Séminaire de formation, janvier 2001


Accompagner l'autoformation, une démarche et ses variantes :
didactique, pratique et symbolique.

Pascal Galvani
Maître de conférences associé
Université François Rabelais Tours


Résumé : La question de l'autoformation, de sa compréhension et de son accompagnement méthodologique est une question cruciale pour les formateurs d'aujourd'hui. Les démarches d'accompagnement de l'autoformation doivent se construire comme un accompagnement à la réflexivité et à la production de sens personnel. L'objectif de cet article est de dégager la logique commune des différentes démarches d 'aide à l'autoformation. Il présente les variantes méthodologiques correspondant aux trois grandes dimensions de l'autoformation : la dimension didactique des savoirs formels (le sens comme signification), la dimension pratique des savoirs d'interaction (le sens comme orientation) et enfin la dimension ymbolique des savoirs existentiels (le sens comme sensibilité).


Mots-clés : autoformation, pratique, symbolique, méthodologie, fonction de formateur

La question de l'autoformation, de sa compréhension et de son accompagnement, est probablement la question la plus importante pour les enseignants, les éducateurs et les formateurs d'aujourd'hui. Toutes les recherches montrent en effet que la part de 1'apprentissage autonome devient de plus en plus importante au cours d'une vie, et qu'elle est bien supérieure à la part de la formation reçue.

Pour les formateurs, il s'agit de passer d'une fonction majoritairement centrée sur la transmission de savoirs et de savoir-faire à une fonction d'accompagnement méthodologique au développement de l'autoformation. Cette nouvelle position suppose une nouvelle démarche dont nous voudrions décrire ici la logique de base et les variantes les plus fréquentes. L'objectif principal de cet article est de mettre à jour la logique commune des différentes méthodes d'accompagnement de l'autoformation,

Les pistes de réflexion méthodologique présentées ici s'appuient sur une expérience d'animation d'ateliers de praticiens et de conseil en formation-action et recherche-action auprès de différents groupes depuis 1995 (voir aussi à ce sujet : Le croisement des savoirs, 1999, et Galvani 1997, 1999).

Quelle peut être la place des actions de formation par rapport à l'autoformation ? Comment élaborer une démarche de formation qui soit au service de l'autoformation des personnes qui y participent ? Peut-on discerner une structure commune aux démarches d'accompagnement à l'autoformation ?

1 L'autoformation ou la mise en forme et en sens de soi.

Toute tentative de réponse à ces questions implique des choix dans l'approche de l'autoformation. Le premier choix que nous ferons est de réserver le terme autoformation à l'activité de la personne qui se forme. Nous définissons l'autoformation comme un processus quotidien, humain, vital, qui permet à chaque personne de produire une forme personnelle à partir de l'ensemble de ses interactions avec l'environnement

Si l'autoformabon désigne l'action de la personne sur sa formation, elle implique la production. d'une forme et d'un sens personnel. L'autoformation est un. processus existentiel permanent de production de sens personnel au quotidien qui ne dépend pas de l'action des formateurs ou des institutions éducatives. On peut s'autoformer en dehors de toute institution éducative (Le Meur, 1998). On peut aussi s'autoformer dans une situation de cours magistral classique parce que l'on donne un sens personnel à ce qui est dit (ou au contraire en rêvant. à autre chose). L'autoformation n'est donc pas une pratique pédagogique. Ce n'est pas une action du formateur, mais celui­ci doit nécessairement choisir de construire sa. pratique pédagogique avec, contre ou sans l'autoformation des personnes auxquelles il s'adresse.

Construire une démarche d'accompagnement de l'autoformation ne peut se faire que sur la base d'une bonne compréhension du processus lui­même. Les travaux de recherche sur l'autoformation et l'autodidaxie (Nous renvoyons le lecteur aux actes des colloques organisés par le GRAF, (Groupe de Recherche sur l'Autoformation en France) http://www.cnam.fr/autoforrnation2OOO/france/page2f.htm) sont unanimes pour décrire ce processus à partir des grandes caractéristiques suivantes :

Si l'on observe les différentes pratiques pédagogiques d'accompagnement de l'autoformation, on constate qu'elles organisent un accompagnement méthodologique à la. production. de savoirs et de sens. Cette production, qui est pilotée par le questionnement personnel sur l'expérience, donne ensuite l'occasion d'échanges collectifs.

2 Une démarche commune pour les méthodes d'aide à l'autoformation.

2.1 Organiser un retour réflexif sur l'expérience personnelle.

Toutes les démarches d'accompagnement de l'autoformation s'organisent autour d'une première étape réflexive. Selon les publics et les objectifs de leur formation, le retour réflexif sur l'expérience peut prendre différentes formes : Histoires de vie, récits de pratiques, journal de bord, analyse d'expériences, etc. Il peut s'agir de l'expérience professionnelle, sociale, personnelle, ou encore de l'expérience de formation. Quelle que soit la méthode utilisée, ce retour réflexif va permettre de transformer l'expérience par la prise de conscience et la problématisation. C'est cette réflexion sur l'expérience qui permet à chacun de construire une problématique de formation personnelle.

2.2 Animer des échanges coIlectifs à partir des productions personnelles.

Conformément à la caractéristique interactive de l'autoformation, ces productions réflexives sont ensuite travaillées collectivement Comme nous le verrons, toutes les méthodes d'accompagnement de l'autoformation intègrent un travail collectif d'échange sur les productions personnelles. Ce temps d'échange en collectif est fondamental. En pluralisant les problématiques, il favorise la prise de conscience et la décentration des "a priori" et des "évidences" subjectives. L'autoformation suppose en effet un double processus d'émancipation des déterminismes sociaux hérités et incorporés

2.3 Construire des supports adaptés aux trois dimensions du sens.

À partir de cette base commune, on peut identifier trois grandes dimensions dans les démarches d'autoformation. Ces dimensions ne sont pas nouvelles et ont été diversement nommées tant en philosophie qu'en sciences de l'éducation. À titre indicatif, on peut citer: les trois philosophies (théorique, pratique et esthétique) chez Kant, les trois intérêts de connaissance (technique, pratique et émancipatoire) chez Habermas; ou encore la distinction Savoir, Savoir-faire et Savoir-être en formation.

L'autoformation implique toujours les trois dimensions du savoir et du sens :

Ces trois dimensions sont indissociables et toujours présentes dans les pratiques d'autoformation, mais elles ne sont jamais présentes à égalité. Elles dominent alternativement le processus d'autoformation au cours de son développement (Fabre M. 1994 ; Denoyel. N. 1999).

Les démarches d'aide à. l'autoformation. peuvent être ainsi identifiées à partir de la. dimension du sens qu'elles privilégient (Galvani, 1991) car chaque dimension de sens réfère à des niveaux de représentation et de production de savoirs très différents. Chaque niveau implique donc l'utilisation de support et de méthodes cohérentes avec la logique du sens visé. C'est donc à partir de ces différents niveaux que nous présenterons quelques démarches d'accompagnement de l'autoformation

3 Le sens comme signification : accompagner la production de savoirs formels.

L'avènement des sociétés de l'information pose plusieurs questions aux agents et aux institutions éducatives. Tout d'abord, la multiplication des sources d'information transforme le rôle des agents éducatifs. Lorsque les savoirs se multiplient et se renouvellent à une cadence jamais égalée, la fonction du formateur ne peut plus se définir prioritairement sur la transmission des savoirs mais s'orienter vers le développement des compétences d'apprentissage.

L'idée centrale des méthodes d'accompagnement de la dimension didactique et théorique de l'autoformation est inspirée de l'épistémologie génétique (Piaget, Wallon). Il s'agit de développer le raisonnement hypothético-déductif formel appliqué à l'analyse de l'expérience par un entraînement systématique et un soutien méthodologique

3.1 Une méthodologie fondée sur la démarche de recherche

Les méthodes d'accompagnement de l'autoformation orientées vers les savoirs formels, théoriques et didactiques s'inspirent largement des méthodologies de recherche et de recherches-action.

Cette démarche, trop rapidement résumée ici (voir Dumazedier 1993, 1994, et Chosson, 1975), est très proche de celles qui sont développées par Henri Desroche dans les formations universitaires (Desroche, 1990; Chartier & Lerbet, 1993). Le formateur devient un conseiller méthodologique qui aide les sujets à produire leurs savoirs. Dans ces différentes méthodes, l'accompagnement peut se résumer ainsi :

3.2 Organiser un processus de réflexion sur l'expérience.

Le processus de formation s'organise autour du questionnement (individuel et/ou collectif) des apprenants sur leurs expériences (Courtois et Pineau, 1991). C'est la vie de la classe ou la vie personnelle des enfants dans la pédagogie Freinet. C'est la vie concrète (sociale, culturelle, militante...) des personnes constituant les Groupes d'Entraînement Mental. C'est l'expérience socioprofessionnelle des étudiants préparant le Diplôme des Hautes Etudes des Pratiques Sociales (Desroche, 1990) ou les formations universitaires similaires (Chartier et Lerbet, 1993). C'est encore l'expérience de formation réciproque dans les Réseaux d'Echanges Réciproques de Savoirs (Héber-Suffrin, 1992). Selon les contextes (scolaires, associatifs, universitaires ...), les participants (élèves, membres de réseaux associatifs, professionnels en formation...), et les objectifs visés (accroître la maîtrise de sa vie, préparer un diplôme, produire une recherche universitaire sur une pratique sociale ... ) les formes et les démarches varient Ce qui est commun c'est que la réflexion sur l'expérience est au coeur de la formation parce qu'elle organise, hiérarchise, et oriente l'acquisition et la production de savoirs.

3.3 Proposer un entraînement aux démarches intellectuelles.

Les démarches d'accompagnement à la production de savoirs se centrent toutes sur un accompagnement méthodologique. Celui-ci se construit le plus souvent sur la méthodologie de la recherche. On retrouve sous des terminologies et des découpages variés ces différentes étapes du geste intellectuel:

Ce qui est commun aux différentes méthodes, c'est de proposer un appui méthodologique aux apprenants sur ces différentes dimensions. Cette présentation rapide mériterait des nuances et des explications plus détaillées pour identifier la dynamique commune et ses différentes variantes concrètes selon les contextes.

3.4 Solliciter la production d'un savoir personnel.

La production d'un savoir personnel est l'aboutissement de la démarche commencée par la réflexion sur l'expérience. C'est par la production personnelle du savoir que la personne organise les liaisons entre son expérience vécue et les savoirs théoriques. C'est aussi par cette production qu'elle s'intègre dans le débat social. C'est enfin par cette production que se transforme le rapport normatif aux savoirs théoriques. Produire son savoir en l'articulant aux savoirs déjà produits, c'est se situer comme auteur dans un rapport critique à ce qui a déjà été écrit.

4 Le sens comme orientation : accompagner la production de savoirs d'interaction.

L'autoformation ne se limite pas aux savoirs formels. Elle est aussi constituée des savoirs d'expérience et d'interaction avec l'environnement physique et social, Nous produisons aussi notre forme par l'adaptation permanente de nos gestes aux formes et aux structures de l'environnement. Cet art de faire quotidien (Denoyel, 1991, 1999), est un niveau très profond bien que partiellement issu de l'autoformation (Schön 1994, Vermersch 1994).

4-1 Des démarches d'exploration des savoirs d'interaction.

Les démarches d'exploration des savoirs d'interaction trouvent leur origine dans la psychologie génétique, l'ethnométhodologie, dans les recherches sur les arts de faire du quotidien (Certeau, 1990), et dans les approches praxéologiques (Schön 1994 ; St-Amaud 19921).

On peut distinguer, dans ces méthodes, le même mouvement de retour sur l'expérience, de formalisation, et de socialisation, que nous avons déjà repéré dans les démarches centrées sur la production de savoirs théoriques. À la différence des précédentes, ces méthodes s'intéressent cependant moins à la production et à l'acquisition de savoirs formels qu'à l'exploration et au développement des savoirs d'interaction. Ce qui est visé, c'est la prise de conscience et le développement d'une présence à l'acte, le développement d'une autoformation de l'agir. Là encore, les formes varient selon les contextes, les publics, et les objectifs visés. Nous ne pouvons ici développer toutes ces nuances et nous nous contenterons de souligner quelques caractéristiques de l'exploration du savoir d'action.

Les pratiques d'accompagnement à l'autoformation qui se centrent sur l'exploration du savoir d'interaction sont aussi des démarches réflexives. Il s'agit de proposer des supports qui permettent la prise de conscience, le développement et la diversification des savoirs d'action. Comme dans toutes les approches de l'autoformation, cette dimension réflexive n'est pas apportée par le formateur, elle est présupposée chez tous les acteurs dans leur action quotidienne. L'action est une interaction réflexive entre le sujet et l'environnement. Tout praticien est réflexif (Schön, 1994). Les différentes méthodes visent surtout à proposer des supports de prise de conscience de cette réflexion dans l'action (Vermersch, 1994).

4.2 Des savoirs incorporés et difficiles à expliciter.

Les savoirs d'interaction se construisent dans le flux de l'expérience à partir d'une base réflexe. Ils sont souvent largement automatisés, semi-conscients, et par conséquent partiellement non conscients. Ces caractéristiques fondent la pertinence de ces savoirs qui doivent s'ajuster immédiatement aux variations des situations rencontrées. Que le savoir d'expérience consiste à savoir faire du vélo, savoir lire, savoir apprendre ou savoir enseigner, sa pertinence consiste justement à ne pas occuper toute la conscience. On reconnaît, par exemple un conducteur ou un musicien expérimenté au fait qu'il ne " pense" pas à ce qu'il fait. Semi-automatique et semi-conscient. le savoir d'expérience laisse l'énergie et la conscience de l'acteur disponible pour appréhender les fluctuations de la situation. Cette caractéristique qui fonde la pertinence des savoirs d'expérience rend, cependant, ces savoirs difficilement explicables et transférables. De fait les savoirs d'action sont souvent non formalisés. Ils opèrent plus par abduction et induction que par déduction (Denoyel 1999).

Le praticien utilise, souvent de manière semi-consciente, tout son répertoire de situations expérientielles mémorisées. Tout en agissant, il les associe à la situation inédite qu'il rencontre afin de trouver la situation d'expérience qui donnera sens à la situation présente de manière efficace (métaphore génératrice, Schön, 1994, p. 321). Ce travail incessant de lecture de la situation reste semi-conscient, lorsqu'il est efficace, en permettant ainsi la poursuite de l'action. Il ne devient conscient que lorsque la situation résiste au savoir-faire du praticien. Il doit alors s'arrêter d'agir pour analyser la situation consciemment.

4.3 Des méthodes adaptées à l'exploration de l'agir.

Plusieurs méthodes d'accompagnement à l'autoformation se centrent sur les savoirs d'interaction.

Alexandre Lhotellier et Georges Le Meur ont développé la démarche praxéologique comme une réflexion dans l'action qui développe une présence au sens de l'agir, une attention sans tension à l'émergence des phénomènes dans l'action (Lhotellier, 1995, p. 235 ) La praxéologie est une démarche personnelle et collective qui vise à la conscientisation de son agir et à son autonomisation dans les divers stades de sa vie quotidienne (Le Meur, 1998, p. 141).

D'autres démarches issues de l'ethnologie et de la recherche-action utilisent les méthodes d'observation participante et du journal de bord quotidien (Barbier, 1996, p.94­102). Il s'agit par exemple de noter tous les jours un fait marquant de sa pratique dans une écriture descriptive (sans analyse) puis de relire, tous les quinze jours, l'ensemble des faits notés pour en faire une première analyse qui est ensuite travaillée en groupe (Payette et Champagne, 1997).

Pour développer la prise de conscience et l'autoformation dans l'action d'apprentissage, Pierre Vermersch a développé la démarche d'entretien d'explicitation (Vermersch, 1994). Pour s'adapter au savoir d'action, l'entretien d'explicitation s'appuie sur la mémoire concrète et sensorielle qui, comme la madeleine de Proust, permet de retrouver et de décrire l'action au plus près de la manière dont elle a été vécue.

5 Le sens comme sensibilité : accompagner la production de savoirs existentiels.

La formation ne se limite pas à l'acquisition des savoirs et au développement des compétences. Elle est aussi un processus existentiel de mise en forme personnelle et de production de sens (Pineau, 1983). Dans sa dimension existentielle, l'autoformation se constitue dans le sens que nous donnons à nos échanges avec notre environnement naturel et social. Cette quête et cette production de sens s'opèrent au niveau sensoriel, imaginaire et cognitif. Elles impliquent toutes les dimensions de la personne: pratiques, cognitives, émotionnelles, sociales, philosophiques, mythopoétiques... (Barbier, 1997, p. J 19).

La production d'une forme et d'un sens existentiel réfère à la sensibilité esthétique et à l'imagination symbolique. Pour l'anthropologie, les mythes et les symboles sont l'horizon même du sens humain. Le mythe est fondamentalement le récit de l'origine qui organise le sens d'une société. Même les sociétés occidentales modernes technoscientifiques ont besoin de mythes (du progrès, de la toute puissance de la science...) pour produire du sens. Au plan personnel, chacun de nous est porteur d'une mythologie constituée par les personnes, les lieux, les temps forts où nous sommes nés à nous-mêmes (Galvani 1997).

La forme et le sens personnels ne se limitent pas aux significations théoriques et culturelles héritées. Ils sont plus intimement construits dans l'interaction personne/environnement. Ils émergent enfin encore plus profondément des résonances symboliques existentielles produites par les formes de nos expériences.

5.1 Dimension symbolique de l'autoformation.

On peut situer un ensemble de pratiques qui se centrent sur l'articulation symbolique de la vie et de la connaissance. Comme les démarches précédentes, elles proposent de nombreuses variations sur cette articulation vie/connaissance. On peut citer de manière provisoire et non exhaustive: les histoires de vie en formation (Pineau & Legrand, 1993), le blasonnement et l'imaginaire de la formation (Galvani, 1997), l'approche transversale en éducation (Barbier, 1997), le travail poétique en formation (Lhotellier, 1991). Nous dirons provisoirement que ces pratiques s'organisent sur la démarche suivante: l'ouverture d'un espace d'exploration de la dimension mythopoétique de l'expérience, la production personnelle et l'exploration socialisée des résonances symboliques.

5.2 Histoires de vie et blasonnernents : des pratiques anthropologiques d'autoformation.

Cette dimension existentielle de l'autoformation. a surtout été explorée par les démarches d'histoires de vie en formation d'adultes (Pineau & Legrand, 1993). Avant d'être une démarche formalisée de recherche/formation, l'histoire de vie est fondamentalement une pratique anthropologique. Dire que l'histoire de vie est une pratique d'autoformation anthropologique, c'est dire que : pour se comprendre et se faire comprendre, l'être humain raconte sa vie. À toutes les époques et dans toutes les cultures, mettre sa vie en forme dans un récit oral ou écrit est une opération de rassemblement, de mise en cohérence et en sens d'éléments différents. Cette mise ensemble de ce qui nous constitue semble être indissociablement une opération de prise de conscience et de mise en sens de soi.

D'autres pratiques anthropologiques d'autoformation sont possibles dans cette perspective existentielle. Pour se comprendre et se faire comprendre, l'être humain n'utilise pas que le récit, il utilise aussi des images : "nous sommes ou nous devenons aussi nos images, nous prenons leur forme, nous nous créons à travers elles" (Wunenburger, 1991, p.88). L'imagination symbolique organise l'horizon du sens humain depuis le paléolithique (Clottes, 1996). Nous nous reconnaissons et nous nous construisons dans les formes et les images qui nous parlent. Chacun est ainsi sensible à certains éléments de l'environnement naturel ou social avec lesquels nous établissons une relation symbolique.

Pour explorer collectivement cette dimension de quête de sens dans l'autoformation, nous avons développé une démarche à partir du blason (Galvani, 1997, chapitre 11). Comme les démarches précédentes, le blason est un support réflexif de prise de conscience et de mise en forme de l'expérience. Faire son blason, c'est d'abord revenir sur les images qui nous ont formé pour ensuite les mettre en forme dans un tout cohérent. Le blason n'est pas limité à son modèle chevaleresque. Le blasonnement est une pratique anthropologique quotidienne permanente dans le sens où : pour se comprendre et se faire comprendre, l'être humain se symbolise sa vie en image et en formes (vêtements, gestes, langage, habitat, arts, rituels. symboles...

Animée collectivement sous forme de " rencontres de blasons ", la démarche vise à explorer les significations que les participants donnent à leurs expériences. Son originalité réside dans l'utilisation de l'image. L'image est un intermédiaire entre le sensible et l'intelligible ( Wunenburger, 1997). Toute image articule une perception sensorielle qui s'ancre dans l'expérience avec une signification construite. De ce fait, l'image produite communique du sens. L'autoforrnation apparaît alors comme l'émergence vitale d'une forme et d'un sens personnel qui se construisent dans une relation symbolique avec l'environnement. Pour faire une place à cette dimension symbolique de la formation, il faut transformer la place du formateur.Il s'agit d'inventer des démarches qui permettent la co-exploration des dimensions symboliques de l'expérience.

6 Conclusion.

Les démarches que nous venons de présenter partagent une dynamique commune :

Pour le formateur ou l'animateur de formation, oeuvrer en formation, c'est :

2 - Voir l'ouvrage " Le croisement des savoirs " Groupe de Recherche Quart Monde-Université 1999, et Échanger les savoirs Claire et Marc Héber­Suffrin, 1992.

Toutes ces démarches d'accompagnement de l'autoformation se caractérisent par un retour réflexif sur l'expérience, une exploration collective et par le croisement des productions de savoirs personnels. Ces démarches visent la prise de conscience et de pouvoir des personnes sur leur propre autoformation dans ses différentes dimensions. Elles ne se distinguent que par la priorité qu'elles donnent aux dimensions théoriques pratiques et symboliques de l'autoformation.

L'autoformation est encore un continent à explorer dont les cartes théoriques sont vagues et incomplètes. Il convient de s'y aventurer avec passion et prudence, un oeil sur les cartes et l'autre sur l'analyse de sa propre expérience. Pour les formateurs qui souhaitent articuler leur action pédagogique avec l'autoformation des personnes auxquelles ils s'adressent, il est sûrement prudent d'envisager quelle place ils peuvent faire à ces différentes dimensions en fonction de leur contexte d'intervention. L'autoformation implique toujours des savoirs théoriques, des savoirs expérientiels et des savoirs existentiels. La production de sens personnel est toujours composée de signification, d'orientation et de sensorialité. Ces trois dimensions sont indissociables et en interaction permanente. La question qui se pose au formateur est de savoir quelle place il fait à chacune d'elles dans son action.

Dimension de

l'autoformation

Didactique

En rapport aux savoirs

formels

Pratique

En rapport aux savoirs

d'interaction

Symbolique

En rapport aux savoirs

existentiels

Dimension du sens

SIGNIFICATION

ORIENTATION

SENSORALITE

Régimes & Schèmes

(Durand)

DIURNE

Distinguer

NOCTURNE

Relier

NOCTURNE

Unir

Orientation générale de l'accompagnement de l'autoformation

Accompagner l'acquisition

et la production

de savoirs formels théoriques

Accompagner l'exploration

et le développement

des savoirs d'interaction

Accompagner l'exploration

et la prise de conscience

des savoirs existentiels

Démarche privilégiée

Apprentissage piloté par le questionnement critique de l'expérience en lien avec des savoirs théoriques :

Production individuelle ou collective de savoirs théoriques,

explicitation des théories implicites, appropriation critique des savoirs théoriques déjà produits

Recueil d'expérience

Prise de conscience et

explicitation des savoirs d'action par l'observation participante et la description.

Problématique de transfert des savoirs dans des contextes différents ou entre acteurs

Exploration du sens existentiel

dans ses dimensions

imaginaires et symbolique.

Pluralisation des imaginaires

personnels dans les échanges

collectifs et prise de conscience

des influences de l'imaginaire

social

Processus référentiels

(Denoyel, 1999)

Raison Formelle

Déduction

Tautologique

Raison expérientielle

induction & Abduction

Dialogique

Raison Sensible

Transduction

Analogique

Rapport au sujet

(Legroux, 1981)

Savoirs extérieurs

au sujet

de l'ordre de l'information

Savoirs appropriés

et manipulables dans l'interaction du sujet avec l'environnement social naturel

Savoirs intériorisés incorporés,

co-naissance indissociabvle

du sujet

Type de liaison à l'environnement

(Miremont, 1993)

Epistémés : corpus des savoirs qui se tiennent par eux-mêmes et qui organisent la connaissance

Rites : ensemble des interactions sensori-motrices qui formalisent les échanges

Mythes : ensemble des images symboliques qui orientent le sens et les valeurs

Formes

d'actualisation des savoirs

Savoirs formels

inscrits dans les corpus culturels

Savoirs d'interaction

incorporés

Savoirs symboliques

émergeant dans

l'expérience de vie

Critères et normes de validité des savoirs

Cohérence logique

consistance formelle de l'argumentation

Efficacité

dans le flux de l'expérience

Vérité existentielle

émergeant dans l'expérience de vie

Rapport au temps

Diachronique :

distanciation et mémorisation

Adhésion

au flux

Synchronique

temps vertical poétique

(Bachelard, 1932

synchronicité (Jung)

KANT

Philosophie théorique

Pouvoir de connaître

Entendement

Philosophie pratique

Pouvoir de désirer

Raison

Philosophie esthétique

Faculté de juger

Sentiment de plaisir/déplaisir

HABERMAS

(in Finger, 1984)

Intérêt de connaissance

technique

Intérêt de connaissance

pratique

Intérêt de connaissance

émancipatoire

Bibliographie