Mes
prévisions de travail sont à peu près les suivantes. Elles sont à peine
dégrossies (sauf la première) et à
l’évidence il me sera difficile de les mener à bien simultanément. Il s’agit
donc, globalement, d’un projet-visée et non d’un projet
programmatique précisément situé dans le temps :
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En premier lieu il va
s’agir de poursuivre les travaux commencés au sein de la petite équipe qui se
penche sur la notion d’expérience, dont il a déjà été fait état l’année dernière.
Ces travaux avancent, et, pour ma part, j’ai conservé les deux mêmes
axes : 1°) une réflexion portant sur l’expérience en tant que pratique
scientifique qui s’insère, à la fin du Moyen Age, dans des réflexions et procédures scientifiques se détachant
progressivement d’une scolastique dominante. C’est un peu le début de la montée
en puissance de la prise de conscience de l’importance et des apports possibles
de l’expérience, ce qui va redéfinir la science et la recherche à l’époque moderne, et finalement, en partie,
déboucher sur le positivisme. Cette petite étude, si elle n’entre pas
absolument et directement en rapport avec l’autoformation, est au moins intéressante à titre de repère et
de précision d’un mot-concept qui pose
de nombreux problèmes de polysémie et qu’il est nécessaire de jalonner
historiquement. 2°) A ce premier défrichage
s’ajoute une démarche interrogative concernant ce que je voudrais
appeler les dimensions expérientielles de l’autoformation, à savoir le
rôle que peuvent jouer dans l’autoformation l’expérience réfléchie et
l’expérience non réfléchie. Dans l’autoformation abordée
traditionnellement, l’autodirection est vue
comme principalement consciente, finalisée, dirigée naturellement, d’une façon
qu’on dira volontaire. Avec ces dimensions expérientielles surtout dans leur
aspect non réfléchi, non structuré par une pensée et une démarche réflexive
fortement conscientisée, il me semble que quelque chose d’efficient est tout de
même à l’œuvre et affleure constamment, qui « autoforme », même s’il
est problématique a priori de décrire le processus de façon
formelle.
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Un second projet serait de
développer une approche renouvelée du terme autoéducation. Le terme autoformation m’a
toujours un peu gêné (j’ai longtemps opté pour ‘’autodidaxie’’), même si pour le justifier on se tourne
souvent du côté allemand pour signifier (bildung), que le mot formation concerne
l’individu dans son entier, et ne concerne pas seulement ce qui pourrait se
rapporter à la formation ‘’à quelque chose’’ (savoir, savoir-faire). J’ai
toujours eu une préférence pour le mot éducation contre le
mot formation de ce point de vue, éducation qui me semble plus englobant de
l’individu dans son entièreté. L’autoéducation, dans les contenus et sens profonds
qu’il s’agirait de donner à ce mot, serait dans la langue française ce qui
permettrait le mieux de qualifier l’avancée globale de l’individu vers
lui-même, selon des processus intimes et
existentiels, mais sans que soient tenus à l’écart les savoirs formels, qui
participent eux-aussi de cette progression vers soi. Il est à noter que ce
terme autoéducation est utilisé ici et là (fréquemment par le philosophe indien
Jiddu Krishnamurt, plus près de nous par C. Dolory-Momberger et d’autres), pour
qualifier ce qui serait l’aboutissement de l’éducation personnelle tout au long
de la vie. Il s’agirait donc d’aller aller y voir de plus
près afin de ranimer le concept, de lui donner un contenu réactualisé si
possible. Je reprendrai ici G. Weil qui écrivait en 1975 de l’autoéducation
qu’ « elle est la prise en charge globale de l’existence concrète par
elle-même, dans les domaines du ‘’faire’’, du ‘’connaître’’, de ‘’l’agir’’, et
à un niveau plus profond, dans ‘’l’exister’’ ». Reprenant l’idée et
l’élargissant, il s’agirait d’un « coup d’Etat » se voulant
sympathique contre l’hégémonie du terme largement accepté d’autoformation, et
passablement, peut-être, d’une approche parallèle à l’autoformation
existentielle (à voir).
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En troisième et dernier
lieu, comme une décentration extra
occidentale m’apparaît importante pour nos recherches, je compte me pencher sur l’autoformation (ou
plutôt, donc, l’autoéducation) en Asie. Nous avons déjà eu quelques pistes
offertes lors du symposium de Royaumont, avec la présentation de travaux de
collègues coréens et japonais. Mais cela demeure très largement embryonnaire. A
mon sens nous avons
là un chantier à ciel ouvert qui se doit d’être exploité, ceci pour au moins
deux raisons : la première est qu’il s’agit d’une recherche nous
permettant d’accéder à un autre univers, à un tout autre mode de représentations
et de pratiques de l’autoformation. Que devient l’autoformation, comment se
manifeste-t-elle dans cette autre vaste partie du monde sous des aspects
différents de ceux que nous connaissons en Occident? Comment fonctionne-t-elle,
comment participe-t-elle de la société, en quoi les individus peuvent-ils y
puiser une source de développement personnel ? Une telle étude plus approfondie, laissée
largement de côté depuis Royaumont, permettrait de se décentrer, voire de réexaminer
ce que nous savons déjà de l’autoformation, qui n’est généralement su que par
un regard occidental porté sur l’Occident, à de rares et insuffisantes
exceptions près. La seconde raison est que l’autoformation, si elle existe bien
sous tous les continents et peut à l’occasion ressembler tout de même un peu à
ce que nous en savons déjà, s’enracine, en Chine par exemple ou en Corée, dans
un socle culturel trois fois millénaire de confucianisme qui donne au savoir, à
l’apprendre, une place tout à fait centrale dans le devenir de
l’individu et de la société, ceci d’une façon beaucoup plus prégnante,
semblerait-il, que dans nos philosophies-souches occidentales. Le terreau
multi-millénaire n’est pas le même, quelque chose de très différent est
peut-être à l’œuvre, qui selon des configurations probablement différentes,
permet à l’autoformation de vivre, selon des modalités à découvrir. Pour
commencer, je partirai certainement de l’approfondissement des communications
de Royaumont, base de départ (avec bien sûr, si possible, des éclaircissements
sur ce Guide pour l’Autodidacte du XVIème siècle en Corée), puis
j’élargirai le cercle de la réflexion par un travail bibliographique (ouvrages
traduits du chinois, la barrière de la langue sera redoutable) doublé
d’entretiens avec des étudiants et enseignants chinois réalisés en fin d’année.
Ce sera la démarche immédiate et préalable.