Tendance à peu près irrépressible à appréhender le réel comme ensemble d’entités invariables prédéfinies, dont l’intension comporte une liste univoque de caractères repérables, établis pour l’essentiel, et dont l’extension englobe, en droit, l’ensemble
bien délimité des individus ou des structures présentant lesdits caractères.
Sur le plan des idées, cette propension, issue du platonisme et du judéo-christianisme, est étroitement subordonnée à la croyance en l’existence d’un monde intelligible invariable, qu’il procède ou non d’un Dieu créateur, et qui serait en quelque sorte le garant de la permanence des formes et de la supériorité de l’être humain.
A cet égard c’est évidemment la théorie de l’évolution de Darwin qui a porté à cette représentation le coup le plus rude.
Mais, plus profondément, elle a partie liée à la constitution du langage et à son fonctionnement. C’est la raison pour laquelle il est extrêmement difficile de s’en déprendre, ainsi que Nietzsche l’avait justement relevé.

A ces deux premières sources du substantialisme, il faudrait en toute rigueur ajouter le mode de constitution à la fois analytique et dogmatique du discours scientifique. Par exemple c’est la différence de densité qui rend compte de ce qu’un corps s’enfonce
ou non dans un liquide. Ceci cependant n’est pas vrai dans tous les cas. Comment déterminer alors ce qui l’emporte de la tension superficielle ou du principe d’Archimède ? La science des surfaces se donnera pour objet l’étude des phénomènes
qui surviennent à l’interface de deux phases.
Or la situation actuelle de notre planète exige que nous repensions le réel à nouveaux frais. Il importe en particulier que nous abandonnions la croyance infantile en l’existence d’une Nature, entité mystérieuse à connotation maternelle, bienveillante
et puissante mais aussi sujette à de terribles colères. Les hommes ne sont pas séparés du milieu où ils vivent et il n’existe rien de tel qu’une puissance suprasensible qui restaurerait en permanence leurs conditions d’existence.