisan

Travaux de l’année écoulée

En dehors de ma contribution au « Collectif du Moulin »[1], mes travaux de l’année écoulée se sont essentiellement appuyés sur une formation dont je suis responsable au CNAM (cette formation a été initiée avec ma collègue du CNAM et du GRAF, Claude DEBON) : le « DPC-ISSAM », à l’adresse des emplois-jeunes. C’est une formation originale à plus d’un titre : elle vise, dans le même temps à « professionnaliser », à doter les auditeurs d’un diplôme et à élaborer leur projet professionnel et de formation. Dans le temps biographique spécifique du passage à la vie professionnelle, elle travaille à faire en sorte que des jeunes, en situation d’échec à l’université et souvent stigmatisés sur le marché de l’emploi, se développent en tant qu’acteur social dans la vie professionnelle et acteur de leur projet.

Une première contribution[2] caractérise ce diplôme dans ces différentes dimensions. La deuxième travaille plus particulièrement la notion du temps et de la subjectivation[3]. Elle situe comment ce travail de « subjectivation » se développe sur fond de « trame » temporelle construite en particulier par l’institution de formation. Le « rythme » est l’élément essentiel qui noue le processus dynamique de subjectivation et la dimension instituée. Il est constitutif de la configuration. Par ailleurs, l’exemple de cette formation vient indiquer que les processus d’autoformation prennent corps et s’insèrent dans et par un ensemble de liens, de tissu, de trames, etc. dans lequel l’individu s’insère. Un cadre institué, formalisé, et aussi contraignant, se révèle en l’occurrence producteur d’autoformation.

 

Programme de travaux

Cadre théorique

Il s’énonce dans le prolongement de ce qui est évoqué plus haut : les processus d’autoformation sont analysés en rapport avec le contexte social. J. Dumazedier définissait l’autoformation comme un nouveau rapport entre l’individu et l’institution. C’est ce point de vue que je veux poursuivre, en tentant de caractériser ce cadre « institutionnel » en essayant de penser en même temps le « processus » d’autoformation et ce contexte « socio-institutionnel ».

Les travaux de M. Foucault, repris et développés sur certains points par G Deleuze, offrent des pistes qui me semblent intéressantes. Succinctement : nous aurions quittés la « société disciplinaire » pour la « société de contrôle ». La première a découpé le social en temps (travail, formation, loisir, etc.) et espace cloisonnés, dans lesquels l’institution (l’école, l’entreprise, la famille, etc.) imposait une discipline pour forger l’individu dans une masse indifférenciée. Dans ce contexte, l’autonomisation (et l’autoformation) ne peut être que révolte et émancipation.

La deuxième ignore ces cloisonnements. Les frontières entre sphères d’activité deviennent poreuses (l’exemple du temps de travail en est révélateur). Les transitions sont constantes entre les différents milieux (ce qu’exprime la notion de « formation tout au long de la vie »). La domination également change de nature : à la discipline se substitue le « contrôle », au « moule », « la modulation », c’est-à-dire des faisceaux de « sollicitation – incitation – contrôle » qui participent à orienter les parcours personnels et professionnels des individus.

Je tire personnellement de ces analyses les idées suivantes, la première d’ordre « principielle », la deuxième permettant une opérationnalisation en termes de recherche  :

  1. peut-on rendre compte des processus d’autoformation sans le regard sur les rapports sociaux dans lesquels ils s’inscrivent (qui sont aussi des rapports de domination et de pouvoir) ? De la même façon que Foucault a analysé la « microphysique du pouvoir », peut-être faut-il rendre compte de cette microphysique de l’autoformation, à travers les constructions originales qui naissent de l’engagement subjectif, se mouvant dans ces « faisceaux » qui l’orientent.
  2. La notion de parcours : on voit maintenant se développer l’entrelacement entre parcours professionnel et l’activité de formation. La VAE en est une illustration. L’autoformation n’est pas un acte temporellement limité, mais se déploie longitudinalement dans la construction d’un parcours personnel et professionnel en interaction avec une offre diffractée de « reconnaissance – validation – contrôle », très différente du cadre institutionnel fermé de la « société disciplinaire »..

Projet d’études

Dans ce cadre théorique général, mon projet d’études pour l’année qui vient est d’étudier la singularité de parcours de formation et parcours professionnels développés du fait de l’offre de Formation Ouverte et à Distance dans la Région des Pays de Loire. Il se trouve que cette région bénéficie maintenant d’une certaine ancienneté qui doit permettre de faire émerger un certain nombre d’observations. Cette offre ne recouvre pas des cursus complets. Elle a néanmoins permis le développement de parcours articulant des segments d’offre « à distance » et des segments traditionnels. Quels sont ces individus (quel « capital », au sens de Bourdieu, quelles ressources, etc.) ? Quels sont les effets d’apprentissage développés par la pratique de ces dispositifs (compétences « d’autodirection »), etc. ? Quelle mobilité professionnelle et géographique ?

Autrement dit, il s’agit, par cette étude, d’avoir des remontées sociologiques sur les effets de la transformation de l’offre de formation dans le cadre du développement territorial.

 



[1]  Collectif du Moulin (2002). Intégrer les formations ouvertes. Résultats et analyses d’une conférence de consensus. L’harmattan.

[2] Moisan André (2003). Une propédeutique professionnelle comme une des réponses de formation aux emplois-jeunes, in Les emplois-jeunes : nouveaux métiers, nouvelles professionnalités, Textes réunis par Vasconcellos M.-D., Éditions du Conseil Scientifique de l’Université Charles-de-Gaulle - Lille 3. Pp 113-131

[3]  Moisan, A. (à paraître). Les temps de l’insertion professionnelle : rythmes et rites de la subjectivation. Le cas des emplois-jeunes du DPC-ISSAM du CNAM. In Figures du temps - Les nouvelles temporalités du travail et de la formation. L’harmattan.