Mai
2002, mai 2003, un an déjà ! 365 jours vécus dans une célérité sans cesse
grandissante. Ce petit retour d’un mois de mai à l’autre permet d’apprécier ce
qui a été fait, pas fait et d’en comprendre le sens. Un peu à la manière des compagnons qui à l’occasion
de leur tour de France prenaient le temps, dans une organisation rythmée et ritualisée de
faire le point sur ce qui avait été vu, compris, achevé et restait en cours. Je
vous propose ici quelques réflexions, qui sans chercher une construction
théorique étayée, vise à questionner les pratiques d’accompagnement éducatif.
Lorsque
j’ai commencé à m’intéresser à l’apprentissage, mon entrée a été celle de la conception
d’outils, appelé dans le début des années 80, outils pédagogiques. Cet intérêt
était mû par un désir non conscientisé, non explicité de proposer à l’autre des
situations dans lesquelles il serait acteur et pas uniquement sous la stricte
dépendance de celui qui pense maîtriser le savoir. Trois phases se sont ainsi
succédées passant de la conception de transparents, à celle de vidéogrammes
puis à la conception d’applications multimédias interactives, suivant ainsi les
avancées technologies, les discours politiques, les pensées
pédagogiques. Mes travaux de recherche et
développement sur la
conception d’environnement d’apprentissage interactif m’ont permis d’approcher
la complexité de l’acte d’apprendre et l’intrication étroite entre l’outil et
son contexte d’usage. Penser les outils, sans penser les usages devenaient une
gageure.
Ainsi,
est né le besoin de travailler à un niveau plus global, celui du dispositif. Ce
passage d’une dimension locale à une autre plus globale sollicite de nouveaux
travaux. Mais comment définir ce vocable « dispositif », quels liens
avec la notion de système formel d’apprentissage ? Autant de question qu’il convient de
débattre.
J’ai
proposé à l’occasion du colloque de Montpellier en 2001[1]
de définir un dispositif d’autoformation accompagnée comme :
-
« une co-construction
- qui soit affective, car porteuse de désir,
- qui soit cognitive, car il y a l'objet de l'acquisition de savoir,
- qui soit sociale dans la
mesure où celle-ci ne se fait pas seul
- et existentielle dans la mesure où la formation (et
l'autoformation qui plus
est) s'inscrit dans l'histoire de vie des
personnes et dans un projet tant
professionnel que personnel,
- un réseau qui soit mobilisateur à la fois de ressources et de situations
plurielles de formation
- un cadre d'action permettant à la fois la régulation de
l'autodirection de
l'apprenant et l'expression de sa liberté. » (Paquelin 2001).
La
communication proposée à l’occasion du colloque « L’accompagnement et ses
paradoxes » reprend cette notion de co-construction telle que la résume la
conclusion que je vous livre ici.
« Cette contribution ne peut traiter de la
complexité des formes et modalités d’accompagnement dans des
dispositifs de formation ouverte.
Nous avons cherché à montrer en quoi cet accompagnement était une dynamique de
quête d’une intentionnalité partagée fondée sur la mise en place d’un réseau de
liens réciproques qui unissent un état du soi apprenant à un état en devenir. L’accompagnement, dans ses dimensions techniques
et sociales contribue à l’émergence d’une genèse dispositive qui articule du
prescrit et du souhaité. L’accompagnement, aux multiples déclinaisons, tantôt
réactif, tantôt proactif, et toujours « énactif », est un
construit social, qui en intersubjectivité crée les conditions de
l’expression de formes autopoéïtiques structurantes de l’apprentissage. Ni complètement auto, ni tout à fait hétéro,
cette dynamique organise des formes d’expression négociées de l’auto-direction de
l’apprenant. « (Paquelin, 2003)[2]
C’est
dans ce contexte d’évolution de l’objet d’étude que j’interroge la notion
d’accompagnement. La problématique actuelle peut se résumer à
l’aide de la question qui suit : comment initier et organiser
l’accompagnement dans des dispositifs de formation qui
sollicite les capacités du sujet apprenant à auto-diriger ses
apprentissages ?
Il
est bien entendu que cette question trouve des réponses dans des travaux
antérieurs, mais sollicite également des réflexions et constructions
spécifiques liées à la nature même de l’objet étudié, et à sa dimension systémique
et complexe. Je fais l’hypothèse que la difficulté à gérer aujourd’hui cette
complexité renforce la prégnance et le maintien de formes antérieures d’actions
éducatives.
Penser
et agir dans ces nouvelles postures ne peut à mon sens être
possible qu’en considérant non pas une mais l’ensemble des formes et pratiques
d’autoformation. En privilégier une serait oublier de multiples
facettes du fonctionnement de l’individu pour qui les processus formatifs
empruntent à différentes formes.
Dans
un monde où la dérégulation succède aux modes régulés de production et de
gestion, laissant émerger de nouvelles formes organisatrices de production et
d’apprentissage, la question du lien me semble au cœur des
problématiques éducatives actuelles. Le lien dont il est fait mention ici n’est
pas le lien qui ligote le sujet à des savoirs existants en dehors de lui-même
(à l’image de l’arbre ligoté à son tuteur) mais de relation entre différentes dimensions
du sujet lui-même et du sujet avec les autres et les choses. L’accompagnement serait dès
lors envisagé comme une dynamique de gestion de liens créateurs de sens, de relations, mobilisant ainsi
« directionnalité » de l’action et régulation dans processus de
construction de sens. L’accompagnement pourrait alors se rapprocher d’une forme
de sémiogénèse, sémiosis triadique telle que la définit Peirce : relation
dynamique de signification qui implique la coopération de trois éléments, le
signe, son objet et son ou ses interprétants..
Sans
revenir sur les préceptes de l’accompagnement, je souhaiterais rappeler ici
quelques principes directeurs de ma réflexion.
L’accompagnement n’a de
sens qui si le
paradigme éducationnel qui prévaut à l’acte pédagogique reconnaît pour partie
la participation active de l’apprenant à la construction de ses activités
d’apprentissage. L’une des finalités premières de
l’accompagnement est la recherche d’un
triple niveau de sens : 1) sens du projet, ce pourquoi le sujet se forme, 2) sens de
l’action, ce vers quoi aller, 3) sens de l’information qui permet l’accès à la
connaissance.
Pour traiter de ce point je m’appuierai sur le modèle de la double
hélice proposé par Monique Linard qui exprime à la fois la dimension de la
direction et celle de la régulation en proposant deux dimensions pour
conduire une activité d’apprentissage :
o verticale : auto-régulation par attention portée à
l’interaction entre les 3 niveaux et objets de l’activité : intentions
(motifs), stratégies et plans (buts), opérations (condit. de réalisation).
Dans un tel contexte, l’accompagnement est une
nécessité de l’acte formatif et de l’apprentissage. Il concerne trois niveaux que traduit Le Boüedec
en parlant de direction, de guidance, et d’accompagnement. Certains de ces
termes tels que diriger et accompagner peuvent sembler antagonistes. Ils
expriment tout simplement le fait que l’ouverture des dispositifs et la liberté
d’action s’expriment et se vivent dans un contexte régit par des lois et des
règles. L’ouverture peut ainsi être définie comme la zone d’exercice
opératoire de l’autonomie de
l’apprenant au sein de laquelle il peut en toute liberté et sécurité cognitive, affective et sociale exercer
des choix pertinents. Cette
gestion de l’ouverture devient possible dès lors que le sens, celui du projet précède la
connaissance.
Rappelons ici les deux niveaux de l’accompagnement, le local (les activités) et le global (le
dispositif) énoncés au point un de cette contribution. Ces éléments nous
donnent une matrice complexe de l’accompagnement (cf. tableau 1). Elle met en
évidence deux niveaux « d’intervention » de l’accompagnement :
le niveau local ou celui de l’activité, le niveau global celui de
l’organisation des activités et des apprentissages. Il s’agit pour l’apprenant
de définir et maintenir son but tout en réalisant les activités qui lui
permettront d’atteindre son but.
|
Global |
Local |
Accompagner |
|
|
Guider |
|
|
Diriger |
|
|
Tableau
1 : matrice de l’accompagnement
Cette
matrice indique 6 niveaux d’accompagnement.
Ce
que je nomme accompagnement vise la
création de sens, celui du sens de l’action et celui du sens du cadre
structurant de l’action. Cette construction de sens résulte de la mise en
relation d’éléments issus d’espaces-temps-sociaux hétérogènes, formels et informels. Cette
mise en relation repose sur la mobilisation de capacité d’auto-direction et
d’auto-régulation de l’apprenant. Mais acceptant l’idée que toute personne est
singulière et qu’à ce titre ne peut, ne veut, ou ne sait mobiliser à
l’identique ces capacités, un accompagnement spécifique et pluriel est
nécessaire.
Composer
une figure qui reprendrait ces deux axes « auto/hétéro direction »
d’une part et « auto/hétéro régulation » d’autre part ne saurait
suffire à exprimer la réalité. En effet, tout comme la perspective a renouvelé
la pensée de la renaissance en modifiant l’expression et le rapport à l’espace,
il nous faut aujourd’hui trouver notre troisième dimension. Je proposerai à la
discussion la schématisation suivante de la problématique de l’accompagnement (cf.
figure 1). Penser l’accompagnement dans des pratiques de formation qui
sollicite l’apprenant dans sa capacité à agir, à faire et à penser, repose sur
la quête d’un équilibre négocié exprimant l’intentionnalité partagée, celle du
sujet apprenant d’une part, celle des formateurs et de l’institution d’autre
part. Pour illustrer ce point précis je reprendrai l’image du funambule. Vous
avez sans doute remarqué que le funambule évoluant sous le chapiteau est suivi
par un rond de lumière. Le funambule dans la lumière réalise son numéro, sur un
fil dont la tension correspond à la fois aux types de mouvements, au poids du
funambule. Enlevez la lumière, le funambule tombe. Cette lumière dont les
mouvements semblent accompagner le funambule, est ce troisième élément qui agit
selon une conduite négociée entre l’éclairagiste et l’artiste. Si ces deux
personnes ne partagent pas la même intention, n’œuvre pas ensemble à la
construction de ce numéro, nul ne s’extasiera devant cette féerie. C’est parce
que chacun à une image globale du numéro et qu’à l’instant « t »
chacun sait ce qu’il a à faire, que la prestation réussit. Le filin d’acier
assure une hétéro-direction avec laquelle le funambule compose son
auto-direction. De même en fonction de là ou il en est, et en
fonction de la position du rond de lumière, l’artiste peut réguler son avancée.
Cette
proposition exprime huit figures type de l’accompagnement. Ces figures qui restent à préciser ne sont pas
exclusives. Cette schématisation veut montrer la complexité et la
complémentarité de formes plurielles d’accompagnement. Un apprenant peut être
au plan local en situation d’auto-diriger et de réguler son activité sans pour
autant être en capacité de le faire au plan global. Une recherche[3]
conduite sur le thème de l’appropriation d’un dispositif de formation ouverte
montre qu’il existe une relation entre ces deux plans, l’un inter-agissant sur
l’autre.
.
Figure
1 : Les dimensions de l’accompagnement
Au cours de ces quelques lignes, je souhaitais simplement apporter ma réflexion à un mouvement global qui cherche à faire reconnaître l’importance de la place de l’apprenant dans l’acte formatif tout en pensant les conditions du développement de ce paradigme. Autant les travaux qui explicitent les postures et pratiques des acteurs nous permettent à la fois de dresser des photographies et d’étudier, à clichés répétés, les évolutions du paysage des pratiques, autant ces apports nous renseignent peu sur les processus profonds qui organisent ces pratiques. La question ne serait plus de savoir comment jouer telle ou telle pièce, mais de définir quelle est la pièce à jouer et le pourquoi de cette pièce.
[1] Les actes sont en cours de finalisation.
[3] Paquelin,
D., Choplin, H., « Du prescrit au vécu, l’enjeu des
régulations », Pratiques d’autoformation dans l’enseignement supérieur, Albero, B.,
(eds), Hermes Lavoisier, Paris, 2003.