Les interventions de la première
après-midi ont porté sur le récapitulatif des actions menées par le réseau GRAF
et sur les interventions d’André Moisan et de Christian Verrier (thème
N° 1, prise de pouvoir sur sa formation et société de contrôle). Cf. Problématique & programme.
Différents hommages ont consacré les
travaux et la personne de G. Dumazedier. J’en retiendrais une démarche
contrastée et paradoxale : « l’épreuve de la raison » s’affirme
avec autant de force que l’impératif d’ouverture de la même raison. Dans le
premier cas l’usage de la technologie en formation et l’école comme sas de
l’autoformation (AF) développent une méthodologie plutôt positiviste affirmée
par certains témoignages mais l’appropriation des savoirs, la transformation de
l’aliénation en ressources insistent, différemment, sur le second aspect qui
apparaît dominant. Cette complexité donne de l’humanité à sa personne
transformant un positionnement possiblement dichotomique en paradoxe fructueux
et ouvert. Ceci pointe déjà indirectement la remarque finale de Claude Debon
nous alertant sur les dérives possibles de l’AF et sur l’importance à maintenir
plusieurs niveaux d’analyse.
Le compte rendu d’Hélène Bézille
sur la journée de Lille précise la difficulté à faire une typologie des pratiques
non formelles d’autant plus que, faisant référence aux travaux de Gérard Mlékuz,
Didier Paquelin a pu soulever la présence de logiques différentes en
œuvre. Retenons aussi l’importance à mieux distinguer les apprentissages non
formels des apprentissages informels (voir le texte d’Hélène) ; cette
différenciation donnant des catégorisations plus claires.
S’il
est des logiques différentes et plusieurs niveaux d’analyse, le compte rendu du
groupe expérience effectué par Bernadette Courtois, tout en montrant les
mêmes impératifs, interroge les différentes manières de constituer et de
transformer l’expérience par un processus continu et/ou discontinu. Les
questions de la conception du sujet et de sa formation imposent l’exploration
de la complexité et des processus transitionnels entre états différents ou
niveaux différents, postulant la problématique de la pluralité des degrés
d’être chère à Platon et à Buber.
Les relations entre projet
institutionnel et individu, pointées par André Moisan et qui engagent le
premier thème de réflexion (prise de pouvoir sur sa formation et société de
contrôle), ont mis en évidence la prise de pouvoir comme un combat à mener et
comme un espace possible de liberté par rapport à la « loi ». Mais le
pouvoir est-t-il simple rapport de forces ou y a-t-il d’autres registres, de
coopération par exemple ? Autrement dit, le pouvoir pourrait-t-il
s’exprimer différemment selon les types de logiques mises en jeu ? Enfin,
la marge de liberté dont disposent les partenaires dans les relations de
pouvoir ouvrent des zones d’incertitude intégrant le chaos dans l’ordre espéré,
le discontinu dans le continu. Cette capacité, du registre de la
subjectivation, interroge à nouveau la conception du sujet et son
autoformation, ce qui renvoie directement à la question posée par Christian Verrier
à la fin de son intervention. Entre autodidaxie et AF existentielle, la
conquête du savoir en Chine suggère quelque chose de plus profond et de plus
insaisissable que le savoir. Car le sujet apprenant s’inscrit dans un processus
informel d’acquisition impliquant un cheminement de l’humain, sa transformation
formelle (le « yi » en chinois) tendant à révéler
l’insaisissabilité d’essence du « canon » (Jing en chinois) de
la personne.
La seconde matinée (thème N° 2, le sujet à l’épreuve de lui-même et des situations : dilemmes, tensions, paradoxes, pose, par l’intervention de Marie-josé Barbot, la question des ruptures face aux représentations générant des crises identitaires. Certes, comme le souligne ensuite Hélène Bézille dans sa présentation, on ne passe pas toujours par des ruptures pour avoir une prise de pouvoir sur sa formation. La vocation par continuité d’héritage (imprégnation), par rupture (différenciation) ou par négociation constituent une approche sans doute plus large. Mais se pose, ici aussi, la question des niveaux logiques et, dans ce large contexte, le rôle du conflit dans sa dimension inconsciente (Claude Debon). Comment apprend-on, par continuité et ruptures, ce dilemme identitaire possédant effet structurant. Noël Denoyel parle à son tour, pour clore la session, de boucles étranges qui relient raison sensible, expérientielle et formelle ces stratégies paradoxales supposant un système ouvert à boucles récursives qu’il resitue dans la logique de Pierce.
Le troisième thème de la rencontre
porte sur le dispositif de formation et d’apprentissage. Tout d’abord Serge Leblanc
nous ouvre aux relations de l’acteur avec son environnement. La prédominance de
l’environnement pour les uns, les aptitudes cognitives déterminantes pour
d’autres, enfin la voie interactionniste entre acteur et environnement,
supposant une co-construction contextualisée, précisent à nouveau trois
logiques différentes possiblement en œuvre, sa présentation insistant sur la
dynamique temporelle qui crée des « espaces temporalisés » de
négociation pour gérer les contraintes. Le pouvoir du sujet, c’est le repérage
de son pouvoir référé et de sa transformation dans un potentiel d’action, ceci
impliquant la notion de parcours, de chemin, les situations n’étant pas
entièrement déterminées (détournement de la règle). Ce constat, repris par Annie
Jézégou pose une liberté théorique d’expression et d’action face aux
institutions ouvrant des possibilités de choix, une relative autonomie dans les
échanges avec le milieu extérieur. Didier Paquelin, en précisant les
relations entre ce qui est prescrit, ce qui est vécu et ce qui est perçu
définit un espace frontière structuré en trois phases. Les différentes
catégories d’acteurs acceptent la transformation par rapport à l’état initial
par implication, distanciation et transformation. Ces ancrages, comme en
enzymologie, supposent des reconfigurations en interaction permanente des
différents cadres affectifs, cognitifs, perceptifs… dans l’action. Cela
interroge la notion de « bandes et de contre-bande », des lieux et
territoires de l’être, à nouveau ici catégorisables selon différents niveaux
« logiques ».
Patrice Leguy a débuté l’après midi de la seconde
journée (thème N° 4, « le projet de soi : injonction
émancipatoire ?). La production de l’œuvre, pour lui, s’inscrit dans une
prise de pouvoir sur soi, entre méta-modalités et méta-finalités. En ce dernier
domaine, l’alternance entre attitude adaptative (continuité) et créative
(discontinuité) construit un espace frontière personnel de travail donnant
victoire du lieu sur le temps. La reconnaissance par la communauté de pairs,
par les diplômes ou le renforcement de l’estime de soi crée à nouveau un
système ternaire apparaissant obéir aux mêmes structures logiques et
épistémologiques que celles préalablement mentionnées. Mohammed Melyani ensuite,
en s’appuyant sur l’interculturalité d’une part et sur M. Weber de l’autre
précise l’impératif, dans la tradition arabe, à devoir limiter le
pouvoir : c’est parce qu’il est délimité qu’il peut prendre forme. Les
indicateurs du pouvoir, le projet et la décision, renvoient à la
responsabilité, la liberté et l’autonomie. Les valeurs, conflits et paradoxes
qui découlent de son analyse de M. Weber affirment le pluralisme des valeurs
faisant la différence entre réel et réalités : une chose peut être bonne
sans être vraie ou vraie sans être bonne montrant à nouveau l’importance d’une
approche complexe.
Mon intervention (Patrick Paul)
insiste sur la problématique identitaire sous-jacente à la question du pouvoir
et de l’AF. L’ensemble révèle des zones floues, imprévues, non voulues faisant
de la prise de pouvoir sur sa formation un système ouvert. L’idée de forme, en
posant l’être comme « eidos » et comme « génésis »
demande la présence d’un intermonde (la khora) proche du concept de
« monde imaginal » qu’il conviendrait de mieux explorer dans tout
questionnement lié à la formation ou à l’AF, ce processus suggérant une
création et impliquant un chemin. C’est dans cette direction qu’Hervé Prévost
rebondit, son expérience des randonnées en montagne proposant deux modes
possibles de cheminement : le balisage cartographique et l’errance
orientée, plus libre et permettant de partir sans savoir où l’on va, se
retourner régulièrement et être capable de s’arrêter favorisant l’orientation.
Des montagnes pyrénéennes aux plaines parisiennes il n’y a qu’un pas : Francis
Lesourd aborde la question de la configuration des temps et des
synchroniseurs qui tissent, orchestrent et configurent. Il explore les instants
fugaces repérés par des entretiens d’explicitation qui précisent les évènements
passés grâce à des éléments sensoriels. Cathy avance enfin son questionnement
sur accompagnement et AF, de l’ordre du paradoxe.
Gaston Pineau, pour la dernière partie de cette
rencontre, revisite pour nous son approche tripolaire tout en référant à son
texte du colloque Graf 2002 à Bordeaux et à la revue N° 7 « Carrefours de
l’éducation ». Quatre productions lui semblent essentielles, celles de Pascal
Galvani et de Noël Denoyel d’une part, le colloque du Graf de
Toulouse et le livre autonomie et formation autour de la vie. Il pousse à
réinjecter la gestalt et à jouer de la dialectique fond/forme comme
moyen de travailler la complexité.
Ce résumé de nos échanges n’ayant
pas été prévu au départ de la rencontre, je prie chacun de bien vouloir
m’excuser du peu d’éléments qui se sont inscrits en ces quelques lignes. Il
m’apparaît simplement que l’AF, au-delà des enjeux de catégorisation,
mériterait que l’on s’interroge sur les fondements épistémologiques et
méthodologiques qui pourraient l’analyser. La transdisciplinarité, mais c’est
sans doute une déformation personnelle, m’apparaît comme un axe possible de ces
questionnements.
Patrick
Paul