Tout n’est pas dans nos livres :
la gestion de l’informel et de l’incorporel
A-GRAF – 5 mai 2005
Mohammed Melyani
MC – UPJV – A-GRAF
“ Apprendre, c’est de jour en jour
s’accroître ”.
“ Connaissance d’autrui égale
intelligence. Connaissance de soi égale clairvoyance.
Qui triomphe d’autrui est seigneur de la
force. Qui triomphe de soi, est seigneur de la puissance ”.
“ Celui qui marche bien ne laisse pas de trace. Celui qui
parle bien son discours est sans tâches.
Celui qui compte bien n’a que faire d’abaque.
Ce qui est bien fermé, l’est sans verrous,
ni barres. Qui, cependant, le forcera ?
Ce
qui est bien noué, l’est sans liens, ni amarres. Qui, cependant, le
dénouera ? ”.
D’un point de vue de la gestion et de
l’auto-gestion de la connaissance et des stratégies d’acquisitions et
d’apprentissages, nos travaux sur l’autoformation et l’apprentissage hors école
(bricolage, expériences méthodologiques en autonomie, pratiques informelles et
non formelles, associations et éducation,…) ont mis en évidence une réelle
capacité des acteurs (dans/hors-système) à faire évoluer les principes et les
« astuces » d’acquisition et d’auto formation au fur et à mesure que
des retours d’expériences émergent sur des situations, des individus et des
projets.
D’autre part, l’analyse de la plupart des
grands systèmes, organisations et programmes de connaissances montre des
dysfonctionnement et des retards de développement, des dérives de gestion (et
de coûts) et des niveaux insuffisants de performances…. Des hypothèses permettent
de conclure que la gestion et/ou l’auto gestion de ce système de connaissances
(de nature « complexes ») s’avéraient largement défaillantes, ce qui
relève d’une gestion insuffisante des données incorporelles et informelles.
Le recours à l’informel comme politique
d’innovation, (des institutions : privées ou publiques), de
reconstitution, de diversification d’activités et de développement, a pour
nature de permettre l’évolution du référentiel d’action des organisations
publiques et privées et leurs capacités d’adaptation à l’environnement et
d’apprentissage par la pratique : l’objectif donc est d’améliorer
« la gestion » de l’immatériel, de l’informel (connaissances,
expériences et information) sur les programmes et les systèmes.
A titre d’exemple, en Grande Bretagne,
entre les années 90 et 2000, les critiques successives concernant la gestion
des programmes et le maintien des capacités technologiques ont conduit à
introduire au sein des principes fondamentaux de la politique d’acquisition
(d’armement, économique, technologique,…), la nécessité de préserver les
compétences technologiques et industrielles à moyen terme ainsi que d’améliorer
la gestion des programmes à travers la gestion de l’incorporel et de
l’informel.
L’intégration de l’informel dans la
gestion des programmes de connaissances complexes, à pour nature de faire
évoluer considérablement les références, les comportements et les modes
d’action. Elle permet également d’introduire de nouveaux principes de savoirs,
et de management de systèmes, de programmes et d’actions. La capacité d’un
acteur (ou d’un système) de s’approprier l’informel et d’en tirer des éléments
permettant de faire évoluer son action, constitue un trait caractéristique d’un
nouveau mode d’auto formation et d’auto gestion.
Elle démontre aussi à quel point les
acteurs (qui intègrent l’informel) font preuve d’une réelle capacité
d’apprentissage, mettant en place une nouvelle forme de management des
connaissances et d’auto formation.
Dans la société du savoir et de
l’information d’aujourd’hui, les connaissances nécessaires au développement des
acteurs et des systèmes sont riches et variées. Il s’agit de connaissance en
sciences humaines et sociales, en éducation, dans les domaines scientifiques,
techniques, juridiques et financiers ainsi que les connaissances liées à
l’expérience opérationnelle tirée des activités professionnelles et
extra-professionnelles, des pratiques informelles et des innovations.
Pour l’acteur, l’institution (entreprise,
organisme de formation, association, …) et l’Etat utilisateur ; les
savoirs et les connaissances permettent de choisir une option (culturelle,
éducative, technologique, professionnelle, etc) et de comprendre ce qu’une
innovation peut apporter à l’individu ou au programme d’une institution.
La qualité de gestion et d’auto-gestion
de l’immatériel, de l’informel (connaissances et informations) est déterminante
pour atteindre l’objectif de « tirer le meilleur parti des choses ».
Cette approche vise explicitement à rechercher la complémentarité entre secteur
formel, informel et non formel : en mettant en évidence la convergence des
intérêts publics/privés, formel/informel en matière de développement de
programmes de connaissances et d’expériences. Cette recherche de
complémentarité fait écho aux analyses sur la capacité limitée des individus et
des organisations à traiter les informations et les connaissances (Cohendet et
Llerena, 1999 : 214). La résolution de problème complexe résulte donc de
la mise en place de coopérations étroites entre les acteurs, les réseaux et les
secteurs d’activités (formel et informel).
La coopération entre les acteurs et les
réseaux d’actions et de savoirs reposent sur la mise en place d’une variété de
modes d’échanges, d’appropriation et de stockage des connaissances et des
informations. Ces échanges sont encore loin de donner pleinement satisfaction
et impliquent un processus de longue haleine. Les nouvelles technologies de
l’information constituent l’un des principaux supports visant à accroître la
circulation de l’information entre les acteurs et les institutions.
La transmission et l’appropriation des connaissances (informelles
et non formelles) s’inscrit dans des processus complexes, et supposent de
multiples modes d’échanges, variés et complémentaires entre acteurs et
institutions. Il convient de mettre en évidence l’importance au sein d’une
organisation publique ou privée de combiner les différents modes d’échanges des
connaissances pour permettre la création de nouvelles connaissances et
favoriser des processus d’apprentissage collectif et de partage.
La nécessité d’une variété des modes
d’échanges s’explique par le clivage existant entre les connaissances
formelles, informelles et non formelles, c'est-à-dire entre les
connaissances tacites et les connaissances explicites ; les connaissances
informelles, non formelles ê tacites sont tirées de l’expérience et
de la pratique. Elles sont enracinées dans l’action, les idées, les émotions,
la culture, les valeurs, les situations,… Leur transmission est complexe car
elle suppose le partage de l’expérience (expériences d'autoformation).
Elle implique davantage des espaces d’échanges physiques, d’échanges
d’expériences (par des modes de transmissions directes ou indirectes) qui ne se
transmettent pas dans les manuels ou les livres). Il s’agit de faire partager
les expériences des acteurs et d’en tirer des recommandations pour faire
évoluer une politique ou le programme d’une institution ou d’une acquisition.
Les connaissances formelles et/ou explicites peuvent être exprimées dans un
langage formalisé, décomposé en théories, faire l’objet d’un livre ou d’un
manuel. Elles sont codifiables. Les technologies de l’information par exemple
peuvent jouer un rôle important dans la transmission des connaissances
formelles et/ou explicites (Monaka, Toyama et Byosiere, 2001, p. 110 = Valérie
Mérindol).
Notre idée est que, grâce aux modes
d’interactions et échanges entre les cultures et les pratiques formelles, non
formelles et informelles d’apprentissages, il faut passer des processus dynamiques
de création de connaissances en favorisant le processus de conversion des
connaissances informelles et non formelles - tacites en connaissances
explicites et vice-versa.
Construire un « pont » entre
les cultures et les pratiques vise à accroître les connaissances
partagées entre les individus, les acteurs d’un système ou d'une
organisation (éducative, de défense, une entreprise, une association, une ONG,
…). Les connaissances partagées correspondent au développement de codes, de
croyances, de règles, de concepts, de valeurs, de langages partagés par un
ensemble d’individus, et/ou d’organisation, d’un système voire d’un
« monde ». Elles sont collectivement reconnues comme efficaces et
encadrent les comportements individuels. (Du point de vue de l’action publique
par ex., l’accroissement de connaissances partagées peut constituer un enjeu
majeur pour légitimer la politique publique et les réformes). La création de
connaissances partagées permet d’accroître la convergence des représentations
(Dibbiaggio, 1999 : 123 ê Valérie Mérindol, p. 110) et de bâtir
une vision et une stratégie communes pour l’avenir.
La création d’espaces d’échanges de
connaissances et d’informations entre le formel, l’informel et le non formel
constitue de véritables modes d’apprentissages au sein desquels les acteurs,
les organisations, les systèmes et les cultures sont censés s’adapter
continuellement aux enjeux économiques et politiques pour améliorer leurs
compétences et performances. Les individus ont des capacités cognitives qui
évoluent dans le temps et selon l’espace, qui leur permet de s’adapter, de
s’autoformer et de faire évoluer leurs représentations du monde. L’auto
formation et l’apprentissage supposent de reconnaître et d’identifier les
erreurs, de les corriger, de mettre en œuvre de nouvelles actions et d’en
évaluer les résultats. Il est indéniable que la notion d’auto formation et
d’apprentissage est aujourd’hui une composante essentielle de la stratégie de
développement et de transformations des individus, des organisations et des
systèmes politiques et économiques. Ces notions constituent une constante
d’adaptation des acteurs et des institutions aux enjeux culturels, économiques
et géopolitiques ainsi qu’aux changements organisationnels et techniques afin
d’atteindre « la pédagogie transformationnelle » et de « tirer
le meilleur parti des choses ».
Les organisations (entreprise,
association, ONG, …) et les systèmes économiques et politiques ont compris
qu’ils sont des acteurs déterminants dans le processus d’apprentissage et de
création de connaissances (cette prise de conscience s’accompagne d’une
évolution du rôle des acteurs publics et privés dans le processus de production
et d’information nécessaire à l’élaboration de projets d’avenir et de politique
d’acquisition, en rapport (et en lien) avec leur capacité de synthèse des
besoins, des connaissances (en sciences humaines et sociales, en nouvelles
technologies, en sciences économiques et juridiques…) et des technologies
sous-jacentes à l’échelle mondiale (en permettant de disposer d’une vision
relativement complète des enjeux et des risques sur les « marchés »).
Enfin, fait marquant, les industriels et
les agents de la vie économiques sont au cœur du processus d’apprentissage et
de la transmission de bonnes pratiques. On assistera dans un avenir proche à un
déplacement de la production de la connaissance et des informations des
systèmes éducatifs (l’Etat, l’école, l’université…) vers les entreprises, les
associations, la vie. Le phénomène s’accentuera à notre sens avec la
privatisation possible des laboratoires de recherche.
Au sein de la société
« éducative » d’aujourd’hui et au sein des réseaux de savoir d’action
publique et privée, les chercheurs, les ingénieurs, les formateurs de terrain,
« les passeurs culturels » occupent donc une fonction proche de la
médiation en matière des pratiques formelles, informelles et non formelles. Les
médiateurs sont définis comme des individus ou des groupes d’individus qui
apportent des connaissances et des informations essentielles pour l’élaboration
et l’exécution des programmes, des projets et des politiques publiques (en
matière d’éducation, d’économie, d’action sociale, …). Ils produisent
la « vérité » du moment en se projetant dans l’avenir.
Il est intéressant de constater qu’une
nouvelle approche de l’apprentissage, s’appuyant de plus en plus sur des modes
mixtes de gestion de connaissances formelles, informelles et non formelles, est
la conséquence d’une évolution directe de la connaissance, au sein de laquelle
on cherche largement à dépasser l’antagonisme des intérêts des écoles et entre
acteurs. Dans ce contexte, la notion de réseaux de chercheurs
(pluridisciplinaires, sans frontières, multiculturels, …) occupe une place
centrale pour permettre d’améliorer la gestion des connaissances et des
informations et de construire un pont entre formel et informel.
Dans le même sens, la frontière des
organisations devient de plus en plus floue et mouvante au sein du système de
production socio-économique. On constate une véritable imbrication des
compétences et des acteurs publics et privés. (A titre d’exemple, les
institutions publiques (services de formation continue, universités, écoles,
entreprises, …) recourent davantage aux expertises en termes de management de
projet, d’audit, de compétences, … issues du monde industriel.
Une telle imbrication entre les
organisations est la conséquence inéluctable du développement de réseaux
d’action publique horizontaux dont l’objectif est d’accroître les connaissances
partagées et de construire un pont entre les cultures (professionnelles,
formelles, informelles, publiques et privées, …) et de mettre en œuvre un
processus dynamique de création de savoirs et de connaissances. Cette
imbrication suppose, toutefois l’existence d’une forte convergence entre les
intérêts des acteurs et des institutions.
Il convient de ne pas ignorer le fait,
que la relation entre les acteurs inter et intra-institutionnels, les relations
entre les cultures, … ne sont pas exclusivement coopératives ;
les intérêts individuels et institutionnels dans le cadre d’une relation
de marché par une relation professionnelle ne peuvent pas se traduire par un
partage complet des informations et connaissances jugées
déterminantes pour la stratégie des acteurs. Les organisations, aussi
bien que les acteurs, protègent les connaissances (les projets) et les
pratiques qui leur permettent d’être compétitives. A titre d’exemple, la
réticence des organisations partenaires dans des projets communs à transmettre
des informations stratégiques est une parfaite illustration des limites au
partenariat et au partage des connaissances et des informations entre les
acteurs. Ces ambiguïtés relatives à la nature des relations et des partenariats
constituent la source d’une instabilité potentielle entre les réseaux, les
institutions, les acteurs et les cultures.
Il me semble qu’une qualité des
interactions entre les acteurs, les organisations et les cultures est un
élément déterminant pour une meilleure gestion des connaissances, un meilleur
partage et un nouveau mode de production et transmission des connaissances.
Cela a pour résultante de rendre floues
et mouvantes les frontières entre individus, institutions et cultures. Si des
conflits potentiels existent entre les acteurs ou les cultures, ces réseaux
reposent sur une forte convergence des intérêts et résultent d’une réelle
interdépendance des agents au sein du système de production et transmission des
connaissances formelles, informelles et non formelles, créant des
nouveaux espaces d’expressions des intérêts politiques, culturelles,
économiques et sociaux à partir d’un cadre normatif et cognitif
dans lequel les acteurs vont pouvoir se comprendre, nouer et approfondir leurs
relations.
Chaque acteur, organisation et/ou culture
doivent être capable de détenir les compétences (formelles ou informelles) qui
vont lui permettre de s’approprier les connaissances issues du monde extérieur
ou d’une autre « tradition culturelle ». Il doit alors faire évoluer
son organisation (consciente ou inconsciente) pour faciliter la circulation des
informations et la transmission des connaissances. L’expérience montre que le
modèle bureaucratique et formel, est peu enclin à assurer une création
dynamique des connaissances et mettre en place des modes d’apprentissage
collectif. Le rôle des entreprises, des associations, des « traditions
culturelles » de connaissances informelles, … dans le processus de
création, de transmission et de production des connaissances, conduit
indéniablement à se poser la question des relations entre formel, informel et
non formel dans la préservation d’une « expertise » scientifique,
technique et culturelle suffisante pour émettre des avis indépendants.
L’instauration d’une telle relation
renvoie directement à un problème de confiance entre les acteurs, les
institutions et surtout les cultures. La confiance (la relation de
confiance) comporte indéniablement un risque : avoir confiance
c’est accepter une dépendance vis-à-vis du partenaire. Il faut savoir choisir
le partenaire et savoir ce qu’il peut apporter ou prendre. La confiance est
donc irrémédiablement liée à la préservation des compétences de base de
l’acteur et de l’organisation. Avoir confiance en son partenaire c’est
d’abord et avant tout avoir confiance en ses propres capacités à pouvoir
« partager » et tirer les bénéfices de ce partage.
M.
MELYANI
4 Mai 2005