C’est l’ensemble intégré d’observations, d’idées et de théories qui constitue notre représentation du monde, de nous-mêmes, de la nature et de la finalité des actions que nous y conduisons.
Son caractère essentiel est d’être composé pour partie par des séquences rationnelles (ou partiellement rationnelles), pour partie par des échafaudages interprétatifs non fondés.
Par exemple nos ancêtres du paléolithique ont évidemment remarqué que la foudre ne frappait pas hasard. Ils en ont déduit que si cet homme ou cet arbre avait été foudroyé, c’est que cet homme ou cet arbre (ou la dryade qui l’animait) avait déplu au dieu de la foudre. Il est d’ailleurs remarquable qu’il n’est pas un panthéon qui omette un tel dieu ou qui lui attribue un rang second. D’autre part l’animisme demeure une tendance spontanée ; c’est elle qui rend compte, par exemple, de ce qu’un enfant qui se cogne dans un meuble puisse y donner un coup de pied.
Dans les sociétés primitives, quand les pères ont commencé à remarquer chez les fils des caractères de leur propre père, ils en ont déduit que c’est leur père qui était revenu. La terre où on ensevelissait les morts fut dotée de la puissance, directement pour les plantes ou par l’intermédiaire des femmes et des femelles, pour les hommes et les animaux, de faire renaître. Le caractère réaliste des Vénus paléolithiques paraît attester de ce qu’il était commun d’allouer aux femmes en puissance d’enfanter
une grande quantité de nourriture.
Dans l’ancien empire du Mali, l’esprit du mort était réputé remonter dans les arbres par les racines puis, une fois parvenu aux branches, tomber dans le ventre d’une femme qui passait. On donnait d’ailleurs deux prénoms à l’enfant : le premier, par commodité, à la naissance, et le second, celui de l’aïeul revenu, une fois qu’on l’avait reconnu.
Chez les Inuits un revenant pouvait même opter pour un changement de sexe, ce qu’on lui concédait d’autant plus volontiers qu’il en avait exprimé le désir de son vivant. Les mêmes avaient de remarquables méthodes éducatives : on ne grondait ni ne punissait jamais un enfant, de peur de manquer de respect à un aïeul. On se contentait de parler de ses mauvaises actions à un tiers, cela à une distance savamment calculée afin que l’enfant puisse entendre mais croire en même temps que sa
présence n’avait pas été remarquée.
Il faut encore noter que le rapport entre l’acte sexuel et la naissance d’un enfant n’a été établi que tardivement dans l’histoire de l’humanité. Il implique en effet la conception et la mise en place des nombres et du calendrier. Chez les Trobriandais, il y a un siècle à peine, le fils était sous l’autorité de l’oncle maternel et le père biologique n’avait d’autre statut que celui de compagnon de jeu de la mère. Ce système matrilinéaire a probablement été de règle jusqu’à l’invention de l’ agriculture et l’instauration de la propriété agraire.
A partir de là tout change : de circulaire et répétitive qu’elle était antérieurement, l’histoire devient linéaire et ouverte. Parallèlement, comme on veut s’assurer de la légitimité de sa descendance, les femmes sont enfermées ; leur virginité est désormais exigée au moment du mariage, lequel est devenu un contrat. C’est la relation père / fils qui est désormais primordiale. La longue généalogie que comporte la Bible est d’abord l’authentification d’une lignée elle-même corrélée à la légitime
occupation de terres agricoles.
Ce renversement ne se fait pas instantanément et ces deux systèmes peuvent cohabiter durablement, ainsi qu’en atteste le culte de Dionysos dans la Grèce antique. A bien des égards on peut considérer le christianisme comme une résurgence partielle du système archaïque et notre actuelle notion de nature n’est pas exempte de caractères primitifs caractéristiques de celui-ci.
Système des représentations
/ mercredi, décembre 21st, 2022