EDITORIAL – Pratiques de Formation (Paris 8) n°43 mars 2002

 

Jacques Ardoino

Université Paris VIII

 

De l’intention critique

 

Dès sa création, en 1981, cette revue s’est donné explicitement pour ambition éditoriale de vouloir porter un regard critique sur les expériences et les pratiques de formation dont elle pourrait connaître et traiter. A leur manière, son titre même, et la plupart de ses numéros successifs, en témoignent au long de ses vingt et une années d’existence. Elle rejoignait ainsi un certain nombre de courants critiques, assez rares, il est vrai, dans le champ des sciences humaines et sociales et dans le domaine de l’éducation : psychiatrie et pédagogie institutionnelles (François Tosquelles, Jean et Fernand Oury, Aïda Vasquez et Catherine Pochet, Francis Imbert et Jacques Pain, Georges Lapassade, Rémi Hess, Antoine Savoye) ; analyse institutionnelle (René Lourau) ; approche multiréférentielle (Jacques Ardoino, Guy Berger, René Barbier) ; critique et anthropologie du sport (Jean-Marie Brohm), ethno-méthodologie (Harald Garfinkel, Alain Coulon), plus ou moins explicitement situés dans le sillage de penseurs tels que Henri Lefebvre, Jacques Lacan ou Cornelius Castoriadis... Cette nouvelle livraison, prenant pour thème l’éducation en tant que démarche critique, et, du même coup, en tant que formation, incitation, appui, pour l’élaboration et le développement d’un esprit critique chez le plus grand nombre possible des ressortissants et partenaires de l’entreprise éducative, coordonnée par Hélène Bezille et Jean-Louis Legrand, y trouve donc très naturellement sa place aujourd’hui. Certes, l’usage même des notions entraîne facilement leur usure ; ainsi nos temps modernes flanqués de “ langues de bois ” et de “ politiquement corrects ”. Tout (ou presque) se voulant désormais critique, la pensée “ a-critique ” prolifère d’autant plus à son aise. On peut donc, très légitimement, vouloir retravailler, un peu plus encore, cette notion en s’interrogeant sur ce qu’on s’accorde (ou non) à lui faire dire, sans aucun espoir néanmoins de clore une telle question.

 

Le français “ critique ” (adjectif et substantif) vient du grec “ Krinein ” (trier, séparer, et, par suite, classer, ordonner, organiser, trancher une situation confuse, et finalement “ juger ” qu’il s’agisse de “ jugements d’existence ” - ce qui “ est ” ou “ n’est pas ” - ou de “ jugements de valeur ”, relatifs à ce qui “ devrait être ”). Les formes : “ critères ” (énoncés rationnels, déjà axiologiques, en fonction desquels on discrimine, éléments, arguments, qui aident à décider), “ discrimination ”, “ endocrines/exocrines ” (les glandes, les “ humeurs ”, au sens physiologique du terme), la “ crise ” (moment décisif d’une maladie ” qui peut être aiguë ou devenir chronique ; phénomènes, signes, états, phases, temps, ages critiques, climatériques...) et même “ hypocrite ” (après “ l’acteur ” opposant une contrepartie au chœur des premières formes théâtrales, celui qui “ feint ”, celui qui “ masque ” sa propre pensée ou conviction), en dériveront[1]. Les acceptions les plus courantes seront, avec l’origine médicale, ce qui devient “ crucial ” et dont dépend le sort de quelqu’un, et, avec l’origine artistique, littéraire ou philosophique (Kant, notamment), l’examen “ armé ” (Claude Bernard), réfléchi, étayé, distancié d’un principe, d’un fait, en vue de porter sur lui un jugement d’appréciation, spécialement d’un point de vue esthétique ou rationnel (Le Robert) ; ce seront ainsi : l’avis du spécialiste qui se propose d’évaluer, comparativement ou isolément, les productions relatives à son domaine de compétence, les habiletés respectives de l’arbitre, du juge, du policier, du chercheur, du médecin, de l’intellectuel et de beaucoup d’autres professions, mais aussi bien, sur l’autre versant, les démarches plus radicales prétendant interroger les parti-pris, les habitus, .les formes acquises d’aliénation, d’oppression, d’injustice.

 

L’ambivalence est donc, ici, d’emblée, présente au cœur même de la polysémie. La critique peut être bonne et profitable, en ce qu’elle aide à progresser et à dépasser les “ allant-de-soi ”, mais elle est néanmoins redoutée comme agressive et destructrice, dans la mesure où elle doit remettre en question l’ordre antérieurement établi. Cette ambiguïté se poursuit dans sa relation à un temps-durée. Un incident critique peut être bref et sans lendemain, une situation critique peut être durablement désespérée et sans espoir. Elle se manifeste aussi, plus profondément encore, au niveau des épistémologies sous-jacentes, des “ paradigmes ” propres à chaque discipline scientifique, et, de ce fait, à propos des différents langages et vocabulaires mobilisés. Les normes AFNOR 2001 à 2004 intéressant, la qualité des “ services ” joyeusement confondue avec celle des “ produits ”, sont pensées très sérieusement comme étant critiques. Vérifier les comptes et suspecter les “ anomalies ” est également un travail critique d’expert comptable, ou d’inspection financière, internes à une axiomatique et à certaines normes reconnues et acceptées, mais ne remet nullement en question ces dernières ; la critique du capitalisme est toute autre chose. Les recherches et les investigations, à la suite d’une catastrophe naturelle ou d’un accident sont évidemment critiques. Critique quantitative (statistiques contestées ou bien fondé des modes de calcul) et  critique qualitative ne sauraient ainsi, sans dangers graves, être confondues. La démarche critique n’a donc vraiment de sens qu’en fonction des valeurs qu’elle privilégie, en amont, et auxquelles elle s’ordonne ensuite. Ce sont ses fins seules qui constitueront les véritables assises de sa définition ultérieure.

 

Pour l’extension moderne du terme, “ le critique ”, notamment dans le domaine artistique, est un spécialiste quasi professionnel, un expert, réputé compétent, faisant de toute façon “ autorité ” (quant au domaine d’expertise mais pas nécessairement, lui même, aussi habile et créateur, quant au niveau d’excellence de la pratique et de l’œuvre ; si “ la critique est aisée ” l’art reste autrement difficile) ; “ les critiques ”, vues, à travers le pluriel, de façon plus péjorative, correspondent à l’expression d’insatisfactions ou de reproches liés à des défauts de fabrication ou à des insuffisances de la qualité des services attendus ; “ la pensée, l’attitude ou la posture critiques ”[2], dans les milieux intellectuels, l’intelligentsia, mais aussi chez de nombreux militants d’éducation populaire, dans les visées de conscientisation et d’émancipation des masses opprimées et défavorisées (par la société, par l’école, du fait de rapports de force injustes et inéquitables, avec toute la dynamique d’utopies et de projets progressistes, consiste à revisiter et à ré interroger, sous divers angles, des “ allants-de-soi ”, des ‘ “ lieux communs ”, trop facilement acceptés par ailleurs. Ce sont, alors, des confrontations de valeurs, de “ visions du monde ”, de philosophies et d’idéologies, qui ont lieu d’être. Même quand elle affirme des préoccupations principalement écologiques ou éthiques, cette démarche critique est toujours politique, au sens même du politique, c’est à dire de la citoyenneté. Si elle porte sur un phénomène conçu ou représenté comme un “ objet ”, une catégorie de l’esprit ou de la raison, plus ou moins essentiels, universels, réels, résolument hors du temps, indifférents aux enracinements biologiques, la posture critique s’affirmera radicalement différente, tout à fait hétérogène à ce qu’elle deviendrait en advenant dans le cours dynamique et déjà capricieux de l’action, inscrite dans une durée chargée de mémoire et de libidinalité, de pulsions et de répulsions, vécue parce que vivante[3], temporelle historique, explicitement intersubjective. Les séquelles tenaces de l’étymologie (Krinein) nous placent toujours devant cette aporie : trancher, juger, décider, ou accompagner[4] dans une perspective d’inachèvement (G. Lapassade) et de production intarissable de sens faisant quasi nécessairement le pari, sinon l’hypothèse d’un changement possible. On pourrait ainsi distinguer utilement entre la critique plus formellement logique du “ moment ”, de l’instant, de l’événement, tout à la fois parménidienne et aristotelicienne, et une critique plus dialectique et plus temporelle de l’histoire et du vécu, plus héraclitéenne.. Le “ moment ”, par sa clôture, par sa brièveté, voire par son caractère éphémère, mais aussi, quand il est chargé d’émotion hic et nunc, par son intensité, s’oppose à la durée temporelle et à sa continuité n’excluant toutefois jamais la diversité et l’hétérogénéité[5].

 

Critique et analyse ont souvent parties liées, elles doivent, en conséquence, être soigneusement distinguées, surtout dans notre culture toujours très inspirée du génie cartésien. L’analyse est évidemment critique dans la mesure où conformément à son étymologie elle décompose (phase préalable à l’opération de tri), déconstruit, permettant ainsi un retour du compliqué au simple, voire ensuite une recomposition possible du simple au compliqué ; mais toute analyse ne se réduit plus aujourd’hui à ce jeu du simple et du compliqué (la complexité notamment, cf. note [11]). Il y a des analyses d’accompagnement (psychothérapiques, analyses de situation, analyses de pratiques). Il y a, d’autre part, des démarches critiques qui entendent échapper au modèle linéaire ou arborescent de l’analyse traditionnelle. La notion “ d’analyseur ” dégagée par l’analyse institutionnelle et les pratiques d’intervention socianalytique, présentent en outre l’intérêt de se relier à l’acception plus médicale de l’événement (ou du moment) critique et de la crise déjà évoquée supra. Ce sont aussi, mais dans une autre temporalité, les moments “ apocalyptiques ” de l’histoire soulignés par Jean-Paul Sartre, dans la critique de la raison dialectique comme faisant particulièrement sens (en termes de création, ici, plus qu’en termes de révélation ou de dévoilement).

 

Parce que fruit d’un jaillissement quasi-magmatique (Cornelius Castoriadis), d’une invention, au cœur même d’une praxis, l’œuvre critique, la portée radicale de la démarche critique se retrouve paradoxalement liée au temps, à une durée, à une mémoire, et néanmoins condamnée à l’éphémère. On ne s’installe pas impunément dans une position critique. On ne rachète pas, non plus, comme un fond de commerce, celle élaborée par d‘autres. Les écoles et les mouvements critiques en ont depuis longtemps apporté la preuve, tant par leurs sclérose que par leurs (auto)dissolutions. Il n’y a jamais d’héritiers authentiques d’un travail critique (Moreno, Marx, Lacan). Ou bien sa portée éventuelle s’est déjà retrouvée au niveau du social, voire, plus difficilement, de l’institutionnel, ou bien on sombre dans le dérisoire conservateur du “ commémoratif ” et des appareils de parti. En cela, la critique débordant largement dans son ambition radicale (ré-interroger, faire sens autrement), les “ commentaires ” (plus sereins) les attitudes “ réfléchies ” (on dit parfois “ réflexives ”, au risque du réflexe) est indissolublement liée à l’action, à un “ agir ”, à un “ faire social historique ” sur lesquels elle porte tout en y puisant de surcroît les ressources d’une distanciation (implication distanciation).

 

C’est alors, au fond, bien avant la dynamique des rapports de force ou “ les températures de haute fusion ”, la place et le statut du “ non ”, de la négation, qui aide tantôt à trancher, tantôt à faire sens autrement. Ce pouvoir spécifique de la négation, comprise comme “ philosophie du non ” (Bachelard) doit, à son tour, être précisé. Il ne s’agit nullement de la dénégation juridique argumentaire, ni de la négation magique refusant purement et simplement l’insupportable, ce qu’on ne veut, par le détour de l’inconscient, ni voir (“ scotomisation ”) ni entendre (“ surdité psychique ”), du “ déni ”, ni de la négation fonctionnelle algébrique symétrique (+, -) conduisant plutôt à l’inversion ; il s’agit très différemment de la négatricité récusant, refusant (le grand refus marcusien), contestant, remettant en question, en cause, des partis pris, des positions dogmatiques, des allants-de-soi, des préjugés, jusque là (temporalité) réputés évidents, indiscutables, inaltérables. La “ falsification ” et la “ réfutabilité ” scientifiques, tout comme le doute philosophique ou le surgissement des mouvements politiques révolutionnaires sont de cet ordre. “ L’instituant ” des courants institutionnalistes (après Cardan-Castoriadis, Lapassade et Lourau) en reste proche parent. C’est le dogmatisme (religieux, sectaire, voire rationaliste) qui en constitue justement l’une des cibles privilégiées. Il n’est pas très difficile, en effet, de retrouver des traces et des vestiges de théologies plus anciennes, encore sous-jacentes à nos paradigmes et à nos épistémologies : Dieu a-t-il tout créé, une fois pour toutes, et, alors, l’homme, même savant, ne peut plus que recourir à une ascèse pour découvrir ce qui restait encore caché ? Une vérité préexiste-t-elle, pour s’imposer universellement ? Ou bien le monde est-il, comme la vérité, toujours en train de se faire, de s’inventer, de se créer, au gré des casuistiques ? On pourrait ainsi quérir la métaphore de la critique dans le Diable de nos religions, notamment le Mephisto de Goethe (“ Je suis l’esprit qui toujours nie ”). Plus prosaïquement, ce pouvoir de négation (négatricité) nous renvoie à l’altérité (elle même inséparable, à la différence de Levinas, de l’altération[6] qui en découle).

 

Parce qu’acte de négation, négatricité, la critique s’oppose à quelque chose, à quelqu’un, à un avis, à une conviction, à des énoncés, à des partis-pris antérieurs. En cela, elle ouvre et conduit à la reconnaissance de l’autre[7]. Elle suppose donc, beaucoup plus encore que la différence, l’intelligence de l’hétérogénéité[8]. C’est déjà reconnaître et valoriser le pluriel trop longtemps réduit à n’être qu’un des avatars de l’unité. La reconnaissance de l’autre en tant qu’autre, accepté bon gré mal gré comme limite[9] à notre fantasme initial (infantile : tout maîtriser, tout contrôler !) de toute puissance (principe de plaisir/principe de réalité chez les psychanalystes), et à l’enfermement d’une conscience et d’une pensée seulement subjectives, est au fondement même de toute démarche critique. Je suis moi même, en tant que sujet, l’autre de l’autre, et sa limite. C’est pourquoi la critique s’avérera au niveau des pratiques, ou mieux d’une praxis[10], sinon des débats théoriques, contradictoire et conflictuelle. Comme la logique elle même l’a déjà bien mis en évidence (Godel) un système de pensée cohérent et articulé ne possède pas en lui les ressources nécessaires à sa remise en question. Cette dernière ne peut dès lors être escomptée que du mouvement même d’une extériorité, comprise par une meta-logique dialectique[11] faisant intervenir sous forme de médiation des instances distinctes, des partenaires concrets, dont les regards, les opinions, les jugements, les valeurs, ne se confondent pas avec ce qui est en cause.

 

Dès lors, souligner l’importance d’une attitude critique, dans le domaine des pratiques éducatives et des sciences de l’éducation semble à la fois tenir du pléonasme et peut néanmoins se comprendre à partir d’autres regards croisés. L’une des finalités essentielles de l’éducation réside, en effet, dans l’ambition explicite de contribuer à provoquer au niveau de l’apprenant, du formé, ou plutôt du “ se formant ”, pour le plus grand nombre possible à l’échelle sociale, l’élaboration, la maturation et le développement, l’éclosion, d’un esprit critique suffisamment autonome, et pourtant toujours en devenir, inachevé. Mais, en fonction des idéaux démocratiques et des contraintes économiques de gestion, l’éducation devient un système. Il est organisé, institutionnalisé, et se vide peu à peu de tout élan critique. Les procédures et les dispositifs inventés (projets d’établissement, évaluation) pour pallier à cette “ réification ” (Georg Luckacs, Joseph Gabel) progressive au niveau des pratiques routinières s’abîment eux même rapidement dans leur statut de gadgets répétitifs.

 

Enfin, selon nous, la démarche critique est profitablement, sinon nécessairement, multiréférentielle. Ce que nous avons pu dire précédemment du pluriel, et de “ l’autre ”, y préparait évidemment. .Qu’il s’agisse de se repérer, pour l’action, au niveau des pratiques, ou de rechercher une intelligibilité plus théorique, c’est le jeu explicite des extériorités et des hétérogénéités, à travers la multiplicité et la diversité des regards et de langages hautement spécialisés qui va faciliter cette remise en question en accroissant ses chances de radicalité. Nous l’avons déjà dit ailleurs[12], l’approche multiréférentielle ne prétend pas aboutir, pour autant, à un point de vue de tous les points de vue. Elle se veut toute autre qu’une collection ou une juxtaposition d’optiques disciplinaires à propos d’un même objet (en cela, on ne saurait la confondre avec la multidimensionnalité, plus naturellement homogénéisable), mais elle entend confronter en les articulant ces différentes optiques qu’elle admet comme hétérogènes et irréductibles les unes aux autres. Si il s’agit bien par certains côtés d’un éclectisme, ce n’est absolument pas sous la forme négligente et désinvolte, voire superficielle, usuellement attribuée à ce dernier terme. Nous nous pensons, au contraire, assez proches d’un complémentarisme, toutefois plus limité, chez Devereux notamment, aux registres psychologiques et sociologiques. Dans le domaine de l’éducation, par exemple, mais ce propos reste valable pour l’ensemble des sciences humaines et sociales, le même objet devra être regardé, simultanément et contradictoirement, sous différentes perspectives (psychologique, psycho-sociale, sociologique, économique, politique, éthique…e. t. c.… Lorsque les conditions d’une recherche réellement interdisciplinaire le permettent, et au sein de groupes de travail, il est préférable que cette multiréférentialité soit exercée au niveau de l’ensemble, mais il restera alors nécessaire que chacun des partenaires ait un peu appris la langue des autres spécialistes pour qu’une communication et des échanges, ou des débats, restent fructueux, réellement heuristiques.

 



(1)   [1] D’après Jean Bouffartigue et Anne-Marie Delrieu, Les Curiosités épistémologiques (“ Les racines grecques ”), Paris, Editions Belin, 1996. Encyclopedia Britannica.

 

(2)   [2] Il convient donc de réfléchir aux mots, ou aux combinaisons de mots, que l’on va sélectionner, retenir, privilégier pour désigner l’acte, l’opération ou l’attention critiques, en fonction des contextes et des intentions de départ. Les termes eux mêmes contiennent et suggèrent, en effet, par rapport à leurs usages, des philosophies sous jacentes, des parti-pris, des paradigmes, des visions du monde. Ils sont de la sorte déjà porteurs de valeurs et ne se limitent pas à leurs fonctions de signes. Acte et opération évoquent des unités plus ou moins closes, indifférentes à la durée, l’attention, plus biologique, et, par conséquent, liée à une temporalité-durée, peut être soutenue un certain temps et de plus longue haleine. Ainsi en va-t-il pour “ fonction ” critique (évidemment fonctionnelle), “ capacité ” critique, voire “ compétence ” critique (dans l’acception contemporaine du monde du travail). Démarche critique, discours critique, regard critique, posture (et non position) critique, attitude critique, courant critique, mouvement critique, tendance critique, projet critique, intention critique, jeu critique, action critique, attitude (et non aptitude) critique offrent alors un large éventail d’autres possibilités. On le voit bien à travers ces choix, c’est l’ambiguité étymologique initiale qui se retrouve : juger, trancher ou faire sens autrement, notamment dans ses rapports avec une temporalité-durée-historicité.

 

(3)   [3] Cf. Jacques Ardoino, “ L’humain, le vivant et le vécu ” in Prétentaines, “ Le vivant ”, n° 14-15, Montpellier, 2001.

 

(4)   [4] Cf. Pratiques de formation-analyses, n°40, “ René Lourau, analyse institutionnelle et éducation ”, Editorial : “ De l’accompagnement en tant que paradigme ”, Paris 8, 2000.

 

(5)   [5] Cf. Jacques Ardoino, “ Des moments et du temps ”, inédit, juillet 2001.

 

(6)   [6] Cf. Article “ altération ” in Grand dictionnaire de la psychologie, Larousse, Paris, 1991. Cf. également article “ altération ” in Encyclopédie philosophique universelle, T. 2, “  Les notions philosophiques ”, PUF, Paris, 1991. Cf., enfin, Conférence, in Première conférence internationale de philosophie de l’éducation, ( Porto, 1998), ‘L’élaboration des identités personnelle, professionnelle et sociale et l’avènement d’une conscience citoyenne en fonction des jeux complexes et des processus d’altération ”.

 

(7)   [7] Au cours de l’existence et du développement de notre personnalité cet “ autre ” se présente sous des formes diverses, toutes aussi indéniables les unes que les autres : la nature, surtout à partir de ses débordements, avec les forces disproportionnées aux nôtres qu’elle met alors en jeu, est notre “ premier autre ” qui nous oppose des limites à ne pas franchir pour pouvoir survivre. Mais cette nature reste impavide, sans désirs et sans stratégies vis à vis de nous (quelles que puissent être nos projections anthropomorphiques). Nous découvrirons ensuite l’autre humain extérieur à nous, lui impliqué, chargé de désirs, de pulsions et de répulsions, avec lequel il faudra apprendre à négocier, à composer (ces autres pouvant être individuels, collectifs, groupaux, sociaux). Il nous restera encore reconnaître et accepter l’autre, l’étranger, en nous pour devoir concéder que nous n’en avons pas non plus entièrement la maîtrise, le contrôle.

 

(8)   [8] Cf. Jacques Ardoino et André de Peretti, Penser l’hétérogène, Desclée de Brouwer, Paris, 1998.

 

(9)   [9] Cf. Jacques Ardoino : “ D’un sujet, l’autre ”, communication au colloque d’Angers, AFIRSE, ‘Le sujet en formation, Angers, 1995,

 

(10)[10] Cf. Jacques Ardoino, “ Des allants-de-soi pédagogiques à la conscientisation critique ”, Préface à Francis Imbert, Pour une praxis pédagogique, PI, Matrice, Paris, 1985.

 

(11)[11] D’un point de vue pratique, se repose à cette occasion la question de l’“ auto ”. Autonomie, par exemple, ne veut pas dire autarcie ni autosuffisance. La volonté d’indépendance n’abolit pas les contraintes de l’interdépendance. Pour avoir voulu parfois l’ignorer l’autodidaxie n’en conserve pas moins ses limites. De retentissants procès politiques du vingtième siècle lourdement appuyés sur “ l’autocritique ” ont ainsi donné matière ensuite à bien des suspicions légitimes. Il en va de même pour l’évaluation. Si, il reste souhaitable qu’une éducation à l’autocritique, une formation à l’auto-évaluation soient encouragées, elles ne sauraient suffire ni dispenser, même quant il s’agit de collectifs ou de groupes, de regards et de ressources extérieurs. L’articulation nécessaire de “ l’auto ” et de “ l’hétero ” reste incontournable. Cf. Jacques Ardoino, “ considerationes teoricas sobre la evaluacion en education ” in Mario Rueda Beltân y Frida Diaz Barriga Arceo, Evaluacion de la docencia, perspectivas actuales, Paidos educador, Mexico, Buenos Aires, Barcelona, 2000 et “ L’évaluation déchirée entre bilan comptable et plein exercice d’une fonction critique plurielle (multiréférentielle) ”, communication au colloque de OAXACA (Mexique), 2000..

 

(12)[12] Cf. Jacques Ardoino, Propos actuels sur l’éducation, Cahiers et Documents IAE de Bordeaux, 1963, réédité chez Gauthier Villars, collection Hommes et Organisations, Paris, 1966, 20ème mille (1978), traduit en portugais, espagnol et japonais, Education et politique, Gauthier Villars, Paris, 1977 réedité par Anthropos-Aeconomica, Paris, 2000, traduit en Italien, espagnol et portugais, Education et relations, Gauthier Villars-UNESCO, Paris 1980, traduit en italien. Cf., également, Pratiques de formation-analyses, n° 26-27 et 36, “ L’approche multiréférentiell ” et “ Le devenir de la multiréférentialité ”, Paris 8, 1993 et 1999.