A-GRAF, Gourette, 2005
Leblanc, Serge, Maître de conférences TF&D LIRDEF, IUFM, Montpellier, France, serge.leblanc@montpellier.iufm.fr, leblanc.serge@wanadoo.fr
De nombreuses recherches menées dans différents
domaines professionnels (éducatif, médical, sportif) montrent que les
compétences développées par les acteurs sont plus à relier à des expériences
construites sur leur terrain d’intervention qu’à des bases de connaissances
théoriques, didactiques acquises dans les formations suivies. L’expérience
pratique en permettant de développer des compétences professionnelles et des
connaissances relatives à des situations pratiques est une source
d’apprentissage privilégiée qui reste malgré tout peu prise en compte
sérieusement dans les dispositifs de formation. A l’occasion de ces expériences
pratiques se réalise des apprentissages informels définis comme n’obéissant pas
à « une logique de structuration explicitée » et ne faisant pas
l’objet d’enseignement. Il semble pourtant essentiel lorsque l’on se préoccupe
de formation et de développement professionnel de s’interroger sur les
relations qu’entretient la formation initiale ou continue à travers ses
programmes et contenus avec l’expérience vécue du travail réel par les
personnes formées.
Les dispositifs de formation sont structurés
massivement à partir de connaissances théoriques scientifiques auxquelles se
réfère le domaine professionnel concerné : l’apprentissage, la matière
enseignée et la didactique dans la formation des enseignants, la physiologie,
la biomécanique et les méthodologies de l’entraînement dans la formation des
cadres sportifs, la biologie dans la formation du corps médical… Le but de ces apprentissages formels définis comme des
« formes d’apprentissages programmés » est de transmettre des
principes généraux qui devront être spécifiés par la suite en fonction des
contextes d’intervention. Tout se passe comme s’il suffisait d’appliquer les
lois de l’apprentissage, de l’entraînement, de la biologie pour exercer son
activité professionnelle de manière efficace. La réalité de l’activité professionnelle
montre que les situations sont toujours plus complexes, incertaines que ce que
peuvent en expliquer ces théories et que les acteurs ne font pas des choix en
situation naturelle par rapport à ces principes généraux mais par rapport à des
connaissances locales construites dans des contextes spécifiques en s’appuyant
fortement sur les ressources présentes dans l’action et sur leurs expériences
antérieures. Or les concepteurs de dispositifs de formation prennent peu en
compte l’expérience réelle vécue par les acteurs dans leur activité
professionnelle (futurs enseignants, entraîneurs, médecins, infirmières…) et
considèrent qu’il appartient aux personnes formées d’ajuster les connaissances
abstraites acquises lors de la formation théorique pour répondre aux nécessités
du terrain professionnel. Dans la majorité des cas, les acteurs éprouvent de
grandes difficultés à faire seul ce travail d’articulation entre des
apprentissages formels génériques et abstraits et des apprentissages informels
singuliers et contextualisés. Pour faire face à ces écueils, les dispositifs
ont évolué vers des « formations en alternance » c’est-à-dire articulant des
phases de mises en situation professionnelle avec des phases de réflexion et
d’apports en centre de formation qui se concrétisent notamment dans de
multiples ateliers d’analyse de pratique (Perrenoud, 1996) et des entretiens de
conseils avec un tuteur professionnel. Paradoxalement, la plupart de ces
ateliers ou entretiens en adoptant un point de vue extérieur et objectif ne se
focalisent pas sur la mise à jour des apprentissages informels réalisés en
situation professionnelle mais tente d’expliquer des évènements survenus à
partir de différentes théories explicatives (personnalité, culture,
représentations, habitus, savoirs…) et / ou préconise des recommandations peu
articulées avec les préoccupations des personnes formées. De manière
alternative, en accordant un primat au point de vue de l’acteur pour décrire
ses interactions avec la situation, notre conception de l’alternance privilégie
un travail d’analyse sur sa propre pratique professionnelle mais aussi sur
celles de ses pairs qui porte sur l’activité réalisée comme un moyen de
transformer progressivement sa façon d’appréhender, de voir et de comprendre la
complexité des situations pratiques. Cette conception de l’analyse des
pratiques orientée sur l’analyse de l’activité en situation professionnelle des
personnes s’appuie sur les théories de l’activité et de l’action.
Celles-ci montrent que les personnes impliquées globalement dans l’action
(corporellement, affectivement, cognitivement, conativement) mobilisent et
constituent des savoirs contextualisés, identifiables uniquement dans les
pratiques. Ces savoirs issus d’apprentissages informels se distinguent
fortement des « savoirs théoriques » et sont appelés « savoirs
pratiques », « savoirs d’actions », « savoirs
d’expérience » (Barbier, 1998).
Nous proposons dans cette communication a) la
présentation d’une démarche d’analyse de l’activité médiatisée par l’espace
numérique « Réfléchir les pratiques » (Leblanc, Gombert, Durand,
2004) qui concrétise cette conception de l’alternance, b) l’identification
d’effets du dispositif d’analyse de l’activité à partir de l’étude de deux
cas : le cas d’un PLC2[1] d'Education
Physique et Sportive en formation initiale et celui d’un
enseignant d'Education Physique et Sportive en formation continue.
Pour accéder au vécu des personnes, il est nécessaire
de passer par la mise en mot. Mais, cette formalisation du vécu, selon le type
de questionnement et le cadre de l’entretien, débouche sur différents types de
discours qui se répartissent sur un continuum allant du discours idéalisé,
professé (ce qu’il faudrait faire dans l’idéal ou ce que l’on pense faire à
partir de ses conceptions du métier et de l’apprentissage) à un discours
décrivant au plus près la pratique réellement réalisée (ce que je fais, ce à
quoi je pense quand je le fais, ce sur quoi je me focalise, ce qui m’a amenait
à faire telle ou telle action…). Nous situons notre approche dans cette
deuxième voie en accordant un primat à la description de l’activité et non pas de
la tâche prescrite ou du sujet. Nous préconisons l’utilisation de la méthode
d’autoconfrontation issue de la recherche (Theureau, 1992) pour accéder et
rendre compte de cette expérience vécue à partir d’une théorie prenant en
compte de manière articulée les dimensions fondamentales de toute activité
humaine (action, cognition, perception, émotion, culture). L’autoconfrontation,
proche dans ses principes généraux de l’entretien d’explicitation (Vermersch,
1994) consiste à s’appuyer sur des traces de l’activité de l’enseignant[2]
à partir notamment d’enregistrement vidéo de séance de classe pour amener la
personne à commenter et raconter ce qu’elle fait, ressent, perçoit, ce dont
elle se souvient, et tout ce qui est significatif pour elle. Contrairement à
certaines approches utilisant la vidéo pour s’auto-analyser ou pour évaluer une
séance de classe à partir d’une norme didactique ou professionnelle, nous
préconisons une interprétation qui intègre de manière première et sérieuse le
point de vue de l’acteur impliqué. Ainsi, il ne s’agit pas d’expliquer, de
justifier ces comportements mais de les comprendre à partir d’un accès à des
aspects implicites de son activité. Cet accès n’étant ni spontané, ni facile,
nécessite le détour de la description de ce qui est marquant, significatif pour
l’acteur. La technique de l’autoconfrontation doit être maîtrisée pour
documenter les différentes dimensions significatives de l’activité d’un
enseignant dans un contexte donné. Le développement de compétences
méthodologiques pour accéder à l’expérience de praticiens suppose : de
connaître les différentes sources d'accès au "point de vue de
l'acteur", de connaître les différentes méthodes favorisant notamment la
verbalisation et l'explicitation rétrospective de l'action, de maîtriser la
conduite et le guidage de l’entretien, de réunir des conditions éthiques et
contractuelles favorables.
- Les fondements théoriques et méthodologiques de
cette technique d’autoconfrontation à partir de traces de l’activité sont
développés dans « Réfléchir les pratiques » à partir d’une carte de
concepts qui développe ces différents items et de travaux pratiques interactifs
visant à s’approprier ce type d’entretien.
- Pour favoriser une appropriation de cette démarche
d’analyse de l’activité d’autres professionnels mais aussi de sa propre
pratique, nous proposons dans l’espace numérique des cas prototypiques filmés
vécus par des enseignants plus ou moins expérimentés et commentés par eux à
partir de cette technique d’autoconfrontation. Pour travailler directement sur
le vécu de l’enseignant, un espace personnel permet d’intégrer ses propres
vidéos et contextes.
- De manière parallèle, un espace de production de
récit écrit structuré sur la même base théorique et méthodologique est proposé.
Dans cet espace de travail, nous invitons l’enseignant à se remémorer une
situation vécue récemment et à évoquer par écrit ce qui s’est passé et la façon
dont il l’a vécu de l’intérieur. Il est amené à choisir un moment qui l’a
marqué, qui comporte encore des zones d’ombre et conserve un caractère
problématique et dont il a envie de parler.
La distinction classique entre une approche pratique
de la formation et une approche théorique alimente encore de nos jours les
débats et les tensions dans de nombreux établissements de formation. Or le
développement et la pérennisation de dispositifs de formation en alternance
amène à reposer cette question et à dépasser cette opposition un peu stérile
entre une épistémologie de l’action et une épistémologie des savoirs (Durand,
Saury, Veyrunes, sous presse). Cette opposition peut se manifester en IUFM[3]
dans la tension entre le discours des chercheurs et celui des enseignants
intervenant sur le terrain. Les savoirs produits par certains chercheurs
peuvent être très éloignés des préoccupations des enseignants novices et n’être
d’aucune aide dans leur parcours de formation initiale. Les savoirs d’action
des maîtres de stage, tuteurs expérimentés sont plus près potentiellement des
préoccupations pratiques mais ne sont pas pour autant forcément adaptés aux
difficultés d’un débutant. Un travail spécifique doit être fait avec ces
enseignants novices pour leur faire expliciter eux-même leur situation problématique.
Il apparaît incontournable alors de chercher l’établissement de liens entre ces
différents contextes de formation afin que chaque stagiaire construise sa
propre cohérence personnelle en articulant savoirs informels et savoirs
formels.
L’espace numérique conçu a été pensé dans cette
perspective. Le scénario d’utilisation pédagogique de l’espace numérique
structuré à partir des quatre étapes suivantes présente un potentiel
formatif mis en évidence par nos études exploratoires mais qui reste à valider
sur un public plus nombreux et dans d’autres contextes de formation.
Première étape : commenter des situations
professionnelles de pairs relatives à des problèmes-typiques de l’enseignement
Confronté à un moment significatif de l’activité d’un
enseignant, il s’agit de faire part de son ressenti et d’évoquer les pensées
que cela suscite. En accédant au contexte de la situation professionnelle, à
une description précise de ce qui se passe (enregistrement audio et vidéo des
comportements et communications entre les protagonistes), et au point de vue
des acteurs sur ce moment particulier, il est possible d’enrichir
progressivement les échanges sur la situation. Cette approche permet une
implication authentique des personnes sans trop de réserve car réalisée par
procuration et donc avec une prise de risque minime de leur part. Elles peuvent
parler de cette expérience qui n'est pas la leur tout en l'étant un peu sans
craindre le regard extérieur. De plus, si les échanges sont développés sur un
mode compréhensif, elles peuvent se laisser aller à parler de leur expérience
par comparaison sans être au premier plan. Cette voie d'entrée dans l'analyse
de pratiques est d'autant plus pertinente que les cas vidéo proposés abordent
les situations problématiques typiques des enseignants novices correspondant à
leurs préoccupations du moment.
Deuxième étape : formaliser son expérience
singulière sous forme de récit à partir d’une évocation ou de traces de son
activité
Il s’agit de faire travailler les stagiaires sur leur
propre récit d'expérience en les guidant méthodologiquement pour choisir des
moments marquants de leur expérience d'enseignant et pour restituer leur cours
d'action sous la forme d'une histoire compréhensible par autrui. Cette
formalisation, mise en mots de son vécu est une phase indispensable de
l'analyse de pratiques qui précède les échanges et le partage d'expérience.
Elle peut-être accompagné d'un questionnement mené par un interlocuteur (pair
ou formateur) ayant pour but d'aider l'explicitation de son cours d'action.
Cette démarche peut-être réalisée également sur la base d’entretien
d’autoconfrontation à partir de traces de l’activité de l’acteur (sous forme
d’enregistrement audio et / ou vidéo, fiche de travail, préparation de cours
écrite, photos…).
Troisième étape : comparer des expériences entre
pairs et les analyser
Il s’agit de réaliser un travail de mise en relation
en comparant des expériences de pairs grâce à un accès immédiat dans l’espace
numérique à tous les récits. Il s’agit alors d'identifier les ressemblances et
les différences d’expérience afin de les regrouper dans des catégories plus
génériques les associant. Cette phase se prolonge par une analyse des
problèmes-typiques identifiés à partir de ces récits et par l’élaboration collective
d’analyse locale et de pistes de transformation des situations étudiées.
Quatrième étape : articuler ces savoirs
informels explicités avec des savoirs formels
Il s’agit d’articuler les analyses singulières,
contextualisées ayant mis à jour des savoirs informels avec des savoirs
formels, génériques en relation avec les problèmes-typiques mis en évidence. Ce
travail de généralisation progressif, de prise de distance est facilité dans
l’espace numérique par la possibilité d’accéder à des savoirs structurés
hiérarchiquement et en réseau à partir d’une carte de concepts sur les
questions d’enseignement-apprentissage, d’un glossaire, d’un système de
recherche et de liens proposés dans l’hypermédia et en direction d’autres
ressources (ouvrages, sites Internet).
Nous nous sommes intéressés à l’évolution de
l’activité d’un stagiaire PLC2 au cours
d’une situation d’analyse de pratiques collective menée à partir de la
confrontation à deux enregistrements vidéo d’une séance de classe.
Le premier cas vidéo porte sur une séance de natation
en 4ième mixte conduite dans une ZEP par un enseignant expérimenté.
L’enseignant doit gérer dans une même ligne d’eau des nageurs qui ont à faire
un chrono en fin de séance et deux filles non nageuses qui ont l’autorisation
de rester dans le petit bain de la piscine. L’enseignant est amené à gérer une
dispute entre deux élèves des deux groupes (une fille non nageuse et un garçon
nageur).
Le deuxième cas vidéo porte sur une séance de
gymnastique en 5ième mixte. Les élèves, répartis en deux groupes
(garçons et filles) derrière deux gros blocs de tapis, avaient reçu pour
consigne de réaliser, à tour de rôle, des roulades vers l’avant puis de
rejoindre l’extrémité de la file d’attente de leur groupe. Après plusieurs
bousculades dans la file des garçons, une dispute éclate et les élèves
s’échangent des coups jusqu’à l’intervention de l’enseignant qui les exclut
temporairement de la leçon afin qu’ils se calment.
Nous avons filmé la séance d’analyse de pratiques et
nous avons ensuite confronté le stagiaire aux images vidéo en lui demandant
d’expliciter son activité réflexive afin de reconstruire le processus de
validation et de construction de nouvelles connaissances dans cette situation
de confrontation à l’activité d’autrui[4].
Engagement dans la situation en mobilisant des
expériences personnelles différentes
Dans les deux cas d’analyse, le stagiaire PLC2 est
très rapidement happé dès le début de la séquence vidéo. Il connecte
immédiatement le cas de la séance de natation réalisé par un enseignant expert
avec son vécu de jeune enseignant ainsi que le souligne ces verbatim : « natation…
enseignant expert. Boum ! Tout de suite, il y a mon attention, je me dis
« tiens, ça va m’intéresser », en gros j’ai le sentiment d’avoir du
vécu là-dessus, qu’on va pouvoir échanger, que j’ai quelque chose à mettre en
parallèle ». Il se réfère directement à une situation vécue comparable
où il avait à gérer un conflit tout en étant engagé dans la réalisation d’un
parcours chronométré pour un groupe d’élèves « l’expérience vécue,
c’est que tu n’es plus centré sur le reste… tu perds pied et cette situation je
l’ai vécu et j’ai perdu pied, j’ai oublié de déclencher le chrono, oublié que
mon attention était ailleurs ». Il s’identifie immédiatement à
l’enseignant : « c’est bizarre quand on voit la vidéo on se met
complètement à la place du prof, tu changes le visage, c’est moi. Je me
rappelle presque le mal-être que j’avais à ce moment là, parce qu’après il faut
expliquer au gamin qui a fait son 50 mètres que tu n’as pas déclenché le
chrono… ». Dans l’autre cas vidéo, il se focalise d’emblée sur un
détail qui aura son importance par la suite « les élèves qui attendent
sur le côté, hop ! Ils passent devant l’autre gamin et après tout
dégénère ». Il se remémore immédiatement des savoirs construits dans
le cadre d’un devoir sur la violence qu’il avait fait corriger par un formateur
CAPEPS « dès que ça « clache » et qu’il met des élèves de
côté, je me remémore l’ensemble des connaissances que j’avais pu mobiliser dans
cette copie… c’était pas forcément sanctionner un élève tout de suite, le
présenter à la classe, expliquer que ce comportement on ne l’acceptera plus,
juger un comportement mais pas un élève… ». L’ancrage dans les deux
situations se fait donc très rapidement
à partir de points de focalisation différents : dans le premier
cas, le rappel d’une expérience vécue dans une situation d’enseignement proche
(même discipline et même niveau de classe) et dans le deuxième, le souvenir de
connaissances construites dans le cadre d’un devoir (relatif à la violence).
Validation et construction de savoirs à partir de la
mise en relation d’apprentissages formels et informels
Dans le cas du conflit en gymnastique, le stagiaire
utilise l’analyse de cette situation pour valider à la fois des savoirs
génériques sur la gestion de conflit développé dans le cadre d’un devoir mais
qu’il met également en relation avec une expérience personnelle d’enseignement.
Face à un élève qui ne prenait pas son rôle au sérieux dans une activité
collective, il regroupe la classe et explique : « voilà, il
nous empêche de fonctionner, ça met un bazar pas possible, donc c’est très
clair, ce comportement là, je n’en veux pas, soit vous faîtes les exercices
sérieusement soit il y aura sanction. Je dis à cet élève : « je
ne te sanctionne pas tout de suite… ». L’analyse du cas de gymnastique
à travers à la fois le sentiment d’injustice manifeste repéré chez un élève et
la difficulté pour l’enseignant de contrôler le reste de la classe pendant
cette mise à l’écart de deux élèves l’amène à valider un mode d’intervention
différant la sanction et adressé à l’ensemble de la classe. Ces savoirs
relatifs à la gestion de conflit s’avèrent renforcés à la fois par cette
expérience et par des savoirs plus génériques développés dans ses copies de
CAPEPS sur lesquels il insiste dans l’atelier pédagogique « sanctionner
d’abord les actes, comme ça la personne ne se sent pas directement
visée… ».
Dans le cas de la natation, le stagiaire PLC2 repère
l’activité de contrôle de l’enseignant qui tout en restant à distance par
rapport à une dispute naissante, jette un coup d’œil marqué adressé aux deux
élèves en cause « tiens là il y a une astuce… tiens les coups d’œil,
c’est bien ». Il compare aussi la manière d’intervenir de l’enseignant
au moment de la sanction avec ce qu’il aurait fait « il reste un peu
sur le même ton, il est ferme, il balance une sanction dure, mais lui ne change
pas vraiment de ton ». Il approfondit cette comparaison en mettant en
parallèle le vocabulaire utilisé pour communiquer avec l’élève dans ce type de
situation « « tu ranges ta planche, tu sors tu ranges ta planche,
tu sors… » il est super simple tout le temps et moi je me rend compte
d’une erreur que je fais, moi je brode, je rentre dans des explications qui
sont longues avec des phrases bien faites et je me pomme, je perds du contrôle
sur la classe ». Il construit des savoirs relatifs à l’interprétation
de l’activité des élèves « il y a des mots qu’ils comprennent et
d’autres qu’ils ne comprennent pas » et à ses modes d’intervention personnelle « quand je leur
parle, je me dis que je suis trop loin d’eux et qu’ils ne comprennent pas mon
vocabulaire ».
Nous nous sommes intéressé également à l'activité
d'autoformation d'un enseignant d'Education Physique et Sportive dans un
contexte de formation continue qui utilise l’hypermédia « Réfléchir les
pratiques » pour questionner une
leçon menée dans la journée afin d'établir des modifications applicables lors
de sa prochaine leçon. L’incident repéré se déroule lors d’une leçon de
gymnastique comportant plusieurs ateliers et concerne un regroupement interdit
de garçons autour de l'atelier saut de cheval. Ces élèves perturbent la leçon
en réalisant des sauts prohibés obligeant l’enseignant à interrompre
momentanément la leçon pour tous les garçons.
Pour mettre à jour le processus de construction de
significations sur l’incident professionnel, nous avons mené un entretien
d’explicitation pour accéder à l’évocation de l’incident et un entretien
d’autoconfrontation sur la base des traces d’activité dans l’espace numérique
(enregistrement audio et vidéo, productions informatiques)[5]
pour rendre compte du potentiel formatif de la situation.
Enrichissement des significations attribuées à
l’incident professionnel grâce à la déposition de traces perceptives dans
l’espace numérique
L’enseignant a interprété cet incident de
détournement d’un atelier par rapport à sa fonction initiale à trois moments
différents de sa journée : lors de la leçon d’EPS elle-même, sur le chemin
du retour vers l’établissement, et le soir en formalisant cet incident dans
l’espace numérique. Lors de la leçon l'enseignant pense d'abord à un problème
de mémorisation des consignes chez les élèves, interprétation qu’il invalide
par la suite lorsqu'il s'aperçoit que les élèves, sans leur avoir redonné les
consignes, réussissent sur le premier atelier. Sur le chemin du retour vers son
établissement, son interprétation évolue vers un problème de contrôle de
plusieurs groupes d’élèves ce qui l’amène à imaginer une restructuration de sa
prochaine leçon sous la forme d'un seul groupe. Le soir même, face à
l’hypermédia, il retravaille cet incident en commençant tout d’abord par le
décrire. Cette première phase l’amène à transformer
les traces mnémoniques de sa leçon en traces perceptives, en phrases
mémorisées dans l'environnement numérique ce qui va permettre une première étape de transformation de la
signification de l'incident. L'enseignant, en s'appuyant sur les traces
perceptives mémorisées dans l'environnement numérique et de nouveaux sur
quelques traces mnémoniques de l'incident du matin, mobilise des connaissances
personnelles : « Là je me suis
dis, je me dis peut être que, peut être que le fait qu'ils aient eu peur (...)
un gamin qui a peur, il monte sur les barres, il descend, il voit qu'il arrive
pas à le faire, il veut pas perdre la face devant tout le monde, il va sur un
autre atelier ». Ici, le refus des élèves perturbateurs sur le
deuxième atelier, correspondant à une trace mnémonique non extériorisée lors de
la description de l'incident et provenant directement du souvenir de la leçon,
reçoit la signification de perturbation pouvant engendrer la perte de contrôle
d'une partie des élèves. Par un processus d'inférences, il retravaille la
signification de l'incident et conclut sur trois causes probables: 1-
L'organisation en atelier engendre une perte de contrôle 2- Ses déplacements ne
sont pas adaptés 3- L'atelier de barres parallèles fait peur aux élèves qui
l'évitent pour ne pas perdre la face devant les autres.
BARBIER, J.M. (ED.) (1998), « Savoirs théoriques et savoirs d’action », Paris, PUF.
DURAND, M. & SAURY, J. & VEYRUNES, P. (sous
presse), « Favoriser des relations fécondes entre recherche et formation
des enseignants : éléments pour un programme d'ergonomie/formation ». Cadernos
de Pesquisa (Brésil).
LEBLANC, S. & GOMBERT, P. & DURAND, M.
(2004), « Réfléchir les pratiques : sport, éducation,
formation » CDROM, Montpellier, Saint-Pierre Quiberon, IUFM / ENV
Editeurs.
PERRENOUD, P. (1996), « Le travail sur l’habitus
dans la formation des enseignants. Analyse de pratiques et prise de
conscience », in L. Paquay, M. Altet, E. Charlier, P. Perrenoud
(dir.) Former des enseignants professionnels, (pp.182-207). Bruxelles,
De Boeck Université.
THEUREAU,
J. (1992), Le cours d'action: Analyse sémiologique. Essai d'une
anthropologie cognitive située, Berne, Peter Lang.
VERMERSCH, P. (1994), « L’entretien d’explicitation », Paris, ESF.
[1] PLC2 signifie Professeur Lycée Collège 2ième année, ce qui correspond à l’année de professionnalisation caractérisée par une forte présence en face d’élèves en établissement alternant avec des retours en centre de formation.
[2] Nous faisons le choix de nous focaliser sur l’activité de l’enseignant mais cette démarche a été développé dans d’autres domaines de formation professionnelle (sportif, médical…).
[3] Institut Universitaire de Formation des Maîtres mettant en place les dispositifs de formation professionnelle des Professeurs des Ecoles (PE1 et PE2) et des Professeurs des Lycées et Collèges (PLC1 et PLC2).
[4] Cette analyse s’appuie sur les données et le travail réalisé par Guillaume Serres, doctorant à l’IUFM d’Auvergne qui étudie le processus de développement des compétences de PLC2 en analysant leur activité dans les différentes situations de formation proposées dans le dispositif de l’IUFM.
[5] Cette analyse s’appuie sur les données et le travail réalisé par Fabrice Roublot, doctorant à l’IUFM de Montpellier qui étudie les effets des artefacts numériques sur l’activité des formateurs et des personnes formées dans différentes situations de formation.