Contribution de Christian Verrier

Projets

Mes prévisions de travail sont à peu près les suivantes. Elles sont à peine dégrossies (sauf la première) et  à l’évidence il me sera difficile de les mener à bien simultanément. Il s’agit donc, globalement, d’un projet-visée et non d’un projet programmatique précisément situé dans le temps : 

Expérience

-         En premier lieu il va s’agir de poursuivre les travaux commencés au sein de la petite équipe qui se penche sur la notion d’expérience, dont il a déjà été fait état l’année dernière. Ces travaux avancent, et, pour ma part, j’ai conservé les deux mêmes axes : 1°) une réflexion portant sur l’expérience en tant que pratique scientifique qui s’insère, à la fin du Moyen Age, dans des réflexions et  procédures scientifiques se détachant progressivement d’une scolastique dominante. C’est un peu le début de la montée en puissance de la prise de conscience de l’importance et des apports possibles de l’expérience, ce qui va redéfinir la science et la recherche à  l’époque moderne, et finalement, en partie, déboucher sur le positivisme. Cette petite étude, si elle n’entre pas absolument et directement en rapport avec l’autoformation, est au moins intéressante à titre de repère et de précision d’un mot-concept qui pose de nombreux problèmes de polysémie et qu’il est nécessaire de jalonner historiquement. 2°) A ce premier défrichage  s’ajoute une démarche interrogative concernant ce que je voudrais appeler les dimensions expérientielles de l’autoformation, à savoir le rôle que peuvent jouer dans l’autoformation l’expérience réfléchie et l’expérience non réfléchie. Dans l’autoformation abordée traditionnellement, l’autodirection est vue comme principalement consciente, finalisée, dirigée naturellement, d’une façon qu’on dira volontaire. Avec ces dimensions expérientielles surtout dans leur aspect non réfléchi, non structuré par une pensée et une démarche réflexive fortement conscientisée, il me semble que quelque chose d’efficient est tout de même à l’œuvre et affleure constamment, qui « autoforme », même s’il est problématique a priori de décrire le processus de façon formelle. 

Autoéducation

-         Un second projet serait de développer une approche renouvelée du terme autoéducation. Le terme autoformation m’a toujours un peu gêné (j’ai longtemps opté pour ‘’autodidaxie’’), même si pour le justifier on se tourne souvent du côté allemand pour signifier (bildung), que le mot formation concerne l’individu dans son entier, et ne concerne pas seulement ce qui pourrait se rapporter à la formation ‘’à quelque chose’’ (savoir, savoir-faire). J’ai toujours eu une préférence pour le mot éducation contre le mot formation de ce point de vue, éducation qui me semble plus englobant de l’individu dans son entièreté. L’autoéducation, dans les contenus et sens profonds qu’il s’agirait de donner à ce mot, serait dans la langue française ce qui permettrait le mieux de qualifier l’avancée globale de l’individu vers lui-même, selon des processus intimes et existentiels, mais sans que soient tenus à l’écart les savoirs formels, qui participent eux-aussi de cette progression vers soi. Il est à noter que ce terme autoéducation est utilisé ici et là (fréquemment par le philosophe indien Jiddu Krishnamurt, plus près de nous par C. Dolory-Momberger et d’autres), pour qualifier ce qui serait l’aboutissement de l’éducation personnelle tout au long de la vie. Il s’agirait donc d’aller aller y voir de plus près afin de ranimer le concept, de lui donner un contenu réactualisé si possible. Je reprendrai ici G. Weil qui écrivait en 1975 de l’autoéducation qu’ « elle est la prise en charge globale de l’existence concrète par elle-même, dans les domaines du ‘’faire’’, du ‘’connaître’’, de ‘’l’agir’’, et à un niveau plus profond, dans ‘’l’exister’’ ». Reprenant l’idée et l’élargissant, il s’agirait d’un « coup d’Etat » se voulant sympathique contre l’hégémonie du terme largement accepté d’autoformation, et passablement, peut-être, d’une approche parallèle à l’autoformation existentielle (à voir).

Asie

-         En troisième et dernier lieu, comme une décentration extra occidentale m’apparaît importante pour nos recherches, je compte me pencher sur l’autoformation (ou plutôt, donc, l’autoéducation) en Asie. Nous avons déjà eu quelques pistes offertes lors du symposium de Royaumont, avec la présentation de travaux de collègues coréens et japonais. Mais cela demeure très largement embryonnaire. A mon sens nous avons là un chantier à ciel ouvert qui se doit d’être exploité, ceci pour au moins deux raisons : la première est qu’il s’agit d’une recherche nous permettant d’accéder à un autre univers, à un tout autre mode de représentations et de pratiques de l’autoformation. Que devient l’autoformation, comment se manifeste-t-elle dans cette autre vaste partie du monde  sous des aspects différents de ceux que nous connaissons en Occident? Comment fonctionne-t-elle, comment participe-t-elle de la société, en quoi les individus peuvent-ils y puiser une source de développement personnel ? Une telle étude plus approfondie, laissée largement de côté depuis Royaumont, permettrait de se décentrer, voire de réexaminer ce que nous savons déjà de l’autoformation, qui n’est généralement su que par un regard occidental porté sur l’Occident, à de rares et insuffisantes exceptions près. La seconde raison est que l’autoformation, si elle existe bien sous tous les continents et peut à l’occasion ressembler tout de même un peu à ce que nous en savons déjà, s’enracine, en Chine par exemple ou en Corée, dans un socle culturel trois fois millénaire de confucianisme qui donne au savoir, à l’apprendre, une place tout à fait centrale dans le devenir de l’individu et de la société, ceci d’une façon beaucoup plus prégnante, semblerait-il, que dans nos philosophies-souches occidentales. Le terreau multi-millénaire n’est pas le même, quelque chose de très différent est peut-être à l’œuvre, qui selon des configurations probablement différentes, permet à l’autoformation de vivre, selon des modalités à découvrir. Pour commencer, je partirai certainement de l’approfondissement des communications de Royaumont, base de départ (avec bien sûr, si possible, des éclaircissements sur ce Guide pour l’Autodidacte du XVIème siècle en Corée), puis j’élargirai le cercle de la réflexion par un travail bibliographique (ouvrages traduits du chinois, la barrière de la langue sera redoutable) doublé d’entretiens avec des étudiants et enseignants chinois réalisés en fin d’année. Ce sera la démarche immédiate et préalable.