Espace d'expression du 
groupe de recherche sur l'autoformation

Accueil
Remonter

Point sur la recherche


Une émergence paradigmatique en clair-obscur
Gaston Pineau - Université de Tours

Du 14 au 18 novembre 1994, s'est tenu à l'Université de Nantes, en coopération avec le groupe de recherche en autoformation (GRAF) et le réseau international de formation recherche en éducation permanente (RIFREP), le premier symposium-colloque européen sur l'autoformation. Aussi modeste que soit cette première opération publique scientifique sur un néologisme condamné voilà vingt ans, autant par son préfixe que par son substantif, que manifeste-t-elle? Essayer de répondre, pour un acteur-chercheur impliqué, fait partie des boucles bio-cognitives à tenter d'opérer pour s'autoformer, boucles étranges formant par leur liaison et leur vide même.

1 - Cette " première " a manifesté l'autoformation comme un fait social montant, atteignant peut-être une masse critique suffisante - quantitativement et idéologiquement - pour faire basculer les rapports de pouvoir entre sujets et institutions (Joffre Dumazedier). Ce renversement des rapports s'opérerait dans des institutions éducatives, mais peut-être et surtout en dehors de ces institutions, dans toutes les organisations qui deviendraient apprenantes (André Moisan) et même dans la vie courante, rendant l'action et l'expérience formatrices (Bernadette Courtois, Alexandre Lhôtelier, Georges Le Meur, Gérard Mlékuz).

Ce fait serait l'aboutissement dans la pratique et la théorisation socio-éducative " post-moderne " d'une économie politique libérale rendant les sujets premiers responsables d'eux-mêmes à la décharge des Etats, des organismes et des professionnel s de l'éducation.

2 - ...éducatif provoque l'éclatement des formes éducatives instituées et ouvre un champ d'autoformation quasi infini, producteur de pratiques multiformes aux directions, moyens, et dénominations multiples. Depuis les années quatre-vingt-dix, des essais de repérage s'effectuent pour cartographier cette conquête de territoire éducatif. En 1991, Pascal Galvani repère trois courant théoriques (socio-pédagogique, technico-pédagogique et bio-cognitif). En 1992, Philippe Carré relève sept courants de recherche : l'autodidaxie, la formation expérientielle, la formation individualisée, la formation autodirigée, la formation métacognitive, l'organisation (auto)formatrice et l'auto-éducation permanente.

3 - Les problèmes pratiques, idéologiques, méthodologiques et épistémologiques de cette ouverture socio-éducative commencent à entrer dans le champ scientifique. Quelques chercheurs disciplinaires prennent l'autoformation comme objet d'étude : des sociologues du temps libre (Joffre Dumazedier), du travail (André Moisan), des psychanalystes (René Kaës), des andragogues (Nicole Tremblay) ... Mais ils demeurent encore peu nombreux. Aussi nécessaire que soit l'éclairage disciplinaire, il semble évident qu'il soit insuffisant pour aborder ces mises en forme singulières.

Le paradigme disciplinaire, avec ses chercheurs professionnels, ses objets institués, ses méthodes analytiques, son épistémologie positiviste et s es objectifs d'explication générale n'est peut-être pas le plus adapté. Des approches transdisciplinaires se construisent actuellement, entre autres, les sciences de l'action (inter-, trans-, rétro-) de l'autonomie et de la formation. Celles-ci semblent proches des processus d'autoformation entremêlant la clarté des formes sociales instituées avec l'obscurité des forces singulières en genèse d'elles-mêmes.

4 - Avec le constat d'un changement paradigmatique nécessaire émerge autour de l'autoformation un paradigme de recherche-action-formation en clair-obscur. De cette émergence, les éléments suivants peuvent être repéré :

  • constitution de groupes et de réseaux de recherche unissant chercheurs, acteurs et formateurs
  • apparition de nouvelle méthodologies interactives de recherche-formation (histoires de vie, ateliers de praxéologie, rencontres de blasons) co-investissement organisationnel, réflexion sur l'expérience)
  • des objectifs d'autonomisation, et pas seulement de compréhension et d'instrumentation
  • des épistémologies ternaires prenant en compte le paradoxe existentiel de clarté cognitive et d'unification active articulant des régimes biocognitifs différents (diurne et nocturne selon la terminologie de Gilbert Durand).

5 - La métaphore, galaxie de l'autoformation, souvent employée pour symboliser la notion abstraite de paradigme, c'est-à-dire ensemble d'éléments distincts mais interreliés, peut être intéressante à cultiver comme matrice analogique de compréhension.

Une galaxie, c'est-à-dire un ensemble d'étoiles, de poussières et de gaz interstellaires dont la cohésion est assurée par la gravitation - est principalement visible de nuit, même si elle existe aussi de jour.

La nuit, l'obscur, n'est donc pas la perte de vision complète. Elle en ouvre d'autres, à condition de changer de point de vue. Recouvrant les formes du jour, elle fait surgir un fond nocturne qui en révèle d'autres voilées par la clarté diurne. Ces points brillants se détachent sur fond noir qui recèle des forces gravitationnelles invisibles, les mettant ensemble, en sens, en forme.

La perception de l'autoformation (sans parler de sa compréhension) semble bien nécessiter un changement radical de point de vue, une transformation de perspective analogue à cette dialectique diurne-nocturne.

Les manifestations de l(autos - ce foyer organisationnel invisible du vivant (Edgar Morin) n'apparaissent qu'en laissant remonter le fond nocturne de l'existence, le fond obscur du monde vécu avec, comme l'analyse Habermas, les ressources d'arrière-fond de la communication, articulant les devenirs singuliers à leurs environnements social et matériel.

Par son substantif de formation qui l'ancre dans la théorie du devenir (Michel Fabre) et par son préfixe auto, paradoxe fondamental du vivant (Yves Barel), l'autoformation impose la prise en compte d'au moins la moitié de la vie, la moitié nocturne à articuler à l'autre, diurne.

Donc du travail de recherche-action-formation en conséquence et sur plusieurs fronts à la fois, pour que ce fait social d'appropriation de son pouvoir de formation soit le fait de chacun et de tous.