Biennale de l’Education et
de la Formation
Paris – Unesco 27-50 avril
1992
29
BARRET,
Gisèle
La pédagogie de la situation ou
la formation du savoir‑être
L'une des façons de retrouver la richesse de la situation pédagogique, donc l'infinité des possibilités d'apprentissage, serait d'analyser simplement et clairement les grandes variables par lesquelles on peut la définir concrètement, à savoir : l'espace-temps, le pédagogue, le groupe, le vécu, le monde extérieur. Chacune de ces variables est elle-même un ensemble complexe dont il est intéressant d'identifier les principales composantes, afin d'examiner comment elles interviennent dans la situation, comment elles peuvent être considérées et exploitées, comment elles peuvent varier, être accentuées ou minimisées selon les circonstances, les besoins, les goûts ou les désirs du moment.
Chacune de ces cinq variables
de la situation pédagogique fournit une somme considérable de notions
importantes et intéressantes, car elles font partie intégrante de la vie des
"apprenants". Je me propose d'analyser chacune d'elles et de donner
des exemples d'exploitation possible à différents niveaux et en diverses circonstances.
Il aurait été utile de parler des aspects linguistiques, philosophiques,
psychologiques et psycho‑pédagogiques des concepts de base. Sans y
renoncer pour l'avenir, je ne m'attacherai ici qu'à des considérations purement
pédagogiques, ou ayant des répercussions importantes sur la pédagogique.
Il est évident, également, que ces cinq variables fonctionnent simultanément et que la situation se définit dans la multiplicité et la variabilité des rapports, des dosages, des combinaisons qui s'y forment et s'y jouent. L'analyse à laquelle nous sommes contraints pour réfléchir sur leur existence, leur importance et leurs possibilités d'exploitation ne doit pas nous faire oublier la globalité ‑ synthèse difficile, certes, mais représentant seule la réalité. Cependant, là encore, il serait trop théorique et même idéologique, de s'astreindre à la synthèse totalisante. Nous verrons que, le plus souvent la vision d'une situation donnée pour un groupe déterminé varie avec chaque individu selon les accentuations personnelles. C'est cette définition subjective de la situation que nous aurons tendance à privilégier, après avoir essayé de faire le tour des éléments objectivement et essentiellement constitutifs d'une situation pédagogique.
Cf. Barret, Gisèle, Essai sur la pédagogie de la situation en
expression dramatique et en éducation, Deuxième édition, Recherche en
expression, Montréal, 1991
PÉDAGOGIE
DE LA SITUATION
La
formation au savoir-être
Depuis que se développe un peu partout la pédagogie par objectifs, qui renforce le côté opérationnel des programmes des disciplines éducatives, accuse le jalonnage, le contrôle et l'évaluation de l'apprentissage, encadre de plus en plus étroitement le développement intellectuel dans un laboratoire artificiel et abstrait qui oublie (ou refuse?) tout ce qui est vivant, l'ondoyant et divers", j'éprouve l'impérieux besoin de faire l'apologie d'une pédagogie qui serait à contre-courant de la pédagogie à la mode: je veux parler de la pédagogie par objectifs. Cette pédagogie défendrait la vie à l'école, apprendrait de cette vie même, bien plus et bien mieux que des disciplines programmées, suivrait le flux naturel de ces voyages quotidiens où les passagers seraient considérés comme des êtres humains dans leur globalité et non comme des têtes à remplir et à étalonner. Cette pédagogie serait une pédagogie de la situation, c'est-à-dire une pédagogie du vécu, exploitant chaque moment de l'ici et maintenant dans sa diversité aléatoire, hasardeuse, imprévisible, prenant le risque de répondre aux urgences du moment, même si elles sont exprimées par les étudiants, surtout si elles sont exprimées par les étudiants enfin concernés, impliqués, donc motivés à se manifester, sans peur de la divergence, de la différence, spontanément, simplement, non dans un rapport de force permanent, mais dans une coexistence dynamique, où la confrontation permet autant le questionnement que l'approfondissement.
Cette pédagogie de la
situation n'empêcherait du reste pas l'intervention d'une pédagogie
disciplinaire et programmée. Elle permettrait, au contraire, au logos de se
développer dans l'éros, réconciliant ainsi lé discours et l'action, l'intellect
et l'affect, retrouvant le désir comme moteur premier et source d'énergie,
ranimant ce lieu privilégié que devrait être l'école, vivifiant par-là même les
élèves et les professeurs.
Pour reprendre une métaphore
bien connue, mais toujours belle et significative, la pédagogie de la situation
est une invitation au voyage, au grand voyage imprévisible, vaste dérive
comprenant de petits itinéraires bien jalonnés, avec des escales à heures
fixes, mais laissant à la mouvance son rythme, son espace et son énergie,
permettant la jouissance de toutes les surprises comme de tous les éléments
identifiables de l'expérience vivante.
Il s'agit d'admettre que la
situation pédagogique est un vaste champ d'expériences qu'on a malheureusement
réduit, délimité, déshumanisé. Or, avant même d'y introduire un contenu
institutionnel, il y a fort à apprendre de l'espace-temps du groupe, des
participants eux-mêmes, de ce participant particulier qu'est le professeur, du
vécu prévu et imprévu et de tous les éléments du monde extérieur qui ne
manquent pas de se manifester si on leur ouvre la porte.
Chacune de ces cinq
variables de la situation pédagogique fournit une somme considérable de notions
Importantes et intéressantes, car elles font partie intégrante de la vie des
"apprenants". Je me propose d'analyser chacune d'elles et de donner
des exemples d'exploitation possible à différents niveaux et en diverses
circonstances. Il aurait été utile de parler des aspects linguistiques, philosophiques, psychologiques et
psychopédagogiques des concepts de base. Sans y renoncer pour l'avenir, je ne
m'attacherai Ici qu'à des considérations purement pédagogiques, ou ayant des
répercussions importantes sur la pédagogique.
Pratiquant cette pédagogie
dans différents cadres institutionnels, je ne mésestime pas les difficultés que
pose son application; mais parce que je crois, avec Maurice Debesse, que
l'éducation progresse aussi bien par prospective que par utopie, J'ai eu envie
de proposer les miennes. Je ne crois pas seulement que ce que je fais est
important, je crois aussi que c'est transférable, c'est-à-dire qu'on peut le
formuler, l'analyser, le conceptualiser, le mettre en question... Si la
pédagogie de la situation, plus que toute pédagogie peut-être, résiste à la
recette, elle doit cependant trouver les moyens d'inspirer, de stimuler, 'de
provoquer les pédagogues ! Je suis convaincue que les enseignants sont désireux
de changer leur pédagogie, de transformer l'école. Mais hélas! souvent ils ne
savent pas comment faire. Ils se croient fous avec leurs idées bizarres; ils se
sentent seuls, trop seuls pour revendiquer leurs désirs vagues et leurs timides
initiatives.
J'ai toujours été frappée
par le profond décalage qui existe entre le discours sur l'éducation et la
pratique éducative, c'est-à-dire entre les affirmations, idées ou commentaires
des théoriciens, psychopédagogues ou spécialistes des sciences de l'éducation
et les actes éducatifs de la vie quotidienne des enseignants, professeurs,
pédagogues de tout acabit.
D'un côté, je me réjouis de
lire, dans l'article "Education" du Vocabulaire de l'éducation dirigé
par Gaston Mialaret, que "dans la pédagogie contemporaine, l'éducation a
une signification très large et vise la totalité de la personne", mais
j'ai la tentation de faire une boutade en affirmant qu'elle "vise"
peut-être, mais qu'elle semble le plus souvent rater son but. De l'autre, par
analogie, j'ai envie de présenter la situation pédagogique de la même façon,
comme le concept le plus largement ouvert pour désigner le contexte commun aux
enseignants et aux enseignés: espace-temps à vivre, à partager, à habiter
ensemble, pour une "action réciproque de deux sujets l'un vers l'autre qui
aboutirait à la transformation des deux personnalités mises en présence"
(encore une remarquable définition de l'éducation par Gaston Mialaret).
D'ailleurs, théoriquement,
il n'y a aucune difficulté à présenter ainsi la situation pédagogique ‑
la définition du mot "situation" dans le ‑Robert nous permet de
considérer ce mot dans son acception philosophique, sociologique et
psychologique (le sens pédagogique serait ‑à ajouter un jour), comme 1
"'ensemble des relations concrètes qui, à un moment donné, unissent un
sujet ou un groupe au milieu et aux circonstances dans lesquels il doit vivre
et agir." Je ne résiste pas à commenter, tant chaque mot résonne et
rayonne avec pertinence.
De la même façon que
"l'éducation engage des personnes considérées aussi bien dans leur devenir
moral, affectif, physique que dans leur devenir intellectuel et dans
l'évolution de leur savoir" (une belle définition de Mialaret, démentie par
la pratique qui privilégie la tête au détriment du reste), la situation doit
tout prendre en compte, même si elle est pédagogique, surtout si elle est
pédagogique. Elle n'est pas un concept abstrait, mais une réalité complexe,
analysable dans un temps et un lieu déterminés où réagissent et interagissent
des sujets vivants, selon les circonstances où ils se trouvent.
Souvent, ces "relations
concrètes" demeurent secrètes ou, du moins, invisibles, et il est
important d'en établir l'évidence, de montrer comment ces rapports variables et
infinis n'en sont pas moins clairement identifiables. De la même façon, on peut
connaître les caractéristiques principales d'une situation d'éducation,
"indispensables à l'interprétation et à la compréhension des faits éducatifs",
toujours d'après Gaston Mialaret. Du milieu et des circonstances de l'existence
pédagogique, seul l'enseignement, au sens strict d'instruction, est
ordinairement pris en compte, coupant ainsi le sujet des liaisons vitales qu'il
entretient avec son environnement. Comment alors "vivre et agir"?
Comment apprendre, au sens large, de tout ce qui nous habite et nous entoure?
L'une des façons de
retrouver la richesse de la situation pédagogique, donc l'infinité des
possibilités d'apprentissage, serait d'analyser simplement et clairement les
grandes variables par lesquelles on peut la définir concrètement à savoir:
l'espace-temps, le pédagogue, le groupe, le vécu, le monde extérieur. Chacune
de ces variables est elle-même un ensemble complexe dont il est intéressant
d'identifier les principales composantes, afin d'examiner comment elles
interviennent dans la situation, comment elles peuvent être considérées et
exploitées, comment elles peuvent varier, être accentuées ou minimisées selon
les circonstances, les besoins, les goûts ou les désirs du moment.
En énumérant les cinq
variables 'qui, pour moi, définissent la situation pédagogique, je n'ai pas
l'intention d'établir une hiérarchie., Je peux dire, néanmoins, que cet ordre
de présentation correspond à ma façon d'examiner la chose. En effet, si on
considère la situation pédagogique comme une rencontre, on peut dire qu'elle se
définit dans un espace-temps déterminé; elle est souvent due à l'initiative du
pédagogue ou de l'institution. mais elle n'existe réellement que si le groupe
vient au rendez-vous, souvent à partir des intentions ou buts de la rencontre,
qui ne sont que prétextes d'activités ou d'occupation de l'espace-temps
désigné. Pour nous la rencontre est à la fois contenant et contenu, cause et
conséquence, programme et objectifs. On pourrait croire que ces trois
paramètres sont seuls nécessaires et suffisants. Malgré leur importance, la
situation pédagogique n'est complète que si l'on tient compte des interférences
explicites ou implicites du monde extérieur, que le groupe et l'animateur
véhiculent plus ou moins consciemment, ainsi que des imprévus, bannis de la
situation éducative classique comme intrus et comme obstacles à
l'apprentissage, mais bienvenus dans une conception vivante et ouverte de la rencontre
non programmée et, souvent, moteur auxiliaire précieux et puissant de la
dynamique.
Il est évident, également,
que ces cinq variables fonctionnent simultanément, et que la situation se
définit dans la multiplicité et la" variabilité des rapports, des dosages,
des combinaisons qui s'y forment et s'y jouent. L'analyse à laquelle nous
sommes contraints pour réfléchir sur leur existence, leur importance et leurs
possibilités d'exploitation ne doit pas nous faire oublier la globalité ‑
synthèse difficile, certes, mais représentant seule la réalité. Cependant, là
encore, il serait trop théorique et même idéologique, de s'astreindre à la
synthèse totalisante. Nous verrons que, le plus souvent, la vision d'une
situation donnée pour un groupe déterminé varie avec chaque individu selon les
accentuations personnelles. C'est cette définition subjective de la situation
que nous aurons tendance à privilégier, après avoir essayé de faire le tour des
éléments objectivement et essentiellement constitutifs d'une situation
pédagogique.
Enumération des structures |
Quelques éléments de
déchiffrage |
La double structure de l'expression dramatique (U
de Montréal) ·
structure
de contenu : médium, identification, thème, situation ·
structure
d'atelier : mine en train, relaxation, expression-communication, rétroaction ·
structure
de groupe : unitaire, binaire, ternaire, (quaternaire), micro-groupe,
collectif Supports : matériel, image,
son, texte, prétexte Structure
d'art dramatique (MEQ) ·
objet
‑ personnage ‑ table ‑représentation ·
percevoir
‑ faire – réagir-(structure d'atelier semblable à celle de l'expression
dramatique) Pédagogie
de la situation ·
espace-temps,
professeur (personne, fonction), groupe (individu, société), contenu
(programmé, imprévu), monde extérieur (privé, public) |
La cadran se compose d'un éventail supérieur divisé en deux quarts et d'un éventail
inférieur qui Peut ne rabattre sur le supérieur pour montrer la superposition
possible des structures. Les deux
aiguilles du cadran sont Indépendantes l'une de l’autre et peuvent en faire
le tour, ce qui montre qu'elles
sont utilisables en toutes circonstances (structurations internes
ponctuelles). La double structure,
combinant la structure d'atelier et celle de contenu, peut fonctionner
indépendamment ou servir de repère théorique pour envisager toutes sortes de
combinaisons. L'éventail de la pédagogie
de la situation se compose de cinq sections qui peuvent à volonté pivoter sur
leur contre et parcourir tout le cadran, entrant ainsi en relation avec les
autres structures en fonction des accentuations choisies. |