La vulgate[1] managériale  de la formation

 

 

Suivons la mode !

 

Les réflexions qui suivent résultent de la lecture et d’une première analyse des compte-rendus des recherches effectuées par les étudiants des D.E.S.S Stratégie et Ingéniérie de la Formation des Adultes (S.I.F.A), des universités de Nantes, Rennes 2 et Tours, lors du premier semestre 2002. Dans un esprit de bilan-prospective les enquêteurs, professionnels de la formation, interrogeaient leurs anciens collègues sur les apports de leur formation universitaire et sur les évolutions de leurs différents métiers. Tant des points de vues qualitatif que quantitatif ces travaux se révèlent d’une très grande pertinence et permettent d’envisager un avenir tendant vers davantage d’efficience de la formation.

 

Afin de sortir de la vue désirante des acteurs de la formation nous proposons une critique quelque peu systématisée du vocabulaire utilisé dans leurs écrits, rappelons-le, de très haute tenue. Pourtant cette vulgate, implicitement, se veut dans « l’air du temps » d’un certain nouveau style de management séducteur qui se dit moderne. En quoi et pourquoi les ingénieurs et stratèges en formation doivent-ils « se soumettre aux nouveaux credos de la modernité managériale [2]» et plus particulièrement d’adopter un discours incongru loin des préoccupations des acteurs du travail ? Qu’advient-il de la formation que les différents agents souhaitent se donner ?

 

Vers la stratégie

 

Les constats des enquêteurs exposent clairement la transversalité de fait des divers modules d’enseignement dans les trois universités. Ils mettent en exergue la corrélation des approches juridiques et de la recherche, ils montrent des liaisons fortes entre les modules ingéniérie et la formation en europe. En effet les rencontres, de personnes occupant des postes à très hautes responsabilités, effectuées en particulier dans le cadre de la mobilité géographique dans des pays européens, favorisent la prise de conscience de la prégnance de la stratégie dans les problèmes de la formation en général. Nous découvrons que la stratégie découle de la « pratique pédagogique politique[3] » qui dicte les conditions d’existence des formations, domaine strictement réservé aux décideurs.

 

Dans le cursus SIFA nos universités ont certainement valorisé les fonctions dites d’ingénieur de formation sans réaliser que celui-ci se positionne dans un rôle d’exécutant, certes de haut niveau. Celui-ci se trouve ainsi dans une posture de courroie de transmission des décisions de la direction générale de son entreprise. Ainsi les ingénieurs de formation permettent la réalisation de « produits » de formation en liaison avec les « besoins » de l’organisation et très accessoirement en relation avec les désirs des agents visés. Dans les faits les ingénieurs deviennent des moyens spécifiques à disposition des stratèges. La stratégie se confond avec les méthodes et les moyens qu’utilisent les responsables des entreprises et les prescripteurs institutionnels pour atteindre des objectifs économiques et avancer vers leurs finalités. Aussi après mûres réflexions, prétendent-ils, ils en confient la mise en œuvre et le suivi d’exécution à l’encadrement. Toutefois nous rappelons que les théories  et l’observation des pratiques montrent que la décision[4] se rapporte davantage à l’ambition du décideur qu’à sa rationalité. Elle se justifie fréquemment a-posteriori. En formation elle porte un faible intérêt aux personnes sauf en cas de présence de fortes représentations des personnels.

 

Des injonctions imperceptibles

 

Les entreprises (fussent-elles de formation) font partie intégrante d’un environnement politique, culturel, économique, social. Toutefois, dans les métiers de la formation on prend rarement en compte ces dimensions car il existe d’autres instances qui s’en occupent !!! En effet, étant donné qu’il dispose des moyens financiers, « le patronat s’investit de plus en plus dans les affaires de la cité […et fait …] prévaloir ses conceptions en matière d’emploi, de formation [5]». En fait la formation se révèle un puissant levier sur les déroulements de carrières donc sur la vie quotidienne et les comportements d’allégeance ou non des salariés quant à leurs directions. Cependant il y a lieu de s’interroger sur l’envahissement du champ de la formation par des « produits » spécifiques pré-construits en particulier par certains membres de la table ronde des industriels européens qui, à Bruxelles, dictent leurs directives à la commission formation du conseil de l’Europe. De quels choix disposent les formateurs et ingénieurs de formation quand ces puissants opérateurs prennent le contrôle des supports, des réseaux informatiques et des contenus ? Quels interstices de liberté peuvent encore s’octroyer les responsables de formation, les consultants et les formateurs ? Que devient leur espace des possibles [6]?  Rappelons que « l’espace des possibles est ce qui fait que les producteurs … sont…relativement autonomes par rapport aux déterminations de l’environnement  économique [7]», culturel, social et financier, ce qui semble éloigné de la situation des producteurs que sont les formateurs.

 

Comment ne pas succomber à ces diktats néolibéraux implicites, très peu visibles car intégrés dans le discours généralisé en particulier par les cadres et les médias, mais non virtuels ? Mais peut-on, veut-on les voir ? Quelles formations pour comprendre ce qui se joue dans les coulisses des pouvoirs ? Quelles sont les conditions sociales de l’autonomie professionnelle ? De quelles manières influencer de façon efficiente les stratégies de formation des décideurs ? Ceux-ci agissent sous la férule constante des actionnaires qui considèrent l’entreprise comme « un simple instrument pour la rentabilité financière …qu’on … [peut] …manipuler…selon les aléas du marché [8]» sans tenir compte des personnels engagés. D’aucuns diraient que l’on est éloigné de la formation. Voire ! En effet il faut rendre l’organisation et les employés flexibles, c’est-à-dire adaptables aux modifications incessantes censées toujours accroître la productivité. Le marché de la formation s’y conforme à souhait. On constate que le management instaure dans les faits une idéologie du changement permanent qui devient la norme de l’entreprise « moderne » qu’elle soit privée, semi-publique ou publique. Pourtant des observations factuelles montrent qu’une informatisation médiocre, peut provoquer davantage de pertes que les méthodes traditionnelles. Ceci ramène au problème de la réflexion rationnelle sur la décision rationnelle !

 

 

 

Les mots

 

Une nébuleuse

 

Nous utilisons « naturellement » le lexique d’une pseudo communauté. Venu insidieusement par les discours d’une certaine élite médiatique ce vocabulaire confère aux utilisateurs une importance apparente dans les milieux socio-économiques enveloppant la formation. Ainsi nous entendons, lisons, écrivons, les mêmes mots dans les contextes qui exploitent le phénomène formation. Néanmoins, le peu de conceptualisation de ces différentes notions génère des discours répétitifs, rapidement stéréotypés qui entraînent des incompréhensions voire des déconvenues. Les mots, porteurs d’idéologies, ne peuvent, pour nous, être ainsi galvaudés. Pourtant, par une sorte d’effet de leurre, ils servent d’alibis pour en éliminer d’autres et inoculer en douceur de nouvelles valeurs «évidentes » pour des sous-classes de privilégiés qui se pensent affiliés aux pouvoirs implicites. Nonobstant de par « les asymétries de l’information [9]» qui avantagent les tenants des capitaux financier, social, et culturel ils peuvent nous entraîner vers « la grande désillusion [10]» génératrice de ressentiments chez les exclus, de verbiage hermétique et parfois de rancœur chez ceux qui s’imaginent appartenir aux élus.

 

De l’industrie et de la pédagogie

 

Parmi les termes séducteurs nous trouvons par exemple « moderne ». Ainsi nous entendons : vous dirigez une entreprise moderne, créons une république moderne, nous avons une conception moderne…. cependant les temps modernes existent depuis longtemps !!! Ainsi… Taylor c’est fini !!! Mais l’entreprise moderne devient « apprenante » cela signifie qu’elle propose ou impose un travail avec un apprentissage adaptatif incorporé pour, dit-elle, créer une organisation qualifiante, bien qu’elle annonce simultanément que les qualifications n’existent plus ! Alors ?  Vivent les compétences ! Il faut dire qu’elles sont plus faciles à gérer pour les directions car, elles sont individuelles ! Compétence, notion également peu précise, disons même floue qui, dans un premier temps conduit vers un consensus apparent mais souvent provoque des déceptions dans la mise en œuvre des opérations professionnelles. Elle valorise aussi l’individualisation qui envahit les discours sur les rémunérations, les parcours, les évaluations, et bien sûr les formations. Ainsi cette « détermination sociale de la particularisation assigne les individus à devenir de plus en plus dépendants du processus mondial de valorisation du capital [11]» ce qui ne constitue pas la finalité des étudiants de D.E.S.S. S.I.F.A. qui visent leur émancipation.

 

L’apprenant découvre qu’il est placé au centre des dispositifs. Que de monde au centre !!! Et comment s’en échappe-t-il ? On voit bien que la conceptualisation intéresse peu de monde, en effet si l’on parle d’un « apprenant », c’est qu’il est essentiellement autonome, donc il n’est pas nécessaire de « le placer » car il choisit lui-même, à condition qu’il soit un « véritable » a-prenant ! On ne parle plus d’élève, ça fait aussi « ringard » que de parler du système éducatif. Toutefois les classes dirigeantes l’exploitent malgré tout, pour valider leur capital économique et social par des diplômes (modernes ?) universitaires. En effet l’arrivée de boursiers sur le champ social et économique amène les héritiers à se battre pour s’approprier un capital culturel supérieur et officiel qui justifie leurs compétences socio-économiques et socio-politiques.

 

Industrialiser la formation pour réduire les coûts, vendre des produits, des équipements, des programmes, devient un leitmotiv. Donc on n’individualise pas toujours ! mais on fabrique à la chaîne des modules préconstruits pour le plus grand nombre d’acheteurs possible. Bien que disparu, le Taylorisme renaît dans la création, la fabrication, la distribution des produits de formation et d’éducation ! La non prise en compte de « l’apprenant » se dévoile ainsi de manière flagrante et, l’apologie du cours, tant critiqué lorsqu’il est mené par un formateur singulier en présentiel, revient insidieusement par les technologies de la communication   moderne ! Cette apparente modernité facilite la supervision des individus et pourtant que ne glose-t-on pas sur l’éthique !

 

La marchandisation de la formation initiale et continue nous permet de nous « apercevoir que la refondation néolibérale de l’école à la française est en cours [12]» et encourage à l’individualisme dès l’enfance mais encore davantage chez les salariés. L’injonction de cette industrialisation c’est de garantir la production des artisans de la croissance économique qui doivent devenir performants sur le marché de l’emploi grâce aux formations adaptatives prescrites. Il apparaît que nous évoluons dans un « marché de dupes dont…[ les salariés ] …sont les premières victimes[13] » car ils se doivent d’assurer un retour personnel sur un investissement rarement choisi. Cette responsabilisation fictive individuelle isole et déstabilise les personnes de plus en plus privées des médiateurs sociaux écartés par la classe dirigeante qui ainsi « exerce un contrôle direct des moyens de subsistance de la population [14]» des salariés qu’elle qualifie ou disqualifie à sa convenance. En fait l’antienne managériale rend souvent incompréhensible le sens des actions envisagées et fragilise les acteurs dans leurs activités sociales et professionnelles. Les professionnels de la  formation savent que « le pouvoir des paroles n’est autre chose que le pouvoir délégué du porte-parole [15]» qu’est le manager toujours intermédiaire et en délégation. Aussi il leur est difficile de comprendre toutes les implications et d’agir de manière efficiente pour les formés qu’ils reçoivent. 

 

De la mondialisation

 

La Formation Ouverte et A Distance [16] ( F.O.A.D ) occupe actuellement le « haut du pavé », en effet après la vente des matériels à des usagers potentiels qui achètent aussi des contenus et des accès, nous savons qu’internet peut diffuser des savoirs, moyennant finance évidemment. La formation ouverte et distance serait-elle aussi ouverte à tous qu’annoncé ? A quels apprenants s’adresse-t-elle ? Dans les faits il est possible d’émettre et de recevoir les messages partout … dans le monde occidental ( ! ) et, certains enquêtés nous suggèrent d’envisager la possibilité d’élargir le module « europe » pour le mondialiser. C’est une proposition des plus intéressante et incontestablement elle mérite réflexion. S’agit-il d’un souhait d’une plus grande connaissance des mondes occidentaux de la formation ? Est-ce un désir d’aide par la formation à des peuples en difficultés ?

 

La mondialisation, phénomène permanent des divers pouvoirs tout au long des siècles, peut, nous le savons, apporter beaucoup à la qualité de vie de l’ensemble de la planète. Toutefois elle est, aujourd’hui, source de critiques multiples, aussi l’éthique nous impose quelques interrogations et réflexions. A quels publics s’adressera-t-on ? Souhaitent-ils des interventions ? De quels contenus et méthodes dispose-t-on ? Les produits préfabriqués disponibles correspondent-ils aux besoins des populations ? Quels pays privilégiera -t-on pour nos découvertes ? Ceux du monde occidental où l’on trouve des nantis et de plus en plus de pauvres ou ceux des pays appelés « en développement » et que les institutions financières internationales, à force de les aider, rendent encore plus exsangues ? Soulignons qu’à ce jour « l’impact dévastateur que peut avoir la mondialisation sur les pays en développement et d’abord sur leurs populations pauvres [17]» accorde peu d’espoir à un champ des possibles pour leur formation. En effet la fracture technologique fait que « la moitié des habitants de la planète n’ont jamais donné un coup de téléphone et vivent à plus de cinq kilomètres d’un poste téléphonique [18]». Ainsi internet, qui permet de recevoir « Le savoir à domicile [19]» semble souvent inaccessible et met en exergue « les conditions inégales d’accès et de maîtrise des dispositifs [20]» de formation dans le monde entier. Toutefois « alors que la moitié du monde crève de faim, n’a même pas accès à l’eau potable [21]» les technologies peuvent devenir un vecteur d’émancipation si l’homme devient une fin et non exclusivement un moyen de leur développement incontrôlé.

 

En ayant intégré ce minimum de connaissances du contexte international le D.E.S.S pourra peut-être envisager sa propre mondialisation ! Cependant les responsables pédagogiques se souviendront « qu’il n’y a pas de politique sociale sans un mouvement social capable de l’imposer [22]». En effet la formation pour les peuples de la paupérisation, à moins d’un dollar par jour pour survivre, relève d’un mouvement social international. Les multiples et difficiles tentatives de L’U.N.E.S.C.O pour l’éducation, en témoignent. Elles nous suggèrent que, sans une prise en main des démarches d’affranchissement par les personnes concernées, les interventions extérieures risquent d’aggraver davantage les situations précaires (mot peu usité chez les managers). La déontologie des métiers de la formation n’autorise en aucun cas la complicité avec les exploiteurs de la pauvreté ou les promoteurs de celle-ci, par institutions internationales ou multinationales interposées.

 

La Formation dans le néolibéralisme

 

La formation se rapporte à la transmission et/ou à l’acquisition des divers savoirs. Elle joue un rôle incontournable dans la production des citoyens et des acteurs socio-économiques, aussi une certaine sujétion s’installe par rapport aux tenants des divers pouvoirs. Il en résulte que des termes porteurs de valeurs non-visibles s’installent sournoisement dans le paysage social et économique et deviennent des éléments structurant d’une construction doctrinale insidieuse que nous incorporons souvent malgré nous. Les instances politico-financières mondiales, leurs guerres commerciales et leur bonne gouvernance, inoculent ces mots à leurs outils idéologiques et génèrent en catimini la globalisation néolibérale. C’est dans ce contexte que naît la marchandisation des produits de formation qui envahissent le monde. Et nous n’y pouvons rien ! Devenons-nous de simples réceptacles de produits-formation pré-digérés par et pour des intérêts privés opposés à l’intérêt général et à celui des sujets sociaux ? Acceptons-nous ce type de mercantilisme favorable à un individualisme forcené et qui détruit la citoyenneté ?  Bien qu’elle soit créatrice de multiples améliorations des conditions de vie pour certains, cette mondialisation  devenue néolibérale considère aussi l’homme comme un moyen et non comme une fin. Ainsi il devra gérer sa ressource humaine, de manière individualiste comme l’on gère les ressources minières ou énergétiques. Il fait partie des richesses de l’entreprise, comme l’insinuent les dirigeants qui s’appuient sur la théorie du capital humain. L’individu devient ainsi une particule de capital[23], mot non usité dans le monde du management moderne ! Celui-ci incite à se construire en permanence un porte-feuille de compétences individuelles, pour mieux éliminer ses concurrents.

 

 

Le néolibéralisme ambiant qui utilise le discours des théories économiques pour accaparer les pouvoirs politiques (en particulier sur la formation), investit très fortement dans l’éradication des diverses structures à caractère collectif qui peuvent peu ou prou favoriser l’émancipation des personnes. Il ambitionne une expansion permanente. Cette dernière ressortit exclusivement à la création et au fonctionnement sans entrave de marchés financiers lucratifs qui opèrent en temps réels au niveau mondial. Les profits à court terme des actionnaires constituent les uniques validations et le management se gargarise d’un vocabulaire spécieux où règnent l’individualisation, l’implication, l’investissement, la responsabilisation, la culture (d’entreprise), l’éthique, les valeurs ….Vocabulaire qui s’immisce lentement mais sûrement dans le lexique des formateurs formatés par les différents médias eux-mêmes pris, sans critique, dans la spirale des notions qui paraissent modernes. Moderne, nous l’avons vu, devient lui-même l’un des mots-clés imposés par la politique néolibérale à la pseudo «jet-set » de la communication, du management et de la formation. De cette manière la construction idéologique semble aller de soi et apparaît comme la nouvelle normalité des classes qui se croient élues.

 

La Magie de « l’Auto »

 

Aux confins des discussions apparaissent comme par effraction les vocables de l’Autoformation. Celle-ci semble très prisée des encadrants. Que mettent-ils sous cette appellation ? Les explications nous entraînent vers les formations à distance ou par logiciels et en général ne semblent pas accorder une importance significative aux choix du formé qui devra pourtant être capable de s’autoévaluer dans ses pratiques professionnelles. Il est vrai que les travaux de conceptualisation classent encore l’autoformation au rang de pré-notion et nous indiquent qu’aujourd’hui nous devons re « Penser l’Autoformation [24]» de façon à ne pas tromper les sujets sociaux apprenants. C’est l’un des problèmes des formateurs qui, dans leur illusoire tentative d’autonomisation des formés, deviennent  « de plus en plus dépendants du processus mondial de la valorisation du capital [25]». En effet ils ne possèdent pas les clés pour accéder aux conditions sociales indispensables pour l’affranchissement des personnes qu’ils accompagnent. Il apparaît bien que le développement de leurs capacités d’autodocumentation c’est-à-dire que leur accès à la néoautodidaxie[26] se révèle prioritaire.

Il en découle, qu’aux dépens des organisations représentatives, l’individu se voit valorisé, dans le verbe, et fortement sollicité pour son capital de compétences, garant temporaire de son indispensable productivité. Ces compétences s’obtiennent principalement par la formation qui se comporte en sous-système de la société post-industrielle. Althusser l’aurait certainement considéré comme un Appareil Idéologique d’Etat. Aussi la formation s’industrialise elle-même, avec entre autre une production, très flexible, d’opérateurs efficaces et, ses acteurs s’en félicitent ! Intervient bien sûr la démarche qualité avec, ses juste à temps, ses zéros défauts et… ses zéros mépris pour les indispensables élus qui réussissent ! Qui réussissent bien sûr, jusqu’à leur futur échec ! Et alors ? C’est le chômage qui, comme prétendent les nantis, résulte de la volonté exclusive de gagner davantage, c’est-à-dire du refus de l’emploi moins bien rémunéré !!!! Industrialisons, industrialisez la formation, pour éviter l‘exclusion ! Leitmotiv de cadres très très supérieurs, parfois complices, parfois inconscients, parfois conscients, désabusés s’ils attendent le moment où leurs propres obsolescences les détruiront à leur tour car ils n’auront pas su garantir leur employabilité.

 

Pour la grande satisfaction des champions du libéralisme les tenants de certaines sciences de l’éducation se réfèrent à J.J Rousseau pour discourir sur l’autoformation hors du contexte social. Acceptons, pour les apprentissages, son triangle auto-hétéro-éco, c’est-à-dire les apprentissages par soi, les autres, les choses, mais rappelons le peu de désir de J.J Rousseau pour l’affranchissement du « bon sauvage ». Les apprentissages de savoirs étaient destinés exclusivement aux possédants, mais ces auteurs omettent de le signaler. Aujourd’hui alors que la subordination règne encore sans partage et que conjointement un discours lénifiant prône l’autonomie, naît et se perpétue une rivalité entre des agents lancés dans une illusoire conquête des places et en conséquence dans l’élimination des moins « performants ». Précarité, chômage, pauvreté croissante, résultent de cette brutalité néolibérale, imposée à des individus qui perdent leur citoyenneté et qui pourtant bénéficiaient paraît-il de l’égalité des chances. Expression piégée et piégeante, en effet, comment la chance peut-elle se constituer en facteur d’égalité ? 

 

Tentative pour conclure ou synthétiser

 

Les mots du néolibéralisme et de la formation s’entremêlent dans un champ social élargi. Les écrits et les propos divers sur la formation s’articulent autour de la compétence, la flexibilité, la gestion des ressources humaines, la mondialisation, la responsabilisation, l’individualisation, l’employabilité, l’autoformation, les nouvelles technologies de l’information, la qualité, la modernisation, l’autonomie, le multimédia, l’internet, les formations ouvertes et à distance…. On prétend construire des parcours pour des individus auxquels on impose une autoformation dans une liberté totale !!! Mais nous ne trouvons pas, ou moins, les capacités, les qualifications, la personnalisation, la pédagogie, la didactique, le capitalisme, la domination, les avis des représentants du personnel, l’enseignement, le choix du sujet social. Que de disparitions !

 

Ce « matraquage » en boucles réitérées d’un flot de notions non définies qui appartiennent au vocabulaire trivial des mondes de la formation et du management à des fins de confusion, de domination, d’occultation des conséquences sociales, économiques, politiques et culturelles se doit d’être élucidé, analysé et … contrecarré. Et l’on parle toujours d’éthique, toutefois nous n’accordons pas de quitus à des morales et des valeurs qui négligent les parias.

L’engagement militant des agents des métiers de la formation dans leurs missions, ne leur offre pas souvent le luxe de la distanciation[27] par rapport à leurs pratiques. Les divers contextes et pouvoirs soutiennent rarement leurs exigences de qualification professionnelle. Ils nous ont dit que le cycle du D.E.S.S, au travers des divers modules et en particulier celui relatif à la recherche de troisième cycle, les amène à posséder des capacités d’excentration. Celles-ci s’avèrent essentielles pour représenter, conscientiser, analyser, formaliser les situations et les pratiques sociales et…s’aventurer sur les voies de l’autonomisation.

 

Georges Le Meur

Sciences de l’Education

Université de Nantes

2002

v.porterat @ fc.univ-nantes.fr

 

 

 

 

 

                                      



[1]. A. Rey, Dictionnaire Historique de la Langue Française, p. 2290.

[2]. J. P. Le Goff, Les Illusions du Management, La Découverte, Paris, 2000, p. 18.

[3]. G. Malglaive, Politique et pédagogie en formation d’adultes, Edilig, Paris, 1981.

[4]. L. Sfez, La Décision, P.U.F., Paris

[5]. J.P Le Goff, Les illusions du management, Paris, La découverte, 2OOO. P.141.

[6]. P. Bourdieu, Raisons Pratiques, Le Seuil, Paris, 1994, p. 61.

[7]. P. Bourdieu, ibid, p. 61

[8]. J.P. Le Goff, Op. cit, p. 145.

[9]. J. E . Stiglitz, La Grande Désillusion, Fayard, Paris, 2002, p. 19.

[10]. J. E. Stiglitz, La Grande Désillusion, Fayard, Paris, 2002.

[11]. J. Guigou. Critique des Systèmes de Formation des Adultes, Paris, L’Harmattan, 1993,  p. 287.

[12] . Y. Careil. Ecole Libérale, Ecole inégale, Paris, Nouveaux Regards, 2002, p. 9.

[13] . J. P. Le Goff. Op .cit. p. 23.

[14] . J. L. Rocca. Sur la Critique de la Mondialisation, Temps Critiques, Montpellier, 1998, N° 10, p. 87.

[15] . P. Bourdieu. Ce que Parler Veut Dire, Paris, Fayard, 1982, p. 105.

[16] . G. Le Meur. Université Ouverte, Formation Virtuelle et Apprentissage, Paris, l’Harmattan, 2002.

[17]. J.E. Stiglitz. Op .cit. p.17.

[18]. F. Gros, Sciences, Techniques et Mondialisation, in F. Barret-Ducrocq, Quelle Mondialisation ? Paris, Grasset, 2002,  p. 186.

[19] . F. Henry, Le Savoir à Domicile, Montréal, P.U.M, 1985.

[20] . Ch. Suaud, Le Sujet Social Apprenant et le Non-Présentiel, in G. Le Meur, Université Ouverte, Formation virtuelle et apprentissage, L’Harmattan, Paris, 2002, p.412.

[21] . F. Gros, Ibid.

[22] . P. Bourdieu, Contre-feux 2, Raison d’Agir, Paris, 2001 ? p.16.

[23]. J. Guigou, Ibid, p. 14.

[24] . J. Dumazedier, Penser l’Autoformation, Chronique Sociale, Lyon, 2002.

[25] . J. Guigou, Ibid, p. 287.

[26] . G. Le Meur, Les Nouveaux Autodidactes, Néoautodidaxie et Formation, Chronique Sociale, Lyon, 1998.

[27] . N. Elias. Engagement et Distanciation, Paris, Fayard, 1983.