Entre
pratiques formelles et informelles
J’aborderai ce thème du symposium en m’interrogeant
sur deux aspects qui semblent aller dans le sens d’une problématique actuelle
de la formation tout au long de la vie
·
L’autoformation comme
point d’articulation et d’intégration des apprentissages formels et informels
·
Les pratiques
d’accompagnements formelles et informelles de l’autoformation qui s’inscrivent
dans des dimensions singulières et collectives.
Reprenant le lexique proposé par Hélène Bézille[1]-
bien qu’il nous soit permis dans ce symposium de revenir sur cette typologie-
les apprentissages formels sont ceux issus des dispositifs de formation institués
que se soient ceux de la formation initiale (l’Ecole) que ceux de la formation
continue et très généralement validés par un diplôme. A l’opposé, seraient les
apprentissages informels qui ne sont pas organisés de manière officielle
(Définition 2° du dictionnaire Petit Robert). Ils sont issus d’un terrain
vague, celui de la vie quotidienne, du travail, de la famille ou des loisirs.
C’est celui du vécu, cette matière première à défricher constitutive de
l’Expérience.
J’ai étudié lors d’une première recherche[2]
la manière dont ce retour sur l’expérience professionnelle pouvait s’articuler
dans un dispositif institué de formation par alternance. La réflexion sur
l’expérience professionnelle[3]
peut amener l’apprenti à se former pour lui-même et par lui-même en articulant
ces différentes sources de formation. Par un mécanisme de prise de conscience,
cette expérience transformée pilote la production de savoirs. La première
démarche de réflexion s’effectue en situation de travail, dans l’entreprise et
dans l’action. Cette formation expérientielle définie « par contact direct mais réfléchi »[4]
amène l’apprenant à constituer un bagage expérientiel. La réflexion à
posteriori, par un travail d’exploration et de prise de conscience, permet
d’identifier ses savoirs d’action[5].
Dans la continuité de cette réflexion après coup, ces savoirs peuvent
évoluer en les explicitant et les problématisant. Cette démarche permet
d’acquérir des savoirs théoriques,
abstraits. Ceux-ci pourront constituer une conceptualisation qui peut entraîner
des expérimentations en entreprise, de nouvelles expériences génératrices de savoirs d’expérience et donc de compétences, définies comme un
ensemble de savoirs en action
Conceptualisation
Explicitation
Problématisation
Une production de savoirs dans une démarche
d’autoformation
dans la formation par alternance
Cette réflexion sur l’expérience professionnelle
permet de placer l’autoformation comme point d’articulation des différentes
sources de formation[6].
Considérant l’approche ternaire de la formation (G. Pineau) les différentes
sources de formation peuvent être :
·
le pôle
« hétéro », la formation reçue des autres, celle dispensée en centre
de formation ou source de formation formelle
·
le pôle
« éco », l’expérience directe des choses et des éléments, la
formation pratique et sociale en entreprise ou source de formation informelle
·
le pôle «
auto », action comme un double processus réflexif, une prise de conscience
de soi comme étant formé par les autres (hétéro) et par les choses (éco) et une
appropriation du pouvoir de formation par lui-même et de son application à
lui-même (P. Galvani).
Ainsi, cette approche peut se concevoir comme une
articulation possible :
·
entre les pôles éco et
auto par exploration des apprentissages
informels issus de l’expérience
·
entre les pôles auto et
hétéro par explicitation et problématisation des apprentissages formels
·
le processus
d’autoformation éco-auto-hétéro comme un pont facilitant l’intégration des
apprentissages formels et informels
Ce type de formation par alternance représente de
manière condensée le rythme de formation d’un adulte tout au long de sa
vie : périodes de formation expérientielles, périodes de formation plus
formelles. Ainsi, le contexte de tout adulte en formation se tisse à
travers plusieurs sources possibles : l'entreprise en tant que champ technique
mais aussi social, l'organisme de formation, en tant qu'apport de savoirs
théoriques, mais aussi expériences de vie collectives et associatives, sans
oublier l’environnement personnel et social (famille, copains, associations).
Comment reconnaître et valoriser cette autoformation
transversale, issue d’une combinaison des apprentissages formels et
informels ?
Fidèle
à ce concept d’autoformation, mon approche de l’accompagnement reste centrer
sur la personne et s’intéresse à l’accompagnement du point de vue des
accompagnés. Ainsi, Les résultats obtenus lors de ma recherche antérieure ont
montré que les apprenants reconnaissaient des pratiques informelles, non
prévues d’accompagnement de leur autoformation. Au-delà de la dimension
singulière, d’accompagnés à accompagnateurs, cet accompagnement s’inscrit,
s’ancre dans des dimensions collectives ou le groupe, les pairs mais aussi
l’environnement en tant qu’espace de vie, deviennent des accompagnateurs
d’autoformation. Ce sont des accompagnateurs de sens, de motivation et
d’identité sociale pour les apprenants. Ils facilitent la prise de conscience,
encouragent par les relations d’aide ou d’entraide qu’ils développent, aident à
la construction d’une identité d’adulte en formation.
Pour installer cet accompagnement de l’autoformation,
ou pour permettre qu’il se produise dans des dispositifs de formation
institués, deux pistes de réflexion sont à préconiser : l’enrichissement
de l’accompagnement formel ou déjà organisé et la reconnaissance de
l’accompagnement informel, celui qui se produit sans qu’il soit déjà organisé
par l’institution.
·
Des fonctions à
enrichir
Tuteur professionnel praticien réflexif
Pour se faire, le tuteur professionnel serait un
guide praticien réflexif[7].
Celui-ci doit encourager la réflexion de l’apprenant dans et sur l’action, à
travers des échanges où il est en confiance pour dire les choses et les
formaliser. Cet accompagnement à la réflexion dans et sur l’action doit être préciser notamment en encourageant
la réflexion a posteriori par l’identification des situations problèmes pouvant
être exploitées en centre de formation. Des méthodes pour conscientiser l’agir
professionnel sont à préconiser comme la pratique du journal de bord et la
rédaction des rapports d’activités.
Enseignant facilitateur médiateur d’apprentissages
L’enseignant devient un facilitateur, médiateur
d’apprentissages. S’agissant d’autoformation, il convient de passer d’une
logique de production de savoirs. La méthodologie utilisée s’oriente vers une
démarche de recherche-action. Les situations/problèmes identifiées par les
apprenants sont exploitées par un travail de recherche, d’analyse, de critique
pour construire une problématisation . Celle-ci permet la construction
d’hypothèses théoriques pouvant être exploitées en situation professionnelle en
entreprise.
Dans
cette même logique, cette recherche doit faire l’objet d’une production écrite
individuellement ou collectivement. Dans certains cas, les exposés oraux sont
souhaitables pour permettre l’échange avec les autres apprenants et encourager
leur travail de communication orale.
·
Une relation à parfaire
Installer
la confiance (Rogers) mais aussi
travailler la relation dans la communication interactionnelle (Paolo Alto). Au
lieu de dire, inciter par l’action, en créant les conditions pour, prôner le
non agir et laisser advenir l’effet (Jullien).
·
Des méthodes à
exploiter :
La
description de l’action par la technique de l’entretien d’explicitation de P. Vermersch[8]
permet de mettre en lumière (et en mots) et d’une autre manière (par évocation
en faisant appel à la mémoire autobiographique) le méli-mélo du vécu et plus
particulièrement de « l’implicite » et par la même de
« l’ informel » au sens de non organisé, classé.
J. Mesirow[9]
propose également une conception de l’expérience revisitée et transformée. Pour
interpréter une expérience et lui donner du sens, en se libérant des
perspectives de sens implicites et subies, une démarche réflexive critique est
nécessaire. Au-delà de la conscientisation, et s’appuyant sur la théorie de
l’agir communicationnel d’Habermas, cette évaluation critique s’effectue sur le
contenu, le processus de l’expérience (le quoi et le comment), mais également
sur ses prémisses (la prise de conscience du pourquoi). C’est selon lui en
développant la réflexion critique sur ce dernier point (participation à la
construction de la problématisation) que l’on peut travailler à l’apprentissage
émancipateur qui libère les capacités créatives et développe le pouvoir d’agir.
Plus
ou moins visible, flou, il peut s’exercer en filigrane, donner la possibilité
ou l’envie d’agir, de faire.
·
Laisser des espaces de
liberté
L’autoformation a besoin d’espace de liberté pour
s’exercer. Pour exprimer l’autonomie, pour faire des choix, prendre le pouvoir,
se confronter mais aussi s’approprier, négocier, créer. Permettre la
construction du sens, de la motivation et de l’autodirection des apprentissages
(P. Carré)
·
Aménager des
environnements (dispositifs de formation, espaces de travail) ouverts, mouvants
permettant des ré appropriations et des re constructions
En
référence au symposium 2004, particulièrement le thème développé par S. Leblanc[10]
où il développe une voie interactionniste de co-construction du pouvoir d’agir
et D. Paquelin une appropriation du dispositif entre le prescrit et le vécu[11].
·
Provoquer des
rencontres entre pairs (co-formation)
Instaurer
la co-formation, c’est à dire la formation par les pairs qui vise à apprendre
ensemble.
Outre
des moments de régulations et d’évaluations, cette pratique est possible en
favorisant les échanges sur des thèmes sociaux professionnels, en développant les
projets collectifs et en instituant des groupes de co-développement personnel[12]comme
des démarches de consultations qui portent sur des problématiques vécues.
La réflexion sur l’expérience par la dynamique de
transformation qu’elle génère, permet d’explorer et d’expliciter le champ de
l’Informel. Ce processus d’autoformation établi articule formations formelles
et formations informelles et inscrit cette dynamique dans une perspective de
formation tout au long de la vie.
Cependant
si l’on garde en mémoire la 1ère définition de l’informel du dictionnaire du
Petit Robert, « qui refuse de représenter des formes reconnaissables et
classables », plusieurs questions émergent, à l’aube de ce symposium et
plus largement du colloque mondial :
·
A vouloir s’obstiner à
mettre de l’ordre, à classer l’Informel, bien sur quels intérêts, mais aussi
quelles pertes ?
·
N’est-ce pas notre
regard surplombant et finalement simpliste de « formés » que l’on
projetterait sur l’Informel ?
·
Existe t-il d’autres
richesses de formes personnelles et collectives de l’Informel ?
Les approches d’autres cultures pourraient
certainement nous y aider.
[1] H. Bézille, L’autodidacte, entre pratiques et représentations sociales, Lexique p 189
[2] mémoire de DESS SIFA, Pour une ingénierie de l’accompagnement de l’autoformation dans la formation par alternance, Université de Tours, déc. 2000
[3] Le retour réflexif sur le vécu s’inscrit dans une démarche de prise de conscience et d’explicitation, précisée par nos auteurs de référence, A.Geay (1998) et P.Vermesch (1994).
[4] B. Courtois et G. Pineau, 1991, La formation expérientielle des adultes, Paris, La Documentation Française
[5] Ces savoirs se construisent à partir et dans l’action, par contact direct avec l’environnement. Ce sont des savoirs pratiques, tacites qui ne sont pas ou peu formalisés, pas forcément conscients (JM Barbier, 1998 ; A.Geay , 1998, D.Kolb in B. Courtois et G. Pineau, 1991 et P. Vermesch, 1994).
[6] En intégrant la définition de l’autoformation de P. Galvani comme étant « l’action de mise en forme et de mise en sens personnel qui articule différentes sources de formation : l’existence, l’expérience et la pratique et les connaissances offertes dans l’environnement social », Université ouverte, formation virtuelle et apprentissage, 2002, p. 97
[7] D. Schön, Le praticien réflexif : à la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel, Montréal, Editions Logiques, 1994.
[8] P. Vermersch, l’entretien d’explicitation, ESF, 1994
[9] J. Mezirow, Penser son expérience, développer l’autoformation, Chronique sociale, 2001
[10] S. Leblanc, Construction de pouvoirs d’agir en situation d’autoformation informatisée, texte du symposium A-GRAF 2004
[11] D. Paquelin, Dynamique d’actualisation des dispositifs de formation ouverte et à distance, texte symposium A-GRAF 2004
[12] PAYETTE, Adrien et CHAMPAGNE, Claude, Le groupe de co-développement
professionnel : une méthode d’autoformation, in L’autoformation
reliée au travail, Montréal, Editions Nouvelles, 2000