Système des représentations


/ mercredi, avril 14th, 2021

Ensemble intégré d’observations, d’idées, de théories et de fables qui constitue notre représentation du monde et de nous-mêmes, ainsi que de la finalité des actions que nous y perpétrons.
Son caractère essentiel est d’être composé pour partie de séquences rationnelles (ou partiellement rationnelles), pour partie d’échafaudages interprétatifs plus ou moins fondés.
Nos ancêtres du paléolithique ont évidemment remarqué que la foudre ne frappait pas par hasard. Ils en ont déduit que si cet homme ou cet arbre avait été foudroyé, c’est que cet homme ou cet arbre (ou la dryade qui l’animait) avait déplu au dieu de la foudre.
Il est d’ailleurs remarquable qu’il n’est pas un panthéon qui omette un tel dieu ou qui lui attribue un rang secondaire. D’autre part l’animisme demeure une tendance spontanée ; c’est ce qui rend compte, par exemple, de ce qu’un enfant qui se cogne dans un meuble puisse y donner un coup de pied.
Dans les sociétés primitives, quand les parents ont commencé à remarquer chez les enfants des caractères de leurs propres parents ou grands-parents, ils en ont déduit que c’est tel ou tel de leurs ascendants qui était revenu. La terre où on ensevelissait les morts fut dotée de la puissance, directement pour les plantes ou par l’intermédiaire des femmes et des femelles, pour les hommes et les animaux, de faire
renaître. Le caractère réaliste des Vénus paléolithiques paraît attester de ce qu’il était commun d’allouer aux femmes en puissance d’enfanter une grande quantité de nourriture.
Dans l’ancien empire du Mali, l’esprit du mort était réputé remonter dans les arbres par les racines puis, une fois parvenu aux branches, tomber dans le ventre d’une femme qui passait. On donnait d’ailleurs deux prénoms à l’enfant : le premier, par commodité, à la naissance, et le second, celui de l’aïeul revenu, une fois qu’on l’avait reconnu.
Chez les Inuits un revenant pouvait même opter pour un changement de sexe, ce qu’on lui concédait d’autant plus volontiers qu’il en avait exprimé le désir de son vivant. Les mêmes en avaient tiré de remarquables méthodes éducatives : on ne grondait ni ne punissait jamais un enfant, de peur de manquer de respect à un aïeul.
On se contentait de parler de ses mauvaises actions à un tiers, cela à une distance savamment calculée afin que l’enfant puisse entendre mais croire en même temps que sa présence n’avait pas été remarquée.
Il faut encore noter que le rapport entre l’acte sexuel et la naissance d’un enfant n’a été établi que tardivement dans l’histoire de l’humanité. Il implique en effet la conception et la mise en place des nombres et du calendrier. Chez les Trobriandais, il y a un siècle à peine, le fils était sous l’autorité de l’oncle maternel et le père biologique n’avait d’autre statut que celui de compagnon de jeu.

Ce système matrilinéaire a probablement été de règle jusqu’à l’invention de l’agriculture et l’instauration de la propriété agraire.
A partir de là tout change : de circulaire et répétitive qu’elle était antérieurement, l’histoire devient linéaire et ouverte. Parallèlement, comme on veut s’assurer de la légitimité de sa descendance, les femmes sont enfermées ; leur virginité est désormais exigée au moment du mariage, lequel est devenu un contrat. C’est la relation père / fils qui est désormais primordiale. La longue généalogie que comporte la Bible est
d’abord l’authentification d’une lignée elle-même corrélée à la nécessité de légitimer l’occupation des terres.
Ce renversement ne se fait pas instantanément et ces deux systèmes peuvent cohabiter durablement, ainsi qu’en atteste le culte de Dionysos dans la Grèce antique.
Enfin ces récits des origines qui étaient proposés aux enfants faisaient aussi fonction d’instruction. Aucun adulte de la tribu des Quechuas ne croyait sérieusement que si le colibri avait la gorge rouge, c’est qu’il se l’était brûlée. La tradition rapportait néanmoins qu’il avait volé vers la Terre en tenant dans son bec un petit brandon enflammé, afin de porter aux hommes le feu qu’il avait dérobé aux dieux.
Enfin c’est probablement la prévalence de la structure patrilinéaire de notre système des représentations qui nous empêche à la fois de penser notre finitude terrienne et de concevoir un modèle cosmologique alternatif.

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