Tropisme analytique


/ mercredi, décembre 21st, 2022

Tendance – d’autant plus invincible qu’elle s’inscrit dans les institutions – à appréhender le réel comme une collection discrète d’entités indépendantes et bien délimitées. Du point de vue institutionnel, c’est ce tropisme qui sous-tend, au delà des nécessités
pratiques, la répartition de la recherche universitaire par spécialités, généralement assez peu perméables les unes aux autres.
Celle-ci dérive, sans solution de continuité, de l’organisation médiévale de la transmission des savoirs, laquelle visait avant tout à la préservation de la dogmatique chrétienne. L’enseignement de l’histoire, par exemple, continue de se répartir en histoire antique, médiévale, moderne et contemporaine, maintenant dans une ombre discrète les siècles obscurs – III° et IV° siècles notamment – pendant lesquels a lieu la destruction systématique des civilisations de l’antiquité gréco-romaine.
C’est cette spécialisation à outrance qui a imposé la nécessité d’instituer, dans l’organisation de l’hôpital, un service de médecine interne vers lequel sont dirigés les malades dont la pathologie n’est lisible dans le cadre d’aucune spécialité, la notion
d’idiosyncrasie étant largement éludée lors des études de médecine.
En climatologie on peut considérer que l’événement de Bond qui a commencé à se mettre en place depuis quelques années, n’est actuellement lisible pour aucun spécialiste, les paléoclimatologues, qui en connaissent le mécanisme, s’occupant exclusivement
des climats du passé, et les climatologues, une fois dressée la liste des caractéristiques de l’époque actuelle, se bornant à l’alternance glaciaire / interglaciaire.
Ce tropisme analytique peut être tenu pour l’équivalent de ce qu’Edgar Morin désigne nomme « la pensée en miettes » et qui nous interdit de saisir simultanément les lignes de force du monde, tant humain que physique, dans lequel nous vivons et
les enjeux qui s’y attachent.
Cet « analytisme » est sans doute une nécessité de la pensée mais il ne peut en constituer qu’une étape qui doit être dépassée. C’est que, joint aux deux autres tropismes que sont le substantialisme et le causalisme, il concourt à notre aveuglement sur l’état actuel du système / Terre et sur la façon dont celui-ci peut évoluer dans les prochaines décennies.

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