COP 21 : les quelques terribles heures de la nuit d’avant


/ samedi, avril 10th, 2021

Conjectures à l’intention des futurs historiens – en espérant qu’il y en ait – à partir de données piochées ici ou là… plutôt Michelet que Guizot.
Vendredi 11 décembre 2015, zone bleue, le soir. Laurent Fabius paraît confiant.
Dehors des ministres pressés, dans le froid glacial, tirent leur valise vers l’aéroport.
La nuit est tombée. Multiplication des appels téléphoniques entre chefs d’état – Inde, Chine, Etats-Unis, Brésil, France, en particulier – pour lever les derniers points de blocage.
Et puis c’est le clash : la délégation américaine trouve dans sa traduction un « shall » là où elle attendait un « should ». C’est l’alinéa 4 de l’article 4, version initiale, qui est en cause : « Developed country Parties shall continue taking the lead by undertaking economy-wide absolute emission reduction targets. »
Autrement dit « Les parties / pays développés continueront de montrer la voie en assumant des objectifs de réduction des émissions en chiffres absolus à l’échelle de l’économie »
Et Todd Stern, l’envoyé spécial des Etats-Unis, rappelle probablement ce qu’il a déjà dit : si l’accord implique un remaniement de la loi, il devra être soumis au congrès et les Républicains – avec leur noyau dur de lobbyistes du pétrole – refuseront de le ratifier. Très bien, on a compris, réplique probablement Laurent Fabius ; on remplace par « should ».
Mais alors, du coup, d’autres délégations pensent qu’on peut revenir sur le texte ou bien le même Todd se dit qu’il proposerait bien une autre petite correction…
Alors celui qui ne voulait pas être président de la COP, celui qui est devenu écolo en prenant connaissance du dossier abyssal du climat, celui qui depuis plus d’un an a mis toutes les ressources de son intelligence au service de cette cause suprême, se lève : si les délégations veulent faire machine arrière, il part. Et s’il part, il n’y aura pas d’accord. Et Laurence Tubiana qui le seconde fidèlement, s’est levée aussi…
Moment de silence et d’hébétude dans l’assistance. Et puis quelqu’un dit « Sit down, please, Laurent. Let’s resume the work ». Il regarde alentour ; ils se sont tous remis au travail. Il se rassied et ouvre à nouveau son dossier.
L’aube se lève. Troisième nuit blanche pour les négociateurs. Le texte de l’accord, enfin achevé, est confié aux traducteurs. Quelques heures de sommeil bien méritées pour les premiers.
Et quelques autres heures plus tard, quand notre Ministre des Affaires étrangères entame son discours, l’émotion de ce moment crucial le submerge. Un geste fou mais le seul qu’il fallait faire ; et c’est vers les militants de la première heure que sa pensée se tourne, ceux qui devraient être là en ce jour historique pour lequel ils se sont battus.

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