Chronique de la mort verte


/ lundi, avril 19th, 2021

Comme les autorités locales ou nationales ne veulent pas contrarier les gros culs de l’agriculture industrielle – et singulièrement les éleveurs de porcs bretons – elles ont commencé par laisser crever hommes et bêtes sur les côtes de Bretagne, sans daigner lever le petit doigt.
Le scénario ne varie pas d’une année sur l’autre : on balance les déchets dans la nature, et singulièrement le lisier des porcs, autrement dit leur merde. Tout ça ruisselle de façon ou d’autre et aboutit dans l’océan ; c’est pain béni pour l’ulve, ou algue verte, qui du coup « bloome » autant qu’elle peut ; les marées ballottent tout ça et l’accumule et le dépose ; les premières couches du bloom algal se décomposent en émettant de l’hydrogène sulfuré (H2S) ; dans les zones protégées des courants, cette
masse va croissante et, au dessus d’elle, ce gaz plus dense que l’air. Quand un « aérobie » passe à proximité et qu’il inhale ce gaz, sa respiration est inhibée ; après quelques minutes d’anoxie, il tombe dans le coma et son cœur s’arrête.

1989. Le corps d’un jeune homme de 26 ans est retrouvé à Saint-Michel-en-Grève écroulé sur un monceau d’ulves ; son médecin n’obtiendra jamais que les résultats de l’autopsie lui soit communiqués.
1999. Un ramasseur d’algues tombe dans le coma.
2008. Deux gros chiens tombent raides morts sur un tas d’ulves pendant leur sortie.
2009. Thierry Morfoisse, chauffeur, s’écroule alors qu’il est en train de décharger une cargaison d’ulves ; ses employeurs n’ont prévu aucun équipement de protection.
La même année un cheval s’écroule et meurt instantanément lors d’une promenade montée ; on parvient à transporter le cavalier aux urgences. L’affaire est classée sans suite.
2010. On retrouve 36 sangliers morts dans l’estuaire du Gouessant, écroulés sur les ulves du lieu. Une enquête conclut à une intoxication par l’hydrogène sulfuré.
2016. Jean-René Auffray part faire du jogging au même endroit. Il est retrouvé mort un peu plus tard, étendu sur un lit d’algues en décomposition ; mais dans son cas, l’enquête conclut à la crise cardiaque.
2017. Comme on était parti pour battre tous les records d’intoxication, les autorités ont décidé de fermer les plages les plus dangereuses.
Le phénomène s’étend désormais en Normandie et en Vendée. En Bretagne huit vasières doivent être évitées absolument : Saint-Michel-en-Grève, Hillion, Morieux, Plouézec, Concarneau, Douarnenez, Plouha et Saint-Brieuc.
« Production » : 30 000 à 70 000 tonnes d’ulves par an.

Il n’y a que le boycott conjugué des stations balnéaires de la région et des produits dérivés du porc qui puisse faire bouger les lignes. Les protestations de ceux qui en dépendent vont émouvoir les pouvoirs publics, lesquels mettront en place la réglementation ad hoc, en foi de quoi les quelques responsables de cet état de fait seront enfin contraints à se plier aux règles élémentaires de la préservation de l’environnement. On pourrait tout simplement leur imputer le coût exorbitant du ramassage de ces algues.

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