Gérard Mlékuz

 

Le seul métier durable du vingt et unième siècle : apprendre

 

 

Les individus ne planifieront des actions cohérentes d’éducation et de formation tout au long de leur vie qu’à la condition d’avoir envie d’apprendre. Ils ne désireront pas continuer à se former si leurs précédentes expériences d’apprentissage ont été infructueuses ou négatives au plan personnel. Ils ne souhaiteront pas poursuivre si, concrètement, des possibilités adéquates de formation ne leur sont pas accessibles du fait de problème d’horaire, de rythme, de lieu ou de coût. Ils ne seront pas motivés si le contenu et les méthodes d’apprentissage ne tiennent pas suffisamment compte de leur environnement culturel et de leur expérience. Et ils refuseront d’investir du temps, de l’énergie et de l’argent dans de nouvelles actions d’éducation et de formation si les connaissances, les compétences et le savoir spécialisé qu’ils ont déjà acquis ne sont pas reconnus de façon tangible, que ce soit au plan personnel ou dans l’évolution de leur carrière professionnelle. La volonté individuelle d’apprendre et la diversité de l’offre, telles sont les ultimes conditions indispensables à une mise en œuvre réussie de l’éducation et la formation tout au long de la vie. Il est essentiel de renforcer non seulement l’offre, mais aussi la demande de formation, surtout à l’égard des personnes ayant le moins bénéficié jusqu’ici des structures d’éducation et de formation. Tout un chacun devrait avoir la possibilité de suivre sans restriction aucune le parcours de son choix pour se former, au lieu d’être obligé de respecter des filières prédéterminées menant à des objectifs spécifiques. Ce qui signifie, tout simplement, que les systèmes d’éducation et de formation doivent s’adapter aux besoins de l’individu et non l’inverse.

 

 

 

Extrait du Mémorandum sur l’éducation et la formation tout au long de la vie. Commission des communautés européennes.

 

Octobre 2000

 

Prolégomènes…

 

 

Ce document est le second tome de l’étude consacrée à l’éducation non formelle.

 

Son titre est emprunté à H. FABRE-TROCME dont les écrits et les productions audio-visuelles sur le métier d’apprendre nous ont été précieux.

 

Il est entièrement consacré aux recommandations que nous a inspirées ce travail d’étude. Il complète les suggestions que nous avons déjà formulées, au fil des pages, dans le premier tome de l’étude.

 

Le genre de la recommandation est souvent difficile. Pour l’avoir déjà abordé en d’autres circonstances, nous en connaissons aussi les limites.

 

En bien des point, cet exercice peut être comparé au jeu que de nombreux enfants pratiquent sur les plages : la bouteille à la mer… ! Inquiétude dans le regard , puis demi sourire quand s’éloigne le flacon… Les vagues et le soleil veillent sur lui ! Bon vent semblent murmurer quelques coquillages !

 

 

 

 

 

 


Promouvoir une utopie

 

de la mobilité et du projet

 

Dans les premières pages du premier tome de l’étude, ont été reproduits des extraits du Mémorandum sur l’éducation et la formation tout au long de la vie produit par la commission des communautés européennes en 2000.

 

C’est à ce document que nous sommes retournés pour concevoir le second volume de cette étude. Outre l’extrait ouvrant ce volume, nous nous sommes plus particulièrement arrêtés au paragraphe qui suggère une intégration plus grande de l’éducation non formelle dans une offre ininterrompue d’éducation et de formation tout au long de la vie et qui éclaire la notion de « lifewide learning » (éducation et formation embrassant tous les aspects de la vie). Voici ce paragraphe :

 

« Jusqu’à présent, c’est l’éducation formelle qui a dominé la réflexion politique, façonnant les modes d’éducation et de formation et influençant la conception qu’ont les individus de ce qui compte en matière d’apprentissage. Une offre ininterrompue d’éducation et de formation tout au long de la vie intègre davantage l’éducation non formelle et informelle. L’éducation non formelle, par définition, n’est pas présente dans les établissements scolaires, les écoles supérieures, les centres de formation ou les universités, elle est rarement perçue comme un « véritable » enseignement et ses fruits ne sont pas non plus très monnayables sur le marché du travail. L’éducation non formelle est donc par principe sous-évaluée.

 

Quant à, l’éducation informelle, elle pourrait être complètement occultée, bien qu’elle constitue la forme la plus ancienne d’apprentissage et l’ancrage même de l’évolution de l’enfant. Le fait que le PC soit entré dans les foyers avant d’être introduit à l’école en dit long sur l’importance de l’éducation informelle. L’environnement informel représente un réservoir considérable de savoir et pourrait être une source majeure d’innovation pour les méthodes d’enseignement et d’apprentissage.

 

L’expression d’éducation et de formation « tout au long de la vie » (lifelong learning) attire l’attention sur la notion de durée : il s’agit de se former constamment ou à intervalles réguliers. Le néologisme « lifewide learning » (éducation et formation embrassant tous les aspects de la vie) complète le tableau en attirant l’attention sur l’étendue du cadre d’apprentissage, apprentissage qui peut intervenir dans tous les domaines de notre vie et à n’importe quel moment de celle-ci. Cette notion d’étendue du cadre d’apprentissage met d’avantage en lumière la complémentarité de l’éducation formelle, non formelle et informelle. Elle nous rappelle que l’on peut apprendre – et que l’on apprend – des choses utiles de manière agréable dans le cadre de la famille, des loisirs, au sein de la collectivité locale et durant l’activité professionnelle quotidienne. Cette notion d’éducation et de formation embrassant tous les aspects de la vie montre également que les activités d’enseignement et d’apprentissage sont elles-mêmes interchangeables en fonction du moment et du lieu ».

 

En soulignant les limites de l’éducation formelle dominée par le modèle scolaire, en mettant l’accent sur la permanence et l’étendue du cadre d’apprentissage, en rappelant que l’on peut faire de la vie un apprentissage permanent, ces quelques lignes donnent un aperçu de la nouveauté du concept d’éducation et de formation tout au long de la vie.

 

Comme P. MERIEU, nous pensons que ce concept pourrait contribuer à l’invention d’un nouveau modèle de formation[1].

 

Selon P. MERIEU, ce nouveau « modèle » pourrait reposer sur trois paradigmes : paradigme culturaliste, « paradigme par compétences et paradigme du projet qu’il convient de mettre en équilibre. L’approche par les compétences est une hygiène indispensable, mais il convient de ne pas perdre de vue l’héritage humaniste du 18ème siècle qui faisait prévaloir la culture générale sur les capacités techniques et il ne faut pas écarter le paradigme du projet qui installe le métier entre soi et le monde ». Il ajoute, que dans ce cadre « pourrait être promue une utopie de la mobilité et du projet éloignée des errances technocratiques qui visent à enfermer l’individu dans une classification, dans l’utopie de la fixité ».

 

Il précise enfin que « la formation tout au long de la vie peut permettre de casser toutes les formes de ségrégation entre les hommes » mais ajoute-t-il « ne nous battons pas entre écoles. On se moque de savoir où l’on doit faire la formation ».

 

C’est dans la perspective tracée par le mémorandum européen et les réflexions de P. MERIEU que nous situons la série de recommandations que nous allons maintenant formuler[2].

 

Elles sont toutes au service de quatre axes qui pourraient fonder une ambitieuse politique régionale d’éducation et de formation tout au long de la vie

 

§       intégration de l’éducation non formelle et informelle dans une offre équilibrée de formations tout au long de la vie,

§       impulsion d’une politique de proximité visant à réduire les « non-publics » de la formation tout au long de la vie,

§       valorisation des engagements dans la formation tout au long de la vie

§       dynamisation de l’expression des « oubliés » de la grande machine à former les adultes : les apprenants.

 

Elles concernent trois échelons du territoire éducatif :

 

·       le niveau régional

·       le niveau local

·       le centre de formation d’adultes.

 

 

L’échelon régional

 

Au fil du temps et d’une manière empirique, semble-t-il, plusieurs directions (autres que celle de la formation permanente) du Conseil régional ont développé une fonction d’éducation des adultes et enrichi la palette des offres de formation. Elles ont ainsi contribué au développement d’un espace éducatif relevant de l’éducation non formelle dont on connaît mal les contours et encore moins les publics concernés, ou les effets.

 

Certains éléments de cet espace éducatif figurent dans la galaxie de l’éducation non formelle que nous avons présentée. Ils donnent à voir la richesse d’un existant qui serait à identifier de manière exhaustive, sous la forme d’une cartographie des offres.

 

Cette représentation de l’existant permettrait la production d’un premier diagnostic que viendraient compléter les comités de concertation et les techniciens locaux. Chaque bassin d’emploi formation aurait ainsi une vision d’ensemble des actions d’éducation d’adultes développées dans son aire géographique.

 

A partir de cet état des lieux, pourraient être conçus et opérationnalisés au niveau régional une coordination, un pilotage et une dynamisation d’un ensemble d’actions rassemblées sous la notion d’éducation et de formation tout au long de la vie.

 

La coordination et le pilotage inter directions pourraient être confiés à la Direction de la formation permanente. Au service de cette coordination inter directions pourrait être institué un conseil du développement de l’éducation et de la formation tout au long de la vie qui remplirait cinq fonctions essentielles :

 

§       mise en débat des questions d’éducation et de formation tout au long de la vie pour faire de ce thème un objet de discussion citoyenne,

§       échanges et appropriation autour d’études et de recherches développées par les acteurs régionaux,

§       production de propositions contribuant à la construction en continu d’une politique régionale ambitieuse et faisant du Nord Pas-de-calais une région pionnière,

§       conception et organisation d’un Festival annuel de la formation tout au long de la vie, en lien avec les acteurs locaux et visant à valoriser tous les engagements et tous les chemins conduisant à l’éducation, à la culture, à la citoyenneté active.

 

 

L’échelon local

 

C’est certainement l’échelon décisif car c’est à ce niveau que peuvent être mis en synergie le formel, le non-formel et l’informel dans une perspective d’éducation et de formation tout au long de la vie.

 

En revisitant la notion de district éducatif et culturel développée par B. SCHWARTZ3, on pourrait imaginer que soient créés à l’échelon local un ensemble de dispositifs articulés entre eux et comprenant en particulier :

 

 

1.    La mise en synergie de l’ensemble des offres de l’éducation formelle et non formelle.

 

Tous les offreurs et opérateurs seraient rassemblés dans une instance pilotée par les élus et les techniciens de l’éducatif, du social, de la citoyenneté, du culturel.

 

Tous les opérateurs bénéficieraient de temps d’échanges et d’un temps de sensibilisation et de formation à la validation des acquis de l’expérience qui peut constituer l’un des axes structurants d’une offre mise en cohérence.

 

Avec l’aide de l’échelon régional, tous les opérateurs seraient sensibilisés à la dimension méthodologique et intégratrice de leur fonction éducative. Ils contribueraient à rendre leurs usagers capables d’auto-diriger leurs apprentissages et de naviguer dans l’ensemble des possibilités d’éducation formelle, non formelle et informelle. Dans un premier temps, deux ou trois institutions pourraient remplir une fonction expérimentale de « boutique d’auto-formation » accompagnant des pratiques d’auto-éducation. Ces dernières pourraient ainsi être progressivement reconnues et encouragées. Demain, c’est le nombre d’auto-formés que compte une ville qui sera déterminant dans la dynamique d’un développement éducatif local durable.

 

2.    Des espaces « savoir plus » au service de la sensibilisation, l’accueil, l’orientation des adultes.

 

S’inspirant de ce qui s’invente actuellement au Portugal4, le comité local accompagné par l’échelon régional, pourrait susciter la création d’espaces « savoir plus ». Ces espaces implantés dans différents lieux (mairies, institutions sociales, éducatives, culturelles, commerces, administrations, etc.) rempliraient, dans la proximité, des fonctions de sensibilisation, d’information, d’écoute, de déclenchement de la curiosité, de l’envie de découvrir et d’apprendre. Ils pourraient constituer l’élément de proximité dans le cadre d’une politique de sensibilisation et d’orientation des adultes visant à mailler l’ensemble du territoire régional.

 

L’activité d’écoute et de dialogue développée par les animateurs des espaces « SAVOIR + » remplirait aussi une fonction de recueil des demandes individuelles de formation, des attentes des adultes.

 

 

3.     Une politique de formation continue de tous les opérateurs de l’éducation des adultes

 

Comme nous l’avons mis en évidence dans le premier volume de cette étude, l’éducation des adultes est assurée par des nombreux opérateurs. Ces derniers appartiennent à des familles professionnelle très diversifiées et souvent éloignées les unes des autres : formateurs, travailleurs sociaux, animateurs, accompagnateurs, médiateurs sociaux ou culturels, artistes, militants associatifs, etc. …

 

Ils possèdent des savoirs professionnels souvent complémentaires. Comme nous l’avons constaté, ils sont souvent, dans leurs pratiques, inventifs, astucieux, proches de leurs publics.

 

C’est à l’échelon local que pourraient, par le biais de groupes d’échanges de pratiques et la construction d’un plan de formation continue, commun à tous, s’opérer des rapprochements et l’émergence d’une culture professionnelle partagée structurée autour du concept d’éducation et de formation tout au long de la vie.

 

Sur ce point, pourraient être mobilisés les multiples centres de ressources que nous avons identifiés et en premier lieu le CRRP, ainsi que les universités et des équipes d’intervenants spécialisés.

 

4.    La valorisation des engagements en formation et des créations « ordinaires »

 

Malgré leur omniprésence dans nos vies quotidiennes, des phénomènes humains tels que la curiosité, l’apprentissage, l’émerveillement de la découverte, l’émotion que procurent une rencontre, une œuvre, les révélations que déclenchent parfois un poème, une musique, une chanson ne sont pas identifiés, ni valorisés. Dans le même ordre d’idée, les créations, les habilités, les savoirs faire des gens ordinaires, des autodidactes restent eux aussi enfouis dans les arrière-cuisines, les jardins, les buanderies des cités souvent oubliées. Tout se passe comme si cette richesse humaine n’avait jamais été regardée comme elle le mériterait, c’est à dire, et cela est particulièrement vrai dans la région Nord/Pas-de-Calais, comme le trésor d’un peuple d’autodidactes.

 

D’où l’urgence de rendre possible, à tous les niveaux, la production de récits de formation, l’écriture « d’histoires d’apprendre » qui constitueraient les premiers éléments d’un centre de ressources du patrimoine humain dédié aux aventuriers de l’apprentissage et du savoir.

 

D’où l’urgence de concevoir et d’organiser, comme cela se fait dans d’autres pays d’Europe, un « Festival de la formation tout au long de la vie » qui contribuerait à faire reculer pour de nombreux adultes des barrières visibles et invisibles qui parfois les empêchent de continuer à avancer sur les chemins de la connaissance et de la culture. Un festival de la formation tout au long de la vie qui illustrerait la prédiction du cinéaste F. TRUFFAUT « L’avenir appartient aux gens curieux ».

 

5.    La formalisation et la diffusion des innovations sociales, culturelles, économiques, éducatives, citoyennes

 

Les données recueillies dans les territoires enquêtés nous ont permis de prendre la mesure du nombre et de la qualité des « bonnes pratiques » développées par de multiples acteurs.

Une mise en circulation et une valorisation plus soutenue de ces multiples expériences seraient à opérer.

A l’échelon local pourrait être institué de manière souple un conseil local de l’innovation qui pourrait aussi remplir une fonction de centre de ressources éducatives.

 

Pour chaque territoire une mission d’accompagnement de ces centres de ressources locaux pourrait être assurée par l’un des centres de ressources régionaux que nous avons identifiés.

 

Le centre de formation

 

Par centre de formation, nous entendons toutes les institutions éducatives spécialisées dans la formation des adultes5.

 

Proches des publics et des non-publics de la formation, ils constituent le maillon central d’un dispositif d’opérationnalisation d’une politique régionale d’éducation et de formation tout au long de la vie inspirée du mémorandum européen.

 

Dans un dispositif régional fondé sur une conception large de l’éducation et de la formation tout au long de la vie quatre fonctions prioritaires pourraient leur être confiées :

 

·       contribuer à élargir les publics de la formation tout au long de la vie,

·       enrichir leur offre éducative en y intégrant les dimensions culturelles, civiques, sociales,

·       accorder une place centrale au métier d’apprendre,

·       contribuer au développement local du territoire.

 

a)     L’élargissement des publics

 

On le sait : les inégalités d’accès à la formation tout au long de la vie sont encore très importantes. Par ailleurs, la notion d’accessibilité est une notion complexe ; trois niveaux au moins la composent :

 

·       l’accessibilité objective

·       l’accessibilité subjective

·       l’accessibilité potentielle.

 

Le premier niveau renvoie à des facteurs que les travaux de J. HEDOUX6 ont bien mis en évidence : conditions matérielles d’existence, conditions sociales d’accès à la formation, capital économique, scolaire et culturel, pratiques sociales et culturelles. Il s’agit d’obstacles concrets qui rendent, souvent, impossible un engagement durable en formation.

Le second niveau est plus difficile à cerner. Il est déterminé par l’histoire de vie de l’adulte et en particulier son parcours d’élève, son degré de confiance en ses capacités à apprendre, mais aussi par le regard que vont porter sur lui les acteurs sociaux et éducatifs qu’il va rencontrer. De ce point de vue, la rencontre avec le monde des « pédagogues » au sens large du mot, est déterminante. C’est à cette catégorie d’acteurs que revient la responsabilité de reconnaître et d’accueillir l’expérience de chaque adulte.

 

Cela suppose que dans l’esprit et l’attitude de ces acteurs de la formation soient abolies les hiérarchies entre systèmes d’apprentissages, soient atténuées les rigidités institutionnelles, soient reconnues la valeur et la diversité des modes d’apprentissage, soient valorisés toutes les formes de savoirs.

La sensibilisation de tous les « pédagogues » à la validation des acquis de l’expérience, que nous avons déjà évoquée, devrait intégrer cette dimension d’éducation du regard, cette attention à l’extrême richesse de toutes les « histoires d’apprendre » des gens ordinaires.

 

Le troisième niveau concerne les activités de sensibilisation, d’information, d’orientation que pourraient développer, en lien avec les structures d’accueil, les centres de formation.

 

Pour développer cette fonction, les centres de formation doivent s’ancrer dans leur environnement et partir, de façon volontariste, à la rencontre des publics. On peut envisager qu’ils accueillent en leur sein un « club savoirs plus » et soient aussi vecteurs d’une ambitieuse politique de sensibilisation et d’orientation des publics.

 

C’est en s’engageant dans cette voie que les centres de formation pourraient progressivement devenir des maisons du savoir et de la formation tout au long de la vie.

 

 

b)     L’enrichissement de l’offre éducative

 

Dans une perspective d’éducation et de formation tout au long de la vie les activités d’apprentissage visent à développer toutes les dimensions de la personne. Elles permettent l’acquisition de connaissances, de qualifications, de compétences, d’habiletés qui relèvent de la formation professionnelle, mais aussi de l’éducation de la sensibilité et de l’ imaginaire, de la citoyenneté. Bref l’offre des centres de formation devrait évoluer et développer la dimension culturelle et la dimension citoyenne.

 

Comme le souligne J. Bruner  « la culture donne forme à l’esprit »7. Elle assure la confrontation des points de vue, la pluralité des visions du monde, l’accroissement des échanges et des relations.

Tout centre de formation devrait comprendre un espace « livres et multimédias ». On a vu dans le premier tome de cette étude combien la rencontre avec le livre, l’écriture, les créateurs était déterminante dans le travail d’auto-construction des identités personnelles, sociales et professionnelles.

 

En bénéficiant des soutiens que le Conseil Régional accorde aux lycées (aide aux projets culturels, action « cinéma au lycée », etc…), les centres de formation pourraient aussi devenir les maillons d’une politique culturelle régionale soucieuse de démocratiser la culture et de combattre l’exclusion culturelle. Les réalisations décrites dans le premier tome de cette étude et dans les journées de « cousinages », également évoquées, indiquent la voie à suivre. Si cette suggestion était retenue, des milliers d’adultes qui ont « faim dans leur tête » pourraient faire leur cette réflexion du philosophe V. Jankéléwitch « on peut vivre sans musique, sans poésie, sans théâtre, sans peinture, sans littérature, sans cinéma, sans chanson … mais beaucoup moins bien ».

 

Quant au développement d’une dimension citoyenne, la priorité pourrait porter sur la consolidation d’une citoyenneté d’apprenant. En effet, la première exclusion vécue par nombre d’adultes est celle de la parole. La seconde est celle de l’écoute. Rendre les sujets sociaux apprenants citoyens c’est d’abord rendre possible l’expression d’une parole libre, collective et responsable. C’est ensuite les associer à la vie des institutions éducatives en démocratisant leur fonctionnement. C’est enfin faire du lieu de formation un endroit où on est encouragé à apporter ses expériences comme dans ces estaminets de campagne où l’on peut « apporter son manger ».

 

 

c) Accorder une place centrale au métier d’apprendre

 

Au nombre des indicateurs qu’elle répertorie pour apprécier et comparer la finalité de l’éducation scolaire dans les pays de l’union, la commission européenne a retenu un indicateur « apprendre à apprendre » qui est ainsi présenté : « le véritable test pour celui qui apprend tout au long de la vie, c’est sa capacité à continuer à acquérir des compétences et des connaissances dans un grand nombre de contextes différents une fois sa formation scolaire achevée. Pour apprendre efficacement il est nécessaire de savoir comment apprendre et de disposer d’un ensemble d’outils et de stratégies utiles pour réaliser cet objectif ».8

 

Cette reconnaissance de l’impérieuse nécessité pour les enfants et les adultes d’acquérir des capacités à se former tout au long de la vie est fondamentale. Nous y avons déjà fait largement allusion dans le premier tome de cette étude. Mais redisons le ici : pour se former tout au long de la vie il faut avoir acquis des méthodes de travail intellectuel ; il faut avoir acquis des compétences en matière d’auto-documentation ; il faut aussi avoir réfléchi sur ses façons d’apprendre et sur le « pourquoi apprendre », dans sa double dimension de motivation et de projet. Bref les enfants et les adultes ont besoin d’une boîte à outils méthodologiques qui leur permettra d’améliorer les processus d’appropriation, d’intégration, de mobilisation des savoirs issus de nouvelles sources de connaissance et de toutes les expériences de la vie.

 

Tous les centres de formation devraient pouvoir remplir ce rôle de « boutique d’autoformation » pour leurs apprenants, mais aussi pour les personnes qui souhaiteraient de façon volontaire bénéficier d’un tel accompagnement, d’un tel service.

 

Il serait aussi pertinent d’engager sur ce point une collaboration avec les acteurs de la formation initiale qui ont la responsabilité de doter chaque enfant des capacités à se former tout au long de la vie.9

 

Il serait enfin honnête de mettre fin à certaines formes d’inflation du vocabulaire que nous utilisons en formation d’adultes lorsque nous prétendons rendre l’adulte « acteur de sa formation » sans s’interroger un moment sur la somme de compétences complexes qui sont à acquérir et à entretenir pour remplir ce rôle. « Acteur » comme de nombreux mots du jargon de l’éducation des adultes est un mot lourd de sens ! Soyons humbles et précis dans l’usage des mots qui comme les gens et selon la formule de Jean Paulhan « gagnent à être connus, car ils gagnent en mystère ».

Notre sentiment est qu’un vaste chantier socio-pédagogique est à ouvrir sur ce point et plus généralement sur une préoccupation fondamentale, qui est au cœur de l’avenir de l’éducation et de la formation tout au long de la vie : comprendre comment les gens apprennent et comprendre comment se déclenche et s’entretient une dynamique faisant de la vie une permanente éducation.

 

 

d)     Contribuer au développement local du territoire

 

Comme nous l’avons constaté dans le premier tome de cette étude, de nombreux acteurs de l’éducation non formelle participent au développement social, culturel, éducatif voire économique du territoire dans lequel ils sont insérés.

 

Dans la perspective d’une mutualisation des ressources éducatives et culturelles des territoires, évoquée précédemment, des regroupements d’acteurs pourraient conforter et enrichir cette articulation entre la formation au sens large et des projets de développement local. L’éducation non formelle est porteuse de cette dimension citoyenne qui donne à la formation un sens nouveau et une ouverture sur l’environnement.

 

Consolider cette relation entre éducation et territoire permettrait aussi d’enrichir l’une des boîtes à outils dont l’éducation et le formation tout au long de la vie a besoin pour se développer : un type d’ingénierie au carrefour du social, de l’économique, de l’éducatif et du culturel qui peine à émerger tant est encore fréquente la segmentation dont nous avons déjà dénoncée les effets négatifs.

 

Horizon 2020

 

Les recommandations que nous venons de formuler font écho à l’un des six grands enjeux identifiés à l’issue du travail de réflexion prospective à vingt ans engagé par le conseil régional du Nord - Pas de Calais. Il est intitulé « entrer dans la société de la connaissance » et précise que « la connaissance et le savoir sont indispensables… Il nous faut aujourd’hui apprendre à apprendre et à comprendre, mettre en place de nouvelles organisations fondées sur la réactivité, l’autonomie, la créativité et la transversabilité. Or cela exige de nouveaux rapports à la connaissance et passe par l’éducation tout au long de la vie et la validation des acquis de l’expérience. Il s’agit de faciliter cette révolution et de la rendre accessible à tous ».

 

Pour s’engager sur le chemin que trace cet objectif, la région a besoin, nous semble-t-il, d’opérer dès que possible une mise en synergie et en cohérence de toutes les offres éducatives, culturelles et citoyennes qu’elle soutient et de construire ainsi les fondements d’un service public de la formation et de l’éducation tout au long de la vie.

 

Piloté par des élus soucieux de mettre fin à la segmentation et à l’émiettement de la « mosaïque éducative » actuelle, ce projet de fondation d’un service public de la formation et de l’éducation tout au long de la vie pourrait être porté et enrichi par des familles professionnelles aujourd’hui séparées : intervenants de l’urbain, travailleurs sociaux, personnels de l’action culturelle, de la santé, de la prévention, de la formation initiale, de la formation continue, des milieux sportifs.

Rassemblés, impliqués dans des formes multiples de cousinage et de compagnognage à inventer, ces agents pourraient forger une culture professionnelle commune et œuvrer ensemble à l’amélioration de la « grande machine à former » qui oublie parfois qu’elle est avant tout au service de milliers d’adultes qui ont « faim dans leur tête » et qui aimeraient tant que continue à se concrétiser dans le Nord – Pas de Calais cette supplique empruntée à Guillevic le poète des choses à la fois simples et graves :

 

« Pervenche, pervenche

Dis le lui, prédis le lui

Que cette fois

Ce n’est pas pour qu’on l’écarte »

 



[1] Il s’agit de propos tenus lors d’une conférence sur l’éducation et la formation tout au long de la vie prononcée à Lyon le 29 Avril 2002.

 

 

[2] Rappelons qu’elles prolongent et complètent les suggestions déjà formulées, au fil des pages du premier tome de cette étude.

3 Se reporter au livre de B. SCHWARTZ « L’éducation demain » - Editions Aubier – Montaigne.

4 Se reporter au document « Guide des clubs savoir + » Principes et orientations (disponible au CUEEP de Lille) que nous avons déjà évoqué dans le premier tome de l’étude

5 Dans l’état actuel des choses, il serait démagogique d’assimiler tous les lycées et tous les collèges à des centres de formation d’adultes et de les englober dans le dispositif que nous tentons d’imaginer. Il serait toutefois urgent de réfléchir aux conditions et aux formes d’accompagnement qui permettraient de les associer progressivement aux missions évoquées dans ce document.

 

6 Se reporter à l’article de J. HEDOUX « Des publics et de « non-publics » sur la formation des adultes » - Revue française de sociologie – N° 23 – 1982.

7 Se reporter au livre de J. Bruner : « Car  la culture donne forme à l’esprit ; de la révolution cognitive à la psychologie culturelle » - Editions Eshel – 1991.

8 Se reporter au rapport européen sur la qualité de l’éducation scolaire. Seize indicateurs de qualité – Mai 2000.

9 Dans le livre « Biographie et éducation » (Editions Anthrops – 2002) C. Delory-Momberger évoque les pratiques développées en Belgique flamande. Nous pourrions utilement nous rapprocher de nos proches voisins pour mieux connaître ce qu’ils réalisent dans ce domaine de l’acquisition de méthodes de travail intellectuel dès le plus jeune âge.